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La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 1. La défaillance comme résultante d’une double trajectoire

C. Les vertus de la procédure collective

2. Les objectifs des procédures collectives

Le traitement des difficultés d’une entreprise consiste dans un premier temps à éviter toute dégradation de la valeur de l’entreprise. Dans un second temps, il s’agit de déterminer cette valeur au vu de l’issue adoptée par le tribunal. Dans un troisième temps, la résolution de la détresse financière doit passer par la répartition du produit entre les différents créanciers.

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De fait, tout mode de résolution des difficultés, qu’il soit judiciaire ou extrajudiciaire, doit répondre à ces objectifs susmentionnés. Cependant, l’existence de problèmes d’imperfection, voire d’échecs du marché peut rendre ces objectifs plus difficiles à atteindre hors du cadre de la procédure collective, de sorte que la théorie économique s’accorde sur la justification de l’existence de procédures collectives.

a. Les fonctions des procédures collectives

Lorsque l’on s’intéresse aux fondamentaux des codes de faillite, la littérature isole quatre fonctions principales (Blazy, Umbhauer et Weill, 2010) d’une procédure administrée par le tribunal : la coordination, la production d’information, l’estimation de la valeur de l’entreprise et la sanction.

Premièrement, la procédure collective joue un rôle crucial dans la coordination des conflits d’intérêt entre les divers ayants droit, notamment les créanciers. Sans cela, les entreprises défaillantes sont susceptibles d’être démantelées à la suite d’une course anarchique entre les créanciers ce qui risque, au final, d’affecter la valeur de l’entreprise (Longhofer et Peters, 2004). Selon Baird et Jackson (1988), la solution judiciaire constitue un moyen de concilier les divers intérêts en leur imposant une procédure collective et coercitive. En effet, à l’ouverture de la période d’observation, toute action en justice de la part des créanciers contre l’entreprise ayant pour fondement le défaut de paiement d’une dette est suspendue, de même que les voies d’exécution de la part des créanciers sur les meubles et les immeubles.

Deuxièmement, les procédures collectives produisent de l’information sous la forme de la mise en place de procédures d’audit pilotées par le tribunal. Dans une relation entre entrepreneurs et créanciers, les premiers détiennent de manière privée le rendement réalisé du projet, tandis que les seconds ne peuvent observer ce rendement qu’au moyen d’une procédure de contrôle coûteuse. Parallèlement, la littérature a largement démontré que les contrats de dette standard étaient eux aussi des vecteurs d’information, dans la mesure où ils réduisent les incitations des créanciers à contrôler la valeur actuelle des actifs du débiteur, ce tant que l’entreprise est solvable (Townsend, 1979 ; Gale et Hellwig, 1985). Bester (1985, 1987) montre qu’un choix adéquat de niveau de collatéral contribue à diminuer ces asymétries. A la suite de ces travaux, une littérature théorique abondante a mis en évidence les

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implications des sûretés dans les contrats de dette lorsqu’il existe des asymétries d’information (Chan and Thakor, 1987 ; Igawa et Kanatas, 1990). Lorsque l’entreprise est insolvable, c’est au tour du tribunal de produire de l’information, même si celle-ci est coûteuse.

Troisièmement, les procédures collectives sont supérieures à la solution extrajudiciaire dans le sens où elles permettent de déterminer la valeur des actifs et des dettes. En effet, l’analyse de la situation de l’entreprise par un partenaire externe – le tribunal – contribue à diminuer les écarts d’information entre les différentes parties. D’une certaine manière, cette fonction peut être vue comme une combinaison des deux fonctions précédentes. L’incertitude sur la valeur de l’entreprise peut être réduite de plusieurs manières. Selon Hart (2000), il est important de pénaliser les actionnaires et les dirigeants, et pour ce faire, le meilleur moyen reste de s’assurer du respect des ordres de priorité, qui prévoit le remboursement de tous les créanciers avant les actionnaires. A l’inverse, White (1989) préconise une violation des ordres de priorité. D’autres mécanismes ont été envisagés afin de déterminer la valeur de l’entreprise, tels que le transfert de la propriété de l’entreprise aux créanciers (Harris et Raviv, 1990), ou encore des solutions permettant aux créanciers de devenir actionnaires de l’entreprise et de se prononcer par un vote (Aghion, Hart et Moore, 1992).

