• Aucun résultat trouvé

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 1. La défaillance comme résultante d’une double trajectoire

A. Les coûts de la procédure collective

Le traitement de la détresse financière d’une entreprise entraîne des coûts qui diminuent la valeur que les créanciers auront à se partager. Comme nous l’avons vu précédemment, l’existence de ces coûts de faillite a donné lieu à un débat important sur la détermination de la structure financière optimale des entreprises. Que les difficultés financières d’une entreprise se résolvent par voie de négociation ou par voie judiciaire, ces coûts existent dans les deux cas, mais sont vraisemblablement plus importants dans le cas

74

d’une procédure collective. Ces coûts de faillite peuvent survenir à n’importe quel moment de la trajectoire de défaillance : (1) alors même que l’entreprise ne sait pas si elle sera en détresse financière ; (2) lorsque la situation de l’entreprise se dégrade mais avant que la procédure collective ne soit déclenchée ; (3) après l’ouverture de la procédure collective (White, 1992). On peut identifier deux types de coûts de faillite, selon qu’ils sont directement générés par la procédure collective ou lui sont indirectement imputables (Kim, 1978) : les coûts directs et indirects.

1. Le poids des coûts indirects

Les coûts les plus importants, bien qu'ils soient difficilement mesurables, sont les coûts indirects. Ils comprennent à la fois des coûts d'opportunité et d'incertitude qui diminuent la valeur de l'entreprise et sont essentiellement ex ante, à savoir qu’ils surviennent généralement avant la cessation des paiements.

Les premiers trouvent leur origine dans la « distraction » des dirigeants, qui peuvent adopter des comportements de sur ou de sous-investissements lorsque l’entreprise est en difficultés financières mais que la procédure de défaillance n’est pas encore déclenchée58. Le surinvestissement correspond ici au fait que les dirigeants, agissant dans l'intérêt des actionnaires, sont susceptibles d’entreprendre des investissements excessivement risqués alors que l’entreprise est en détresse financière. Si l’investissement échoue, l’entreprise entre en défaillance mais les dirigeants ne s’appauvrissent pas puisque la procédure collective aurait de toute manière été déclenchée, même sans investissement supplémentaire. De fait, ce sont les créanciers qui paient les frais de cet échec dans le sens où leur "part du gâteau" est réduite. Inversement, l’effet de sous-investissement se produit lorsque les dirigeants n’entreprennent pas, pendant qu’ils se consacrent à la réorganisation de leur société, d’investissements pourtant judicieux. Le temps passé par les dirigeants à résoudre les difficultés financières au lieu de gérer l'entreprise entraîne dés lors des conséquences négatives. En réduisant la variabilité du rendement de l’entreprise, les sous-investissements enrichissent les créanciers mais appauvrissent les actionnaires.

58 Ces comportements de sur ou sous-investissements sont à distinguer de ceux, vus précédemment, résultant d’une attitude plus ou moins favorable au risque, d’un contexte de rationnement de crédit ou encore d’asymétries informationnelles.

75

Le second type de coûts indirects est dû aux doutes et asymétries d'information concernant le sort de l'entreprise défaillante et les perspectives d'activité. L’ouverture d’une procédure collective crée souvent une situation d'incertitude quant à la continuation de l'entreprise, et si tel est le cas, sur son degré de continuation. Cette incertitude peut amener les salariés et les partenaires commerciaux à s'investir dans l'entreprise seulement s’ils ont l’assurance qu’elle ne sera pas liquidée. Ainsi, la cessation provisoire de l'activité, la dégradation de l'image, la perte de confiance des partenaires et le départ de certains dirigeants ou salariés qui en résultent risquent d'altérer le potentiel économique de l'entreprise ex post.

Ex ante, l'entreprise risque également de supporter des coûts imputables à une baisse de demande éventuelle si sa clientèle anticipe une défaillance, ce avant même que la procédure collective ne soit déclenchée (Altman, 1984). A ce stade, la situation financière dégradée de l’entreprise peut d’ailleurs constituer un frein à un éventuel rachat de ses actifs (Shleifer et Vishny, 1992). Néanmoins, cette approche ex ante des coûts liés à l’incertitude peut être critiquée, dans le sens où elle suggère que c’est la défaillance qui entraîne un déclin des ventes, et non l’inverse (Lang et Stulz, 1993 ; Opler et Titman, 1994). Or, la réduction tendancielle des débouchés constitue une cause majeure de défaillance.

