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CHAPITRE IV : LE TRAVAIL

4.3 La femme au travail Pour le salut de tous

4.3.2 Le vase sacré : symbole de vie

Un élément supplémentaire allant dans le sens de notre hypothèse est l’objet même porté par les travailleuses de Sérusier : la cruche. Celle-ci se reconnaît aisément puisqu’elle est presque toujours peinte de la même façon. Selon la propre définition de Sérusier, il y aurait là un

295 Géraldine Malbire, « Les lavandières de la nuit 1861 par Yan d’Argent » in Denise Delouche, dir. Effets de

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signe, c’est-à-dire un objet représenté de manière conventionnelle et ne nécessitant pas d’explication. L’exemple de Madeleine bretonne, où la cruche apparaît en lieu et place du flacon de nard porté traditionnellement par le personnage biblique, nous pousse cependant à considérer qu’il pourrait aussi s’agir d’un symbole. Dans cette toile, le vase tient lieu de promesse. Il est gage de vie éternelle. Nous voyons une confirmation de cela dans Les porteuses d’eau ou La Fatigue (figure 69), exécutée vers 1897. Ce tableau a été réalisé afin d’orner l’Ermitage, c’est-à-dire la demeure du nabi Georges Lacombe à Alençon.296 Il s’agit

de la seconde tentative de Sérusier à cet effet. Vers le début de l’année 1893, le peintre annonce au courant d’une lettre avoir terminé sept peintures décoratives à l’intention de la maison du sculpteur. Denis, qui se rappelle les avoir observées, les décrit comme présentant un résultat typique des premiers temps passés par Sérusier à Huelgoat. « Ces personnages en costumes noirs », écrit-il, « témoignaient de l’évolution rapide de son art après le départ de Paul Gauguin. 297» Ces « sept figures grandeur nature » seraient aujourd’hui détruites.298 Il

n’est toutefois pas impossible que Sérusier s’en soit inspiré lors de la conception des Porteuses d’eau ou La Fatigue destiné à agrémenter le même endroit. Qui plus est, son thème évoque beaucoup Jeune bretonne à la cruche (figure 7), ainsi que d’autres toiles du même genre produites au courant de sa période Huelgoat. Sa taille ainsi que sa composition permettent de mettre le tableau en parallèle avec un autre exécuté aussi vers 1897 : Les porteuses de linge ou Le passage du ruisseau (figure 70).299 Malgré l’année de réalisation de

la toile, il est à noter que les femmes présentes dans cette image arborent la coiffe du Huelgoat. Nous pensons qu’il pourrait s’agir d’un dytique. Le cas échéant, nous retrouverions une fois de plus cette combinaison déjà observée réunissant lavandières et porteuses d’eau. Fait intéressant à remarquer, dans Les porteuses de linge ou Le passage du ruisseau, nul ruisseau n’est visible. Nous distinguons seulement deux porteuses de linge vêtues de noir descendant le long d’un chemin. Celui-ci semble s’engouffrer jusque sous terre à en juger par un des personnages situé en contrebas du premier et dont le bas du corps est coupé par le cadre. Une source d’eau apparaît cependant en arrière-plan dans Les porteuses d’eau ou La

296 Virginie Foutel, op. cit., p. 92. 297 Paul Sérusier, op. cit., 1942, p. 69.

298 Marcel Guicheteau et Georgette Guicheteau, op. cit., p. 70.

299 Selon un document fourni à notre demande par le Musée des beaux-arts de Brest, établissement en possession

des œuvres Les porteuses de linge ou Le passage du ruisseau et Les porteuses d’eau ou La Fatigue, celles-ci mesurent respectivement chacune 111,5 x 69 cm, sans leurs cadres.

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fatigue. Comme pour faire suite à l’œuvre précédente, la composition montre aussi deux Bretonnes sur un sentier. L’une est d’âge moyen, l’autre vieille. La femme âgée est assise sur le sol, le dos appuyé sur un arbre, les bras ballants. Est-elle morte ou assoupie ? Une cruche de couleur orangée est renversée près d’elle, complètement vide. L’autre figure féminine la regarde. Elle tient à la main un récipient en tous points pareil à celui par terre. Le fait qu’il pende au bout de son bras tendu est indicateur de sa lourdeur. Celui-ci n’a rien perdu de son contenu.

