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étude originale sur données françaises

Section 1. En quoi la législation française constitue-t-elle un objet de recherche intéressant ?

D. Le déroulement de la procédure

3. L’issue de la procédure

Au terme de la période d’observation, le tribunal prononce lors d’un jugement final l’issue de la procédure et énonce les modalités de règlement des créanciers. Soit il prononce la liquidation, soit il arrête un plan de continuation ou de cession. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle une entreprise arrivée au terme d’une période d’observation mérite d’être sauvée, la moitié des périodes d’observation se soldent par une liquidation de l’entreprise126. Dans tous les cas, le tribunal est libre et souverain dans ses choix et n’est pas lié par les propositions de l’administrateur.

a. La liquidation de l’entreprise

Lorsque le redressement de l’entreprise est manifestement impossible, le tribunal prononce une liquidation judiciaire soit dès le jugement d’ouverture, soit à l’issue de la période d’observation. A la différence du redressement judiciaire, il n’est prévu aucun plan, les créances non échues sont exigibles et le débiteur est déchu de ses fonctions au profit du liquidateur.

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Lorsque la liquidation est immédiate, le tribunal nomme le juge-commissaire et un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur. Un représentant des salariés et des contrôleurs sont également désignés. Dans le cas d’une liquidation prononcée à l’issue de la période d’observation, la fonction de liquidateur est exercée par le représentant des créanciers. Le liquidateur reçoit du juge-commissaire tous les renseignements et documents utiles à l’accomplissement de sa mission : il procède aux opérations de liquidation en même temps qu’il effectue ou achève la vérification des créances et détermine l’ordre de paiement des créanciers. Il poursuit les actions introduites avant le jugement de liquidation soit par l'administrateur, soit par le représentant des créanciers, et peut entreprendre des actions qui relèvent de la compétence du représentant des créanciers. Il est tenu d’informer le juge-commissaire et le procureur de la République du déroulement des opérations au minimum tous les trois mois.

La liquidation judiciaire a pour but de protéger les créanciers. Aussi, si l’intérêt public ou celui des créanciers l’exige, le tribunal peut autoriser le maintien de l’activité pour une durée maximale fixée en Conseil d’Etat et prorogeable à la demande du procureur de la République. L’administration de l’entreprise est assurée par l’administrateur (ou à défaut par le liquidateur), à qui il appartient de procéder à des licenciements. Les créances naissant à cette période relèvent de l’article 40.

- La réalisation de l’actif

Le juge-commissaire ordonne la cession des biens meubles et immeubles et des unités de production équivalant à tout ou partie de l'actif de l'entreprise. Une vente globale d’unités de production a plus de valeur que la dissociation de biens un à un car elle favorise la sauvegarde de l’emploi. Par conséquent, la loi prévoit de vendre en priorité l’entreprise sous forme de cession de production.127 Quand ce n’est pas possible, les meubles sont réalisés dans le cadre d’une vente aux enchères et les immeubles par adjudication amiable ou de gré à gré.

Les ventes d'immeubles séparément sont réalisées suivant les formes fixées en matière de saisie immobilière. Toutefois, le juge-commissaire fixe, après une audition des

127 Lorsque des unités de production font l’objet d’une cession globale, le liquidateur rassemble les offres d’acquisition pendant un délai qu’il a lui-même fixé. Le juge-commissaire, après audition du débiteur, du comité d’entreprise et des contrôleurs, sélectionne l’offre qui lui paraît la plus sérieuse eu égard à la sauvegarde de l’emploi et au paiement des créanciers (voir infra b- le redressement de l’entreprise).

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contrôleurs, du débiteur et du liquidateur, la mise à prix, les conditions essentielles de la vente et les modalités de la publicité. Il peut, si la consistance des biens, leur emplacement ou les offres reçues sont de nature à permettre une cession amiable dans de meilleures conditions, autoriser la vente soit par adjudication amiable sur la mise à prix qu'il fixe, soit de gré à gré aux prix et conditions qu'il détermine. Après avoir entendu le débiteur et recueilli les observations des contrôleurs, le juge-commissaire ordonne la vente aux enchères publiques ou de gré à gré des autres biens de l'entreprise.

Le liquidateur répartit le produit des ventes et règle l'ordre entre les créanciers, sous réserve de contestations éventuellement portées devant le tribunal de grande instance.