Enfin, les procédures collectives disposent d’un pouvoir de sanction des dirigeants en cas de faute de gestion. Cette fonction correspond à une approche relativement moderne de la défaillance ; jusqu’au milieu du vingtième siècle, les législations ne distinguaient pas le sort de l’entreprise de celui de son dirigeant. Or, il est désormais communément admis que les dirigeants ne sont pas forcément animés par un esprit de fraude et que la défaillance ne résulte pas toujours d’une mauvaise gestion. Lorsque c’est néanmoins le cas, les différents problèmes de stratégie qui ont conduit à la défaillance ne reflètent que rarement des comportements malhonnêtes. Minimiser de tels comportements revient à réduire l’aléa moral qui accompagne les contrats de dette.

b. La maximisation de la valeur de l’entreprise

Le déclin d’une entreprise se traduit tôt ou tard par des difficultés financières, qu’elles correspondent à des problèmes de liquidité ou de solvabilité. Lorsque l’entreprise ne connaît

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qu’un problème de liquidité et que les renégociations informelles échouent, le déclin se poursuit jusqu’à ce que l’entreprise soit réellement dans l’incapacité de faire face à l’ensemble de ses engagements. Dans un premier temps, il s’agit de déterminer l’issue la plus efficace à adopter entre liquidation, cession et continuation, compte-tenu non pas seulement du degré des difficultés financières mais du critère de maximisation de la valeur de l’entreprise. Le choix de l’issue revient principalement à comparer les valeurs de liquidation et de continuation, laquelle ne peut d’ailleurs être qu’estimée. Lorsque la valeur de continuation est inférieure à la valeur actualisée des dettes, il est préférable que l’entreprise soit liquidée (White, 1989). Or, si la valeur de liquidation est moins élevée encore que la valeur de continuation, la recherche de l’optimalité économique rend justifiée la restructuration de l’entreprise, l’objectif étant de privilégier la solution qui maximisera le produit que se partageront les ayants droit.

La question du partage de la valeur des actifs repose sur la priorité qui va être accordée aux différents bailleurs de fonds et répond à deux objectifs ; il doit d’une part préserver au mieux la valeur des actifs et être d’autre part cohérent avec le rôle respectif des actionnaires et des créanciers. Les premiers, en tant qu’associés à la gestion de l’entreprise, doivent assumer ses prises de risque éventuelles, tandis que les seconds fournissent exclusivement du financement à l’entreprise et sont à ce titre exclus de sa gestion. Tant qu’une entreprise est en bonne santé financière, seuls les actionnaires et dirigeants disposent d’un pouvoir décisionnel quant à la stratégie de l’entreprise. Or, à partir du moment où celle-ci éprouve des difficultés financières, des partenaires extérieurs (créanciers et tribunal principalement) interviennent dans le processus de décision relatif au sort de l’entreprise. Le rôle de la législation consiste par conséquent à structurer les possibilités d’actions de chacun de ces intervenants. La question qui se pose lors du traitement des difficultés et de la détermination de l’issue optimale est de savoir quels sont les intérêts à privilégier. La réponse consiste à déterminer l’identité du créancier résiduel, à savoir du partenaire qui bénéficie de toute augmentation marginale de la valeur de l’entreprise, donc dans l’intérêt duquel les décisions seront prises. En d’autres termes, une issue est optimale dès lors qu’on transfert le pouvoir de décision à celui dont l’intérêt coïncide avec l’intérêt collectif. Tant que l’entreprise n’est pas en détresse financière, le créancier résiduel est l’actionnaire, puisque tout accroissement de la valeur de l’entreprise lui revient, ce qui l’incite à prendre des décisions optimales. En revanche, lorsqu’une entreprise connaît des difficultés, ce sont ses créanciers qui deviennent les