Cette scène particulière laisse penser que Sérusier accordait une importance spéciale à ce type de vase. Il semble symboliser l’existence humaine dans le cas du tableau. Par analogie, nous pourrions, il est vrai, affirmer que celle-ci symbolise le corps humain qui, telle une cruche, n’est autre qu’un récipient. Une fois vidé de son âme il cesse de se mouvoir. Nous retrouvons un vase assez similaire à celui peint par Sérusier chez Papus où cet élément se voit investi d’une signification en rapport avec le cheminement humain. Il apparaît sur la 14e lame du jeu, la Tempérance (figure 44), soit la carte venant juste après la Mort. Cette

figure déversant le contenu d’un vase dans un autre signifie le rétablissement de l’équilibre après la transformation (représentée par la Mort), la circulation des fluides actifs et passifs dans la nature, ceux-là mêmes qui donnent lieu à la vie.300 Cette opposition entre activité et

passivité apparaît aussi chez Sérusier. Nous l’avons vu avec Madeleine bretonne (figure 24), mais aussi dans certaines de ses représentations du travail comme Les Danaïdes ou Femmes à la fontaine (figure 8). Le même type de vase est également figuré plus loin dans le jeu, à la 17e carte du tarot de Papus : l’Étoile (figure 71), où une jeune fille nue épanche sur la terre

le contenu de deux récipients. Cette carte symbolise la parole en action dans la nature, avec toutes ses conséquences. Les fluides de la vie universelle illustrés par la 14e lame sont

désormais versés sur la Terre. Il n’y a plus de retour en arrière possible, or, de ce geste naît l’espérance que la chute n’est pas irréparable, qu’aucune destruction n’est définitive et que le retour vers l’immortalité de Dieu est envisageable en poursuivant de l’avant.301 C’est ce

que signifie l’étoile dont l’arcane porte le nom et que nous pouvons imaginer formée de deux triangles. Il suffira pour cela de penser à l’étoile de David, un symbole présent dans plusieurs

300 Gérard Encausse dit Papus, op. cit., p. 190. 301 Ibid., p. 200.

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cultures, mais surtout associé à la communauté juive. Chez les occultistes, le premier triangle dit « ternaire » évoque le monde matériel, le second triangle le monde spirituel. Si nous les plaçons l’un par-dessus l’autre, le premier à l’endroit et le second à l’envers, leurs lignes se mêlent et nous voyons qu’il se forme un hexagone au centre. C’est la porte attendue vers le monde divin. Nous retrouvons dans ces vases, encore une fois, une symbolique similaire à celle que nous avions envisagée d’abord lorsque nous analysions la Madeleine bretonne : celle d’un chemin spirituel s’ouvrant vers Dieu après une vie consacrée aux plaisirs des sens. Il y a renversement de conscience entre les deux. La Bretonne à la cruche illustrée dans Les mangeurs de serpents (figure 1), résume merveilleusement ces deux notions en offrant une sorte de point pivot entre elles. D’un côté elle tient une cruche, évocation de la vie matérielle. D’un autre côté, la Bretonne serre dans son autre main un serpent. Avec lui vient cette promesse faite au genre humain — une croyance qui domine par ailleurs tout le christianisme —, celle de la vie éternelle.