- L’apurement du passif

Le jugement qui prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues. Les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque peuvent exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n’a pas procédé à la liquidation des biens grevés dans un délai de trois mois. Le produit de la liquidation de l’actif est alors réparti entre les créanciers. Les créances salariales munies d’un superprivilège sont réglées en priorité128, suivies par les dépenses administratives, les autres salaires, les dettes fiscales, les créances postérieures (article 40), les dettes chirographaires, puis enfin les prêts participatifs. L’ordre entre les créances privilégiées dépend de la nature du privilège. Les créanciers hypothécaires sont ainsi, parmi les créanciers privilégiés, les premiers payés.

A tout moment, le tribunal peut prononcer, même d’office, la clôture de la liquidation judiciaire soit pour extinction du passif, soit pour insuffisance d’actif. Le débiteur est alors libéré de ses dettes puisque les créanciers ne peuvent recouvrer leur droit de poursuite individuelle, excepté lorsqu’une sanction a été prononcée à son égard : fraude à l’égard des créanciers, faillite personnelle129, banqueroute130 ou lorsque le débiteur ou la personne morale dont il a été le dirigeant a été déclaré en état de cessation des paiements et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif. Les créanciers dont les créances ont été admises et qui retrouvent l’exercice individuel de

128 Elles sont toujours prioritaires, quelle que soit l’issue de la procédure.

129 Sanction civile, sans conséquence patrimoniale, qui interdit d’exercer toute activité commerciale.

130 Actuellement délit qui peut être reproché notamment aux dirigeants d’une personne morale en redressement judiciaire (voir note 100).

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leurs actions peuvent obtenir, par ordonnance du président du tribunal, un titre exécutoire.

Les sanctions prononcées contre le dirigeant peuvent être pécuniaires (obligation de combler le passif) ou, dans les cas les plus graves, personnelles (faillite personnelle – sanction civile-, voire pénales –banqueroute-).

b. Le redressement de l’entreprise

Lorsqu’il est amené à choisir entre un plan de cession et de continuation, le tribunal doit opter pour celui qui offre le plus de perspectives de redressement et d’apurement du passif. Le tribunal n’est pour autant pas tenu de choisir entre une continuation et une cession totale. Les deux modes de redressement peuvent être combinés dans le cadre d’une continuation assortie d’une cession partielle. Le plan de cession peut pour sa part être précédé d’une location-gérance. Le tribunal nomme pour la durée totale du plan un commissaire chargé de veiller à son exécution. En pratique, celui-ci n’est autre que l’administrateur dans le cas du plan de continuation et le représentant des créanciers dans celui du plan de cession. La durée maximale du plan est de dix ans, mais les délais de paiement pouvant être supérieurs à cette durée, la mission du commissaire se poursuit jusqu’à leur terme.

- La continuation de l’entreprise

Lorsqu’il existe des possibilités sérieuses de redressement et de règlement du passif, l’entreprise est redressée par son débiteur. Cette issue est en outre généralement préférée à la cession pour les petites entreprises, qui n’attirent que peu d’acheteurs potentiels. Le plan énonce les conditions économiques, juridiques et financières de la continuation. Le débiteur se voit confier la gestion de l’entreprise et n’a d’autre obligation que de respecter ces conditions. En cas de non-respect de ses engagements, le plan de continuation peut être résolu et la liquidation judiciaire prononcée. Concernant les créanciers, le plan fait état des délais de paiement qu’ils ont consenti lors de la période d’observation mais peut les rallonger au-delà du terme du plan, sans qu’ils ne soient d’ailleurs assortis d’un versement d’intérêts. Les créanciers sont d’autant plus lésés que, s’il est prévu que le premier règlement soit versé dans un délai d’un an, celui-ci est généralement modeste. Les salaires superprivilégiés ne peuvent quant à eux se voir imposer des délais de paiement.

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Notons que la continuation peut également être assortie d’une cession partielle des actifs.

Il existe un débat aussi bien parmi les juristes que les praticiens sur la raison pour laquelle le législateur a décrété que les entreprises présentant les meilleures perspectives économiques devaient être continuées. En pratique, c’est effectivement souvent ce que l’on constate. Néanmoins, on peut également supposer que les meilleures entreprises (indépendamment de leur taille) attirent de nombreux repreneurs et, mécaniquement, une voire plusieurs offres de qualité, de sorte qu’il est probable que ces entreprises soient cédées. Dès lors, l’on peut s’interroger sur la perception que le législateur avait de la cession en 1985 et sur le rôle qu’il lui a attribué.

