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L’impact du nombre de créanciers sur la structure financière

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

B. L’impact des règles légales sur la structure financière

2. L’impact du nombre de créanciers sur la structure financière

A la lecture de la littérature ex ante, il ressort que le nombre de créanciers d’une entreprise a un impact sur la structure de financement. Or, on peut s’interroger sur la pertinence de parler à cet égard d’efficacité ex ante des procédures collectives, dans la mesure où le nombre de créanciers d’une entreprise n’est pas imposé par le droit. Néanmoins, nous suggérons que le choix de faire appel à plusieurs créanciers peut être motivé par l’orientation (pro-débitrice ou pro-créancière) de la procédure collective.

La littérature relative à l’impact des règles de priorité sur l’efficacité ex ante s’intéresse aux conflits entre créanciers et débiteurs d’une part, et entre créanciers d’autre part. Ces conflits affectent la valeur de l’entreprise, dans la mesure où ils sont coûteux et ralentissent les prises de décisions. S’ils nuisent certes à l’efficacité ex post, il peut néanmoins être intéressant pour une entreprise de faire appel à plusieurs créanciers si cela lui est bénéfique lors du traitement judiciaire. Plus précisément, un financement multiple peut à notre sens être motivé par le raisonnement suivant. Si les débiteurs adoptent une approche coasienne, ils tendent à répondre à un droit de la défaillance qui leur est défavorable par un financement bancaire multiple, ce afin de diluer le poids de leurs créanciers. En d’autres termes, l’orientation du droit des procédures collectives, car elle influence le nombre de prêteurs auxquels fait appel l’entreprise, a un impact sur le financement des entreprises, et donc sur l’efficacité ex ante.

Asquith et al. (1994) suggèrent ainsi que la multiplicité du nombre de prêteurs complique les négociations de contrats. Cette inefficacité ex post a toutefois l’avantage d’instaurer de bonnes incitations ex ante pour le dirigeant, dans la mesure où elle force celui-ci à honorer plusieurs engagements au lieu d’un. Cette théorie, connue sous le nom de « design de structure de capital stratégique » est notamment reprise par Von Thadden, Berglöf et Roland (1994).

Von Thadden, Berglöf et Roland (2003) proposent un modèle dans lequel une entreprise négocie un financement auprès de deux créanciers. Lorsqu’il n’existe qu’un créancier et que seule la valeur du collatéral est vérifiable, la capacité d’endettement de la firme est limitée à la valeur du collatéral. Dans cette éventualité, le créancier ne peut en effet

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recouvrer plus que le collatéral en cas de défaut. En revanche, s’il existe plusieurs créanciers, elle peut augmenter sa capacité d’endettement en mettant en gage la valeur de son collatéral chez plus d’un créancier, de sorte que tous se voient conférer le droit de saisir ses biens.

Le lien entre efficacités ex ante et ex post a été largement développé dans la littérature relative à la structure financière (Berglöf et von Thadden, 1994 ; Dewatripont et Tirole, 1994 ; Dewatripont et Maskin, 1995 ; Bolton et Scharfstein, 1996). Ces études suggèrent que les deux types d’efficacité ne peuvent être atteints simultanément lorsqu’il existe plusieurs créanciers. En effet, des relations de prêt multiples entraînent des coûts de négociation des contrats ce qui réduit l’efficacité ex post. En revanche, ces coûts peuvent être bénéfiques ex

ante, dans la mesure où ils incitent le débiteur à honorer ses contrats de dette. Celui-ci est dès lors moins tenté de recourir stratégiquement à la défaillance afin de pouvoir renégocier ses contrats.