En résumé, Sérusier, dans ses représentations du travail, met en scène des activités en apparence banale : puiser de l’eau, la transporter, nettoyer des vêtements, etc. Si nous les observons avec attention, nous devons néanmoins admettre qu’il inclut à ces images une dimension spirituelle. Ses figures empruntent parfois au folklore, parfois à Van Gogh, à la mythologie ou encore à la tradition chrétienne. Peut-être même s’inspirent-elles de tout cela à la fois dans un syncrétisme qui correspondrait bien à celui de la spiritualité bretonne. L’idée véhiculée est complexe. Elle s’intègre au concept des Origines. Vie active et vie contemplative s’opposent et se complètent chez Sérusier dans un va-et-vient constant. L’artiste paraît se garder de nous indiquer lequel de ces deux types d’existence a sa préférence. Les calmes lavandières autant que les plus actives porteuses d’eau évoquent la contrition, le repentir. Elles vont de pair, s’inscrivent dans un même cycle constitué de lieux de passage, d’étapes importantes à franchir. Ce qui semble clair, à observer les toiles de Sérusier, est qu’il existe un mouvement d’ensemble faisant adopter à l’Homme tantôt l’une de ces positions, tantôt l’autre. C’est là son fardeau, c’est là sa croix ; la condition nécessaire et obligée à la connaissance de soi. Sur cette route ardue, le peintre n’oublie toutefois pas de suggérer qu’il existe un point définitif, une croisée des chemins où il demeure envisageable de bifurquer, d’emprunter un autre itinéraire que celui de cette roue ascendante et

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descendante qui forme le destin humain. Il est possible d’être simplement, de retourner à cette grande Unité, qui jadis, contint tout en son giron.

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CONCLUSION

Et un vieux prêtre dit, parlez-nous de la religion. Et il dit : ai-je parlé aujourd’hui de quelque autre chose ? La religion n’est-ce pas tout acte et toute réflexion, et ce qui n’est ni acte ni réflexion, mais un étonnement et une surprise toujours naissant dans l’âme, même lorsque les mains taillent la pierre et tendent le métier ? […] Si vous voulez connaître Dieu, ne soyez pas préoccupés de résoudre des énigmes. Regardez plutôt autour de vous et vous le verrez.302 LE PROPHÈTE

Nous avons commencé notre exposé en nous arrêtant sur les Bretonnes de Sérusier, nous terminerons par le récit offert par une femme qui ne l’était pas. Gabriella Zapolska, dans un texte intitulé Huelgoat, raconte s’être promenée en compagnie de Sérusier, de Ranson et de Gabriel Fabre dans cette haute forêt aux noirs piliers de pin, aux granits gris argent, à l’herbe Véronèse et aux défilés profonds.303 Après un repas frugal fait de pain et de beurre dans une

de ces pauvres chaumines bretonnes, la compagnie surprend le spectacle de deux fillettes blondes sous leurs petits bonnets rouges. Assises sur la prairie vert émeraude, silencieuse comme à l’église à écouter le sermon d’un curé, leurs yeux se perdent dans la contemplation du temple de la nature. À cette vision, Ranson s’égaye : « Voilà, voilà… peut-être la fin de renaissances éternelles. » Il n’a pas le temps de s’expliquer plus sur ces mystérieuses paroles que soudain l’enchantement prend fin. La pluie tombe à grosses gouttes, délave le paysage aux vibrantes couleurs. Les symbolistes trouvent refuge sous deux bouleaux clairs. Ils ne se sont pas sitôt mis à l’abri, l’esprit encore étourdi par la belle image de ces deux fillettes blondes, qu’une grêle de pierres et de morceaux de bois leur dégringole sur la tête. Au-dessus d’eux, perchés sous la voûte des arbres, se trouvent les deux petits « anges » qui, quelques minutes à peine auparavant, semblaient prier et qui maintenant leur jouent un mauvais tour… « À croire que nous avions affaire à des singes » s’indigne Zapolska.304 Malgré cet incident,

dix jours après elle découvre dans l’atelier de Sérusier la représentation de deux jeunes filles paisibles devant un ciel sur lequel défilent des cumulus chargés de pluie. Elle s’en voit soulagée :

302 Khalil Gibran, op. cit., p. 77-79.

303 Gabriel Fabre est un musicien. Il a surtout composé pour Maeterlinck. Voir Gabriela Zapolska, Madame

Zapolska et la scène parisienne, textes traduits du polonais par Lisbeth Virol et Arturo Nevill, Montreuil-sous- Bois, Éditions la Femme Pressée, 2004, p. 101-103.

