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La prévention de la défaillance de l’entreprise en détresse

étude originale sur données françaises

Section 1. En quoi la législation française constitue-t-elle un objet de recherche intéressant ?

2. La prévention de la défaillance de l’entreprise en détresse

A ce stade, l’entreprise n’a pas forcément été confrontée à des difficultés ou à tout le moins, si c’est le cas, ces difficultés peuvent être résolues dans le cadre de la procédure d’alerte. Or, il arrive que les mécanismes de prévention échouent et rendent le défaut quasi-inéluctable. Devant l’ampleur des difficultés, le dirigeant se sent souvent démuni et peut être amené à solliciter l’aide des pouvoirs publics ou une procédure extrajudiciaire afin de faciliter un accord avec les créanciers. Ces deux derniers mécanismes constituent, à l’instar des obligations comptables et d’information (du dirigeant qui doit rendre sa situation financière plus transparente ou de différents organes dans le cadre de la procédure d’alerte), des mesures de prévention, certes à un stade où la pérennité de l’entreprise est davantage menacée.

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a. L’intervention publique

La crise économique des années 1970 et la hausse des défaillances qui en a résulté ont incité les pouvoirs publics à se saisir du problème afin d’en atténuer les conséquences économiques et sociales. La première instance nationale instaurée à cet effet en 1974, le Comité interministériel pour l’aménagement des structures industrielles (CIASI), est en 1982 remplacé par Le CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle), compétent pour examiner les difficultés des entreprises de plus de 400 salariés, quel que soit leur secteur d’activité. Il est chargé d'une part de détecter et de prévenir les difficultés des entreprises, et d'autre part de rechercher des solutions aux difficultés conjoncturelles ou sectorielles. Au niveau départemental, le CODEFI (Comité départemental d’examen des problèmes de Financement des entreprises) assiste quant à lui les entreprises de moins de 400 salariés. Il est saisi par les dirigeants, par l’un de ses membres, ou par le CIRI. Il ne dispose pas de moyens financiers mais organise des réunions avec les partenaires financiers de l’entreprise ou les autres administrations (actionnaires, assureurs, banquiers, créanciers publics ou privés, fournisseurs…) et peut, avec l’accord du dirigeant, mandater un cabinet spécialisé afin de réaliser un audit. Dans le cadre d’un plan de restructuration, il participe à la négociation avec les bailleurs de fonds en vue de la couverture des besoins de financement. Parallèlement furent créés les CORRI (Comités régionaux de restructuration industrielle). Dans un souci de simplification des procédures, ces comités, qui pouvaient accorder des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES), ont toutefois été supprimés en 2004, leurs missions étant transférées au CIRI ou au CODEFI.

Néanmoins, ces organismes se voient reprocher leur manque de transparence, de sorte qu’il est difficile d’estimer leur efficacité. Par ailleurs, le procureur de la République informe le président du tribunal de commerce à chaque fois qu’une entreprise recourt à ces organismes. Si ce dernier peut saisir d’office le tribunal et déclencher une procédure collective, la loi de 1984 (renforcée en 1994103) prévoit un autre moyen de régler les difficultés, sans que cette résolution ne passe par une cessation des paiements.

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b. Le règlement amiable

Le débiteur peut, dans le cadre d’un règlement amiable, négocier avec ses créanciers en vue d’obtenir des délais ou remises de ses dettes. Si la possibilité pour le débiteur de résoudre lui-même ses difficultés en-dehors d’une procédure judiciaire existe a été introduite dès 1919, elle n’est cependant codifiée que dans la loi de 1984 ; le règlement amiable en est d’ailleurs l’avancée majeure. Confidentiel et surtout très souple, il prévoit la désignation d’un conciliateur par le tribunal (article L611-3). L’intervention d’un conciliateur dans les négociations est essentielle car l’entreprise a à ce stade perdu la confiance de ses créanciers. Par ailleurs, l’ampleur des difficultés tend à décourager les créanciers à lui accorder des remises ou un rééchelonnement de dettes par crainte d’être accusés de soutien abusif104.

Cette procédure est ouverte à toutes les entreprises commerciales, artisanales et les personnes morales de droit privé105 qui sans se trouver en cessation des paiements, voient leur survie fortement remise en question. Par conséquent, le règlement amiable ne peut se substituer à une procédure collective : le redressement doit être encore possible. Il ne s’agit en aucun cas de permettre à un débiteur négligent d’obtenir un moratoire supplémentaire. En ce sens, il convient de distinguer le règlement amiable, procédure contractuelle encadrée par le tribunal en amont de la cessation des paiements, de la renégociation informelle, mode de résolution extra judiciaire et alternatif à la procédure collective. Afin d’évaluer les chances de redressement, le tribunal dispose de moyens analogues à ceux qu’il détient dans le cadre de la procédure d’alerte, auxquels s’ajoute un accès aux établissements bancaires et financiers. Tout commence par une requête du débiteur au président du tribunal qui doit exposer les difficultés juridiques, économiques ou financières de son entreprise, ses besoins de financement ainsi que ses possibilités économiques. Cette demande doit obligatoirement être transmise au procureur de la République. Le dirigeant est alors convoqué et il appartient au président du tribunal d’accueillir favorablement ou non sa demande. S’il n’y accède pas, il saisit d’office le tribunal et déclare l’entreprise en état de cessation des paiements. En revanche, s’il juge que les difficultés ne sont pas irrémédiables, il ouvre le règlement amiable et désigne un conciliateur. Le rôle de celui-ci n’est non pas d’exercer un pouvoir de contrainte mais de trouver un terrain d’entente entre les différentes parties. Son objectif est de redresser