En définitive, l’étude de l’efficacité des procédures collectives apparaît comme circulaire, les deux types d’efficacités recherchées étant étroitement liés. Ainsi, la recherche de l’efficacité ex post peut s’effectuer au détriment de l’efficacité ex ante. Or, celle-ci, en mettant en place des mécanismes d’incitation conduisant le dirigeant à prendre des décisions saines peut, si elle n’empêche pas toujours l’entreprise d’entrer en défaillance, à tout le moins en augmenter la valeur ex post.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons articulé notre revue de la littérature autour d’un balancier entre les caractéristiques ex ante et ex post de la défaillance. Dans cette optique, notre réflexion s’est orientée autour de deux axes décrivant le processus de défaillance dans une perspective globale : les trajectoires de déclin et la résolution judiciaire du défaut.

La défaillance d’entreprises apparaît comme un événement particulier qui englobe des dimensions économiques, financières et juridiques. Aussi avons-nous dans un premier temps écarté une définition purement légale du concept de défaillance et avons analysé les raisons profondes de l’échec d’une entreprise. Les causes de la défaillance sont multiples,

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cumulatives et interconnectées, ce qui rend l’établissement d’une typologie délicat. L’étude du processus de déclin approche le phénomène de la défaillance par le biais d’informations contenues dans les états financiers de l’entreprise. Or, Domens (2007) relève que, dans la mesure où elles ne contiennent que des informations quantitatives, ces sources ne rendent compte que des symptômes de la défaillance liés à des facteurs économiques et non de ses raisons véritables, d’autant que les indicateurs comptables peuvent difficilement être associés à des causes économiques. Pour autant, la littérature est relativement consensuelle sur l’impact de l’endettement sur le risque de défaut. Ainsi, un endettement trop élevé, outre accroître les charges financières qui pèsent sur les entreprises, peut conduire à la réalisation d’investissements risqués. A contrario, des difficultés de financement (en raison par exemple d’un endettement trop élevé) peut empêcher la réalisation d’investissements rentables. En ce sens, les variables financières peuvent non seulement signaler les difficultés mais expliquer leur origine, dès lors qu’elles ont joué un rôle actif dans le processus de détérioration de la valeur de l’entreprise. Avec les causes accidentelles et les problèmes de débouchés, les difficultés financières apparaissent d’ailleurs comme les principaux facteurs de défaillance. Si les difficultés peuvent avoir pour point de départ des causes internes et externes, nous avons souligné que le contexte macroéconomique, légal et démographique reflétait surtout des effets mécaniques, et était à relier à des causes microéconomiques. En effet, l’impact de l’environnement sur les difficultés financières des entreprises est d’autant plus fort que celles-ci sont déjà affaiblies à un niveau individuel. D’ailleurs, si la réduction des débouchés constitue une cause majeure de la défaillance, elle est d’autant plus problématique lorsque des tensions au sein de l’équipe dirigeante, voire l’incompétence de celle-ci, paralysent la capacité de réaction et d’adaptation de la firme à une baisse structurelle de la demande ou à une hausse de son environnement concurrentiel.

La compréhension du parcours économique et financier ayant mené l’entreprise à l’échec doit a priori permettre une meilleure prévention de la défaillance afin d’anticiper les difficultés, voire de les résoudre. Toutefois, lorsque l’entreprise, en dépit des dispositifs de prévention mis à sa disposition, connaît des difficultés annonciatrices de la cessation des paiements, elle se trouve confrontée au choix de la manière dont elle va les résoudre ; soit elle choisit de renégocier ses contrats de dette de manière privée, soit elle décide de s’adresser à un tribunal. Si les deux solutions comportent des coûts, la seconde est a priori la plus coûteuse, en raison notamment des frais de dossier et de rémunération des mandataires

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judiciaires. Néanmoins, l’existence d’asymétries d’information justifie de subir des coûts afin de coordonner les intérêts des divers ayants droit ; la procédure collective peut ainsi être vue comme une sorte d’assurance permettant de diminuer les inefficacités liées aux imperfections de marché. Sa survenance modifie profondément le cadre juridique dans lequel évolue l’entreprise en faisant intervenir un droit d’exception : le droit des procédures collectives.