Concernant plus particulièrement les coûts générés par des asymétries informationnelles, tels que l’aléa moral, on peut à nouveau envisager l’entreprise comme une relation de type principal agent entre des actionnaires et un dirigeant où la valeur de la firme dépend du niveau d’efforts du dirigeant, de même que sa rémunération59. On suppose que le dirigeant est neutre au risque et que par conséquent le contrat optimal est celui dans lequel le dirigeant paie aux actionnaires un certain montant en échange duquel il a le droit de diriger l’entreprise. Son salaire correspond à la valeur de l’entreprise de laquelle sont déduits les dividendes distribués aux actionnaires. Dès lors, le dirigeant fournira un effort jusqu’à ce que le rendement marginal de cet effort égale son coût d’opportunité marginal. Cette théorie (White, 1992) préconise que les dirigeants devraient recevoir une forte rémunération quand les profits de leur entreprise sont élevés. En cas de pertes, ils devraient recevoir un salaire faible ou nul, voire être licenciés. En d’autres termes, les dirigeants seraient punis en cas de prise de décisions non saines et intègreraient cette sanction dans leur gestion. Ainsi, cette théorie suggère que les dirigeants sont susceptibles de travailler davantage s’ils sont traités

59 La théorie de l’agence n’est plus ici appréhendée sous l’angle de la structure financière, mais sous celui des coûts induits par l’aléa moral.

76

sévèrement plutôt qu'avec indulgence. Des sanctions ont d’avantageux par rapport aux garanties qu’elles peuvent être exercées dès qu’un aléa moral se manifeste. Certes, elles impliquent d’importants coûts de vérification, mais c’est précisément une des fonctions des procédures collectives (Blazy, Weill, Umbhauer, 2010). D’autres auteurs, tels qu’Aghion, Hart et Moore (1992), confirment cette théorie ; un régime juridique qui traiterait de manière clémente les dirigeants pendant une défaillance exercerait un effet néfaste sur la valeur de l'entreprise. Ce coût ex ante de la défaillance, à savoir la perte moyenne de valeur par entreprise dans une procédure collective multipliée par le nombre d’entreprises dans l’économie est souvent appelé effet de punition. Il serait faible, voire nul dans un régime de défaillance qui traite les dirigeants sévèrement, de même que dans un régime qui liquiderait toutes les entreprises défaillantes. En ce qui concerne les créanciers et les actionnaires, un effet de punition implique que certains projets pourtant efficaces ne soient pas considérés. Un régime de faillite peut être mis en place en vue de réduire le risque pour certains types de créanciers ou d’actionnaires, comme ne pas soumettre les créanciers privilégiés à la règle dite « automatic stay »60, s’assurer qu’ils seront les premiers remboursés, ou encore subordonner l’adoption du plan de redressement à un vote des créanciers61.

Après que l’entreprise est entrée en défaillance, elle subit de nouveau des coûts indirects, mais essentiellement directs.

2. L’importance des coûts directs

Moindres que les coûts indirects, les frais directement liés à la procédure collective sont pour autant conséquents. En France, la défaillance entraîne des coûts directs liés aux frais légaux et administratifs pour les entreprises, mais également au gel des remboursements pour les créanciers. Ce sont ceux qui doivent être déboursés directement par les créanciers ou l'entreprise dans le cadre de la procédure. Aux termes du décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985 fixant le tarif des administrateurs judiciaires en matière commerciale et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, il est alloué à l'administrateur judiciaire62 une

60 Cette règle instaure, à l’ouverture de la procédure collective, une suspension des poursuites des créanciers.

61 Nous analyserons ces règles de manière plus approfondie dans le chapitre 3.

62 Mandataire chargé par décision de justice d’administrer les biens de l’entreprise ou d’exercer des fonctions d’assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens. Il a, en outre, pour mission essentielle d’établir le bilan économique, social et environnemental de l’entreprise et, éventuellement, le projet de plan de redressement.