104 Si l’accord n’est pas homologué par le tribunal (voir infra).

105 Les entreprises agricoles peuvent également bénéficier de la procédure de règlement amiable, la seule différence étant que celle-ci n’est pas déclenchée par le débiteur mais par ses créanciers.

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l’entreprise par le biais d’un accord avec les créanciers, ce dans la plus grande discrétion. Il est nommé pour une durée de trois mois, celle-ci étant prorogeable d’un mois à sa demande.

Le règlement amiable implique des compromis de part et d’autre ; le débiteur doit engager tous les moyens nécessaires afin de redresser son entreprise, condition pour que les créanciers consentent à des sacrifices. Si l’accord ne réunit pas tous les créanciers, il peut être homologué par le tribunal, qui peut accorder au débiteur les délais de paiement prévus par le code civil (deux ans) concernant les créanciers ne participant pas à l’accord. Si en revanche tous les créanciers sont parties à l’accord, celui-ci doit obligatoirement être approuvé par le tribunal. La loi est finalement assez silencieuse sur le rôle de l’homologation du tribunal. Un accord non homologué conserve son utilité puisqu’en tant que contrat, il lie ses différents signataires, tandis que la common law favorise le débiteur au détriment des créanciers non parties. Le rôle de l’homologation du tribunal est au fond essentiellement psychologique. Elle confère en effet au règlement amiable un aspect juridique qui rassure les créanciers, notamment car elle leur garantit qu’ils ne seront pas poursuivis pour soutien abusif. En outre, la constatation légale de l’accord constitue un titre exécutoire pour chaque partie. Les créanciers doivent respecter les délais et remises consentis, tandis que le débiteur est tenu de respecter son nouvel échéancier de paiement et les conditions qui lui sont associées. Cependant, celui-ci n’est soumis à aucune autre contrainte et il n’est pas dessaisi de la gestion de l’entreprise.

En cas de non-exécution de la part du débiteur, les délais de paiement et les remises accordés sont automatiquement annulés et une procédure de redressement judiciaire est initiée. En revanche, aucune sanction n’est prévue si ce sont les créanciers qui ne respectent pas leurs engagements contractuels. La doctrine est divisée sur le fait de savoir si le non-respect du règlement amiable par le débiteur constitue un critère de déclenchement de la procédure alternatif à celui de la cessation des paiements. Certains affirment que puisque les textes codifiant le règlement amiable ont été rédigés après ceux relatifs à la cessation des paiements, cette dernière prévaut et doit dès lors être déclarée. Pour d’autres, la non-exécution des dispositions du règlement amiable du débiteur ne sachant s’expliquer autrement que par des difficultés financières, elle constitue un critère autonome de déclenchement qui intègre de fait l’incapacité du débiteur à honorer son passif exigible. Il est selon nous possible d’affirmer que la non-exécution du contrat se traduit dans tous les cas par une cessation des paiements,

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de sorte que ces deux critères peuvent se confondre. Il nous paraît toutefois plus pertinent de maintenir le critère de cessation des paiements, peu importe qu’il ait entraîné un non-respect du règlement amiable, ou qu’au contraire il soit dû à une inexécution du contrat.

Le principal avantage du règlement amiable est son caractère disciplinaire et incitatif pour les différentes parties. Les créanciers ont tout intérêt à coopérer et à consentir des compromis s’ils pensent que le règlement amiable leur permettra d’échapper à une procédure collective. En effet, leurs gains seront de toute manière plus élevés dans le cas où l’entreprise poursuit son activité, d’autant plus que le règlement amiable procure au débiteur de bonnes incitations, celui-ci adoptant un comportement d’autant plus sain qu’il craint de perdre son emploi. Dès lors, la résolution contractuelle des difficultés contribue à maintenir en vie l’entreprise, sans que l’on ne puisse reprocher aux banques des comportements de soutien abusif pour autant. En d’autres termes, un accord a d’autant plus de chances d’être conclu que les parties intègrent dans leurs négociations le risque de son échec ; le règlement amiable les incite à mettre tout en œuvre en ce sens. Plus exactement, ce sont les règles régissant les procédures collectives qui ont un impact sur le succès du règlement amiable. Ces incitations vont dans le sens d’une efficacité ex ante du droit français des entreprises en difficultés, du moins concernant le règlement amiable. En pratique néanmoins, il est fréquent que les créanciers refusent d’ « entrer dans le jeu » ; selon eux, les difficultés de l’entreprise vont la conduire inéluctablement à une cessation des paiements.

C. Le contexte législatif de l’étude : la protection de l’entreprise et