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créanciers résiduels, ceux-ci se voyant conférer une priorité sur la valeur des actifs de l’entreprise. En effet, dès lors que ceux-ci ne sont pas suffisants pour les rembourser intégralement, c’est à eux que l’accroissement de la valeur de l’entreprise revient, jusqu’à ce qu’ils soient complètement désintéressés et que les actionnaires, qui sont les derniers remboursés, redeviennent éventuellement les créanciers résiduels. Dans ce cas, l’entreprise va probablement être continuée, donc restructurée. En effet, la mise en place d’un redressement judiciaire passe avant tout par une restructuration économique et financière de l’entreprise. Afin de ne pas détériorer la valeur de celle-ci, il convient de la recentrer sur ses activités les plus rentables et de diminuer les charges qui pèsent sur l’entreprise (délais de paiement, remises de dettes…).

Une fois maintenu le potentiel économique de l’entreprise, il s’agit de déterminer la valeur de l’entreprise, compte-tenu de l’issue choisie. En cas de cession ou de liquidation, la valeur de l’entreprise est déterminée au regard de la valeur de marché de ses actifs. En cas de continuation, elle est estimée dans le cadre du plan de redressement.

Enfin, une procédure collective a pour objectif de répartir les droits quant à cette valeur. En effet, de nombreux pays ont d’autres objectifs que celui de maximiser la valeur de l’entreprise afin d’en faire bénéficier les ayants droit. En France, l’aspect social des procédures collectives est souvent évoqué, ce qui peut conduire à favoriser la continuation d’entreprises qui auraient pourtant dû être liquidées. Ainsi, certaines entreprises, bien que non rentables, ont longtemps été conservées dans un souci de maintien d'un secteur dont la disparition se serait traduite par des coûts importants en termes d'emploi, ce parfois au détriment des créanciers. Mais il peut aussi s’agir de maintenir en vie des entreprises jugées stratégiques ou dont la disparition entraînerait des conséquences lourdes, par exemple lorsqu’elles sous-traitent. Enfin, les pertes subies par un partenaire de l’entreprise défaillante sans pour autant bénéficier de droits sur celle-ci sont aussi susceptibles de justifier la sauvegarde d’une entreprise, même si son potentiel économique est faible (Franks et Nyborg, 1992 ; Titman, 1984).

Ainsi, les principaux choix à faire lorsqu'est conçue une législation de défaillance portent sur l'équilibre à trouver entre les objectifs susmentionnés. En outre, il faut identifier les bénéficiaires des actifs (dont la valeur a été maximisée) : si certains pays voient dans les

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procédures de redressement un moyen de valoriser les créances par l'accroissement de la valeur d'exploitation de l'entreprise, d'autres les considèrent comme un moyen de donner une «seconde chance» aux actionnaires et à la direction de l'entreprise débitrice.

Quoiqu’il en soit, la maximisation de la valeur de l’entreprise est presque toujours l’objectif prioritaire des codes de défaillance. Le but d’une entreprise étant en effet de créer de la valeur, une législation d’insolvabilité sera efficace si elle est conçue et appliquée dans l’optique de la protection et la maximisation de cette valeur.

En définitive, les deux voies de résolution des difficultés (solutions judiciaire et extrajudiciaire) se focalisent toutes sur une grande décision : liquider versus continuer, ce qui soulève la question de leur efficacité. Si pour la théorie financière classique, les coûts de faillite ne sont considérés que comme une perte d’argent, la procédure collective présente des avantages qui justifient son caractère onéreux. En d’autres termes, la procédure collective, une fois déclenchée, fait intervenir des règles très particulières, dont on peut s’interroger sur l’efficacité.