Dans un second temps, nous avons restreint le champ d’application de notre étude en nous focalisant sur les procédures collectives, à savoir les défaillances qui exploitent le dispositif légal mis à la disposition de l’entreprise et de ses partenaires. Nous avons également exclu les mécanismes de prévention mis en œuvre par le tribunal en amont de la cessation des paiements pour deux raisons. D’une part, l’analyse des procédures se trouvant à mi-chemin entre la négociation privée et les procédures collectives est en raison de la difficulté d’accès aux dossiers délicate, ce qui explique que peu d’études se sont penchées sur les dispositifs légaux mis en place avant la cessation des paiements. D’autre part, notre étude étant axée sur un balancier entre le déclin, ex ante, des performances financières et le traitement judiciaire,

ex post, du défaut, nous choisissons de nous positionner de part et d’autre de la cessation des paiements, ce qui implique que nous ne nous intéressions à la gestion du défaut qu’une fois celui-ci avéré. Par ailleurs, les législations de défaillance se distinguent par les incitations qu’elles créent en matière de recours à la négociation privée ; plus elle est attractive, plus l’entreprise (ou ses créanciers) recherchera la protection de la loi. Or l’attractivité de la procédure collective soulève le problème de son efficacité, que nous avons envisagée encore une fois dans une double-perspective : ex ante et ex post.

L’efficacité ex post conduit à s’interroger sur la capacité des règles intervenant après l’ouverture de la procédure collective à maximiser la valeur du projet économique de l’entreprise. Afin d’être efficace ex post, la procédure judiciaire doit remplir plusieurs fonctions : (1) coordonner des intérêts divers, (2) identifier les intérêts des parties et clarifier leurs droits et obligations et (3) déterminer l’issue la plus à même de maximiser la valeur de l’entreprise, compte tenu de sa situation à son entrée en défaillance. La réalisation de ces objectifs implique que le législateur fixe en amont le mode de résolution le plus adapté à l’esprit général de la loi et identifie de détenteur du pouvoir décisionnel. Or, il convient de préciser que la définition du projet économique diffère entre les pays ; généralement exclusivement financier, il peut intégrer, dans des pays comme la France, des considérations

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sociales substantielles. Il est dès lors probable que les décisions prises seront d’autant plus efficaces ex post qu’elles seront prises dans l’intérêt des parties privilégiées par la loi. En retour, on s’attend à ce que les règles régissant les procédures collectives soient intégrées par les agents et qu’elles influencent leurs stratégies avant tout éventuel défaut. L’efficacité ex

ante implique une double incitation. D’une part, elle influence la structure financière des entreprises par le biais de mécanismes incitant aussi bien les dirigeants à prendre des décisions saines que les créanciers à exercer leur fonction de surveillance, ce dès la création de l’entreprise. En d’autres termes, une procédure collective efficace ex ante doit encourager des décisions saines en matière d’investissements. D’autre part, lorsque les difficultés surviennent, le dirigeant sera d’autant plus encouragé à déclencher la procédure qu’il sait qu’il sera traité avec clémence. A contrario, un droit rigide à l’égard des créanciers peut avoir un double effet ; soit l’existence de sanctions le dissuade de retarder l’initiation de la procédure, soit la crainte d’être lésé par la procédure collective l’incite à entreprendre des projets judicieux.

En définitive, l’analyse de l’efficacité ex ante nous renvoie à la fois à la trajectoire économique et financière du défaut et à son traitement judiciaire. Nous proposons dans le prochain chapitre de réexaminer le processus de déclin et sa résolution dans une approche empirique. En particulier, nous évaluons la valeur du projet économique dans une perspective à la fois sociale et financière. En d’autres termes, nous nous demandons si la protection des salariés et la maximisation des montants recouvrés par les créanciers sont des critères d’efficacité ex post conciliables ou alternatifs. Entre ces deux extrêmes, nous nous interrogeons sur l’existence d’une hiérarchie entre ces deux objectifs. A cet égard, nous montrons que la législation française offre, de par ses spécificités sociales, un cadre d’analyse propice à notre démarche.

Chapitre 2

Evaluation empirique de la trajectoire de