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Ces deux modèles ne vont pas se lever pour, à l’improviste et à la dérobée, lancer des pierres comme de méchants gnomes contre ceux qui manifestent le désir de voir leur âme belle et pure. Car le talent du peintre a fixé ces deux êtres sur la toile, de même qu’il y a fixé l’expression de son âme à lui — âme noble, belle, qui aime l’humanité entière — au point d’en imprégner tranquillement ses farouches modèles. Voilà le symbolisme au plein sens du mot.305

Que représente au juste ce tableau ? Peut-être deux figures féminines comme nous en avons vues tant dans cette étude : une jeune fille, son bonnet sur la tête, une main sous le menton, en proie à une intense réflexion ; et puis une autre, une lourde cruche au bout de son bras tendu, déjà en route vers la demeure familiale. Au loin, au bout du chemin, une de ces bonnes grands-mères comme en a décrit Pierre Loti, l’attend-elle, un bouquet entre ses doigts ? Il nous plaît de l’imaginer. Zapolska nous confirme dans cet extrait que Sérusier s’inspire de la réalité pour peindre ses Bretonnes. Ses femmes s’échinent au lavoir ou bien transportent de l’eau comme dans Jeune Bretonne à la cruche (figure 7). Elles récoltent des fruits ou alors des plantes comme dans La Cueillette des pommes (figure 31). À moins qu’elles ne prennent du repos en pleine forêt à l’instar du juvénile personnage présent dans Solitude (figure 45). Le peintre s’est rendu en Bretagne, loin des sentiers touristiques. Il a observé son visage longtemps et de près. Cependant, tel que le rapporte son égérie, il se peut que l’artiste ait enjolivé ce que ses yeux décelaient, qu’il y ait apporté une part de cette idéalisation de la Bretonne alors en vogue à Paris.

À cet égard, il est à noter que Sérusier n’illustre pas des ouvrières d’usine les mains abîmées par le travail de la conserverie et le front plissé sous leurs coiffes salies. Il ne montre pas non plus des paysannes au champ alors que des machines agricoles déploient leur lourde mécanique en arrière-plan. L’artiste sélectionne ce qui lui plaît. Sans être caricaturale, sa vision est plus près de celle de Jean-François Millet, avec son apologie des campagnes d’avant la révolution industrielle, que de celle de Dagnan-Bouveret. Ses figures féminines appartiennent à une Bretagne idéalisée où perdurerait partout, semble-t-il, le noble travail manuel et où les manifestations de piété s’effectueraient dans les bois, comme aux temps

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anciens. Incantation ou Le bois sacré (figure 10) en offre un bon exemple. Ses personnages, en dépit de leurs costumes bretons, donnent plus l’impression de s’être extirpés d’une pièce de Schuré ou de Maertelinck que de relever d’une Bretagne contemporaine. C’est sous les arches de la Brocéliande d’Arthur qu’elles se promènent et non dans les bois de la péninsule armoricaine de la fin du XIXe siècle.

Surtout, comme le souligne Zapolska, les toiles de Sérusier sont symbolistes. Jean-David Jumeau Lafond, spécialiste de cette mouvance, exprime très bien ce que nous entendons par- là lorsqu’il adresse cette réflexion à son lecteur : « Camille Claudel serait-elle parvenue à ployer le bronze de ses danseurs dans un élan pathétique s’il n’avait été question pour elle que d’une valse de salon et non pas de La valse de la vie ? »306 L’historien de l’art signifie de