- La cession de l’entreprise

Lorsque le diagnostic de l’entreprise laisse penser que celle-ci est viable économiquement mais génèrera une valeur supérieure dans les mains d’un repreneur, la cession est appropriée. En ce sens, elle est parfois considérée comme un compromis entre la liquidation et la continuation ; l’entreprise est redressée, ses emplois préservés –ou à tout le moins ont vocation à l’être-, mais son dirigeant « sanctionné ». A cet égard, cette issue reflète bien la distinction opérée en 1967 entre l’ « homme » et l’entreprise, même si elle n’a réellement été envisagée que par la loi de 1985. La cession a pour objet « d’assurer le maintien de l’activité susceptible d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés, et d’apurer le passif ». Confronté à plusieurs offres de rachat, le tribunal va retenir celle qui répond le mieux à ces objectifs, la notion d’ « exploitation autonome » se prêtant d’ailleurs à débat. S’il est souverain dans sa décision, il est cependant vraisemblable que le juge est influencé par l’interprétation par l’administrateur des différentes offres qui lui sont soumises. Nous testerons dans notre étude empirique les motivations du tribunal lorsqu’il sélectionne un repreneur. Si aucune offre ne lui paraît satisfaisante, il prononce la liquidation judiciaire.

La cession peut être précédée d’une période n’excédant pas deux ans, pendant laquelle le fonds de commerce est donné en location-gérance au futur acquéreur. La location-gérance est dans ce cas intégrée dans le plan de cession arrêté par le jugement de clôture. L’achat de l’entreprise étant obligatoire à l’issue de la période,

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elle constitue d’ailleurs une « fausse gérance ». Si le repreneur ne s’acquitte pas de son obligation d’achat, il est automatiquement placé en redressement judiciaire, sauf s’il justifie qu’il ne peut respecter ses engagements en raison d’une cause dont il n’est pas responsable. Dans ce cas, il peut solliciter une modification des conditions (excepté du prix) au tribunal, ce qui constitue d’ailleurs un des principaux intérêts, si ce n’est le seul, de la location-gérance pour le repreneur.

Ces différentes issues de la procédure collective, et notamment les modes de redressement, appellent une réflexion sur le rang que le législateur leur a accordé. Si le choix du tribunal est guidé par les objectifs fixés dans la loi, le redressement doit être, dans la mesure du possible, privilégié. Or, l’on peut se demander si la hiérarchie identifiée dans la loi se retrouve dans la prise de décision du juge. Au vu du déroulement de la procédure collective, il apparaît que le tribunal ordonne dans un premier temps soit une liquidation, soit un plan de redressement. Dans un second temps, il décide si l’entreprise redressée doit être continuée ou cédée. Dans cette optique, l’on s’attend à ce que les seules alternatives possibles soient « liquidation/redressement », puis « continuation/cession », et non « continuation/liquidation » ou « cession/liquidation ». Or, l’on constate qu’en cas d’échec d’un plan de cession ou de continuation, il est procédé à une liquidation judiciaire, alors que l’on aurait pu envisager se reporter sur l’autre mode de redressement. A cet égard, le cas particulier de la cession mérite réflexion. On peut imaginer que si le tribunal juge l’entreprise viable mais émet des doutes sur les capacités de gestion du dirigeant en place, il opte à l’ouverture de la procédure pour un plan de redressement, dans l’intention de prononcer quoiqu’il arrive un plan de cession lors du jugement définitif. Si ce dernier échoue par exemple en raison d’un manque de repreneurs, le juge aura tendance à liquider l’entreprise, d’autant que celle-ci a dans ce cas de fortes chances d’être petite131. Dans cet exemple, on peut envisager que le tribunal est animé par deux intentions a priori contradictoires : mettre d’une part en œuvre, conformément aux objectifs de 1985, un redressement lors de la période d’observation, et sanctionner le débiteur d’autre part. Dans cette perspective, l’application de la législation de 1985-1994 semble faire de la continuation une voie dérogatoire de résolution des difficultés. Ce constat va dans le sens des critiques qui émanaient déjà avant 1994, selon lesquelles les objectifs de la loi sont en raison de procédures inadaptées difficilement

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atteignables. Ce que l’on peut appeler le « paradoxe français » du droit des procédures collectives est précisément l’objet de notre étude empirique.