77

rémunération fixe. De plus, en ce qui concerne l'élaboration du bilan économique et social et du plan de redressement, les administrateurs judiciaires perçoivent une rémunération en taux de base qui dépend de la taille de l’entreprise. D’autres rémunérations proportionnelles leur sont accordées en fonction de l’issue de la procédure. Ainsi, un droit proportionnel au le chiffre d’affaires leur est attribué au titre de l’assistance du débiteur lors d’un redressement. En cas de cession, leur rémunération est calculée sur le montant total du prix de vente. On constate d’ailleurs que l’administrateur judiciaire est mieux rémunéré lorsque l’entreprise est continuée, au vu de la durée d’une telle procédure63. Aux Etats-Unis, Bris, Welch et Ning Zhu (2006) notent malgré tout une durée et des frais directs similaires entre les procédures relevant du chapitre 764 et celles du chapitre 11. Ceci dit, ils relèvent également que la procédure de réorganisation protège mieux la valeur des actifs, permettant ainsi aux créanciers de recouvrer davantage. Cette ventilation des rémunérations selon les issues peut entraîner des biais, dans le sens où elle crée des incitations pour l’administrateur. Or celui-ci émet des recommandations au tribunal, qui suit généralement son avis. Le commissaire à l'exécution du plan de redressement perçoit quant à lui une rémunération en taux de base dont le barème est identique à celui destiné aux administrateurs judiciaires. A l'instar des administrateurs, on lui accorde en cas de cession une somme qui dépend du prix de vente, ainsi qu’une rémunération lorsqu’il a assisté l’administrateur judiciaire. Le mandataire judiciaire reçoit pour l'ensemble de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire un droit fixe de 2 500 euros. Enfin, le liquidateur se voit allouer un droit proportionnel à tout recouvrement d'actifs introduits par lui. Ces coûts réduisent encore davantage le montant que les créanciers auront à se partager lors du jugement final, d'autant plus si la vente de l'entreprise s'effectue dans l'urgence. Les créanciers sont eux remboursés selon leur niveau de sûreté et doivent en outre engager des frais de justice conséquents.

Les coûts directs ont essentiellement été mesurés aux Etats-Unis. Ils sont d’autant plus élevés que l’entreprise est redressée, que la procédure collective est longue (Weiss et Capkun, 2005), et qu’un administrateur externe est nommé, et leur part dans la valeur de l’entreprise d’autant plus faible que celle-ci est grande (Warner, 1977 ; Ang, Chua et McConnel, 1982).

63 La durée de la procédure est également utilisée comme proxy par certains auteurs (Franks et Torous, 1989 ; Thorburn, 2000) pour mesurer les coûts indirects. Ils notent en effet que l’impact négatif sur la production et les marchés de capitaux est d’autant plus fort que la procédure est longue.

78

Ils sont d’autant moins élevés que la procédure est « prepackaged »65(Thorburn, 2000). Selon Adler (1992), les coûts directs, comprenant les frais légaux et les dépenses administratives, représentent 3 à 25% de la valeur de l'entreprise. Or, plusieurs études empiriques estiment ces coûts plus faibles, d’autant plus que la période étudiée est récente. Ils s’élèvent à 1,8% du total des actifs pour Lubben (2000) et à seulement 1,4% pour Lo Pucki et Doherty (2004). D’autres études les estiment à 4% de la valeur de l’entreprise lors de la cessation des paiements (Warner, 1977 ; Altman, 1984 ; Weiss, 1990) ou 7,5% de la valeur de liquidation à l’issue de la procédure collective (Ang, Chua et McConnel, 1982). En moyenne, le débiteur dépense 500 000 $ en avocats, tandis que les coûts pour les créanciers s’élèvent à 230 000 $ (Lubben, 2000). En Suède, les coûts directement liés aux procédures collectives par enchères66 s’élèvent à 4,5% de la valeur de l’entreprise (Thorburn, 2000).

L’analyse de la valeur de marché (capitalisation boursière) démontre d’ailleurs une perte nette de richesse, dans la mesure où ce qui est perdu par l’un n’est pas forcément récupéré par l’autre, sans que cet écart ne puisse être expliqué par des frais directement liés au procès. Quelle que soit la nature des coûts liés à l’usage de la procédure collective, la littérature s’accorde sur leur importance. Plus lourde qu’un règlement extrajudiciaire, elle implique en effet un audit, une coordination, des acteurs supplémentaires, une transmission d’informations au Bodacc… Aussi peut-on s’interroger sur l’intérêt d’utiliser une procédure coûteuse alors qu’une négociation privée permet également de résoudre la détresse financière.

B. La négociation informelle comme alternative à la procédure