cette façon que l’artiste symboliste ne fabrique pas un objet pour le simple plaisir de le rendre visible. S’il s’attarde à sculpter une porte dans ses moindres détails, c’est qu’il s’agit non d’une simple porte, mais de la porte de l’enfer. Auguste Rodin n’extrait pas une simple main d’un bloc de marbre, il met au jour la main de Dieu. Dans cette tendance, chaque élément a sa fonction et sert à renvoyer à une réalité plus haute. Sérusier, de manière similaire, n’offre rien au regard inutilement. À bien les observer, ses figures semblent par ailleurs tellement suggestives qu’il demeure plus facile de les définir d’abord par ce qu’elles ne sont pas. C’est le cas de Solitude que nous avons abordé longuement. Sa jeune « ramasseuse de fougères » ne travaille pas. Il ne s’agit pas non plus d’une expression de la mélancolie puisqu’elle n’en a pas les caractéristiques iconographiques usuelles. La jeune fille serait-elle alors une Jeanne d’Arc sans bannière et sans armure, une version renouvelée de sainte Ursule départie de son traditionnel cortège de onze mille vierges ? Oui et non. À coup sûr, elle paraît posséder les caractéristiques d’une prophétesse sans vraiment être une de celles-là. Les lavandières de Sérusier nous soumettent à une semblable incertitude. Elles ne puisent pas directement de l’eau. Nous ne les voyons pas non plus rincer leurs vêtements au lavoir de façon évidente. Nous pouvons seulement deviner leur tâche. Seraient-ce là les Danaïdes accompagnées des lavandières de la nuit ou alors tout bonnement des femmes à la fontaine ? De quelle fontaine parle-t-on d’ailleurs ici : de celle qui abreuve le village ou alors de la fontaine de jouvence

306 Jean-David Jumeau-Lafond, Les peintres de l’âme : le symbolisme idéaliste en France, Catalogue

d’exposition (Bruxelles, Musée d’Ixelles, 15 octobre 1999 – 31 décembre 1999), Gent, Snoeck-Ducaju & ZoonMusée, 1999, p. 15.

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telle qu’énoncée dans les légendes médiévales et permettant d’accéder à la vie éternelle ? Les images proposées par Sérusier sont résolument équivoques.

Aussi, bien que l’artiste travaille parfois ses personnages d’après modèle — c’est le cas de Solitude — ce ne sont pas de « vraies personnes » avec une histoire, une personnalité, un passé. Le peintre ne cherche ni la ressemblance ni la vraisemblance. Ses Bretonnes sont des types, elles entrent dans certaines catégories reconnaissables. Nous en avons déterminé trois : la Mamm-gozh, les figures inactives au bois dénommées Fiancées de la Mort et puis les Bretonnes à la cruche que nous avons nommées les Épouses. Celles-ci servent à rendre des Idées. Sérusier ne montre pas directement ce qu’il cherche à véhiculer par leur intermédiaire, il se contente de le suggérer par un réseau de signes et de symboles. Il appartient au spectateur d’interpréter ceux-là pour en comprendre la signification. C’est ce que nous avons tenté de faire. Nous avons ainsi pu envisager que même le costume breton était utilisé dans une perspective symbolique. La coiffe, sous son pinceau, est rendue pour ce qu’elle est véritablement, c’est-à-dire un signe distinctif, aisément reconnaissable. Grâce à elle, nous pouvons affirmer que la jeune fille au bonnet de Solitude (figure 45) est encore une enfant, que la femme de La coiffe enlevée (figure 37) a perdu certainement une partie de son innocence et que la Bretonne de La grammaire (L’étude) (figure 23), avec son capot de travail, se trouve bel et bien à l’ouvrage. Qu’importe si un tel couvre-chef n’était pas en usage à Huelgoat, du moment qu’il serve les besoins du peintre. Celui-ci, semble-t-il, est moins intéressé par le caractère pittoresque des habits bretons, à la différence de bien d’autres artistes de son époque, que par leur côté intemporel. Pour paraphraser l’artiste, il tente de faire de l’allégorie, mais sans en faire de la grecque. Il se situe en cela dans la lignée de Gustave Moreau, figure tutélaire du symbolisme, qui se défendait également de faire de la vieille friperie grecque disant, au contraire, devoir tout inventer.307 Le maître n’hésitait pas à

adapter l’iconographie classique de sorte à faire ressurgir l’essentiel des mythes et légendes qu’il abordait. Sérusier n’agit pas différemment.

307 Gustave Moreau, L’assembleur de rêves, préface de Jean-Phaladilhe, texte établi et annoté par Pierre-

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La nature chez lui est transformée de manière à s’accorder harmonieusement à ses personnages. Il s’agit d’un lieu de correspondance susceptible de révéler les liens intimes entre l’Homme et le cosmos. Sérusier est probablement influencé en cela par le milieu culturel duquel il provient ; celui-ci contribue à faire de lui un théosophe observant son