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Le concept de trinité occulte : un système d’explication des Origines

CHAPITRE II : LES ORIGINES

2.3 Sérusier : peintre théosophe

2.3.1 Le concept de trinité occulte : un système d’explication des Origines

Il existe un système d’explication des Origines de l’Homme au sein des sciences occultes. Celui-ci trouve sa résolution à travers trois grands principes fondamentaux. Avant de nous lancer dans son explication, nous aimerions avertir notre lecteur que ce système abscons nécessite une certaine dose d’intuition et de volonté afin d’être saisi correctement. Il n’en

156 Antoine Faivre, « Herméneutique théosophique et discours mythique », Encyclopedia Universalis, [En

ligne], <https://www.universalis.fr/encyclopedie/theosophie/2-hermeneutique-theosophique-et-discours- mythique/>, (page consultée le 22 janvier 2019).

157 Paul Sérusier, op. cit., 1942, p. 114.

158 Emmanuel de Thubert, loc. cit., (page consultée le 1er février 2019). 159 Caroline Boyle-Turner, op. cit., 1983, p. 24-25.

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possède pas moins une logique interne dont nous allons tenter de dresser les lignes principales, car nous sommes convaincue que Sérusier y a adhéré d’une manière ou d’une autre. Papus a travaillé longtemps à simplifier sa compréhension. Selon cet auteur, la clef des Origines de l’Homme se trouve dans la signification kabbalistique du mot « Yahweh » (הוהי). Derrière ce mot sacré, dont l’humanité a perdu le sens initial, résiderait le secret de toutes les sciences divines et humaines. Le nom hébreu de Dieu se décompose en 4 syllabes, dont deux se répètent. י Iod ה Hé ו Vav ה Hé … הוהי Yahweh160

Ce sont ces lettres que nous trouvons dans certaines églises inscrites au sein d’un triangle flamboyant. En occultisme, chacune d’elles renvoie à un des trois principes fondamentaux régissant l’existence. Elles composent leur triade sacrée. Puisqu’elles concernent le fonctionnement de l’univers, il est plus facile de se les figurer grâce à des nombres simples. Le nom de Dieu peut donc aussi se lire ainsi :

י Iod = 1 ou 10 ה Hé = 2 ou 5 ו Vav = 3 ou 6 ה Hé = 4 ou 1

Nous nous permettrons ici une parenthèse afin d’expliquer la logique derrière ces chiffres qui, sans doute, intéressèrent grandement Sérusier en tant que théosophe. En mathématique occulte, afin de connaître la vraie valeur d’un nombre, l’initié procède à ce que Papus nomme « la réduction et l’addition théosophique ». Leur enseignement formait « la base de

160 Gérard Encausse dit Papus, Le tarot des Bohémiens : clef absolue de la science occulte, Moscou, Éditions

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l’instruction secrète et orale donnée à quelques-uns sous le nom d’Ésotérisme ».161 Leur

apprentissage devait permettre de comprendre les lois essentielles de la nature.162 L’addition

théosophique sert à connaître la valeur réelle d’un nombre. Il importe selon cette règle d’additionner arithmétiquement tous les chiffres le composant. 4, par exemple, inclut les chiffres 1 à 4, c’est-à-dire 1 +2 +3 +4 = 10. La réduction théosophique consiste quant à elle à réduire les nombres formés de deux ou de plusieurs chiffres. 10 dans le cas présent, équivaut à 1 + 0, donc 1. Si nous avons bien tout suivi, 4 équivaut par conséquent à 1. Ainsi, tous les nombres que nous pouvons imaginer sont compris entre 1 et 3. De là le fait que 1, 2 et 3 soient considérés comme fondamentaux. Tout se résume à eux. Si nous avions à effectuer un parallèle, nous pourrions affirmer qu’ils sont l’équivalent des trois couleurs primaires en peinture. Par leur mélange, un peintre peut produire une grande variété de couleurs. Rouge, bleu et jaune forment néanmoins la base de tout ce qu’il obtiendra. Il importe de comprendre bien ceci afin de saisir ce qui vient.

Au commencement de l’univers, selon Papus, il y avait l’unité (1), l’Être, l’Actif, le Masculin. Cette unité, comme le cercle, ne connaissait ni début ni fin, elle était infinie. Le 0, ligne sans commencement ni fin, évoque également cette Unité-principe, d’où son nombre : 10. Cette force était dans l’incapacité de se concevoir sans son contraire. Elle ignorait encore sa nature. Afin de connaître ce qu’elle était, elle se scinda et de cette division (10 ÷ 2) naquit son contraire (5 ou 2) : le Non-Être, le Passif, le Féminin. D’un au départ, l’Unité-principe devint ainsi deux. Or, cette division entraîna une réaction (2 +1). Il s’agit du rapport existant entre l’Être et le Non-Être : le Neutre (3). Grâce à lui, le Non-Être se transforma en une version positive de lui-même, c’est le second « ה » (4) ». Il constitue en sommes un retour à l’Unité — 4 équivaut à 1, rappelons-nous — dans sa version améliorée. En d’autres mots, l’action combinée des trois principes ouvre pour ainsi dire une porte vers un état de conscience plus élevé. Nous avons là l’ensemble de la trinité occulte, aussi nommée triade sacrée parce qu’elle se résume à trois nombres. Les Origines de l’Homme sont en entier

161 Ibid., p. 36.

162Rappelons à cet égard que dans l’antiquité, les nombres étaient pensés en fonction de la nature et non en

termes abstraits. Il suffira de réfléchir aux proportions mises en œuvre sur les statues grecques de cette époque pour nous en convaincre. Ces mesures témoignent d’une forme de pensée mathématique tournée vers le visible. Elles permettent de mieux saisir sa teneur.

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contenues dans ces trois entités. Expliqué de la sorte, ce système apparaît difficile d’accès. À bien y réfléchir cependant, nous nous apercevons qu’il suffit de regarder autour de nous pour l’apercevoir en action partout dans la nature. Une façon simple d’arriver à concevoir ceci sur le plan matériel serait par exemple de songer à l’eau. Celle-ci, avec ses phases d’évaporation et de condensation sert de crochet (3) entre le ciel, élément immatériel (1), et son contraire, la terre (2), élément matériel. Sans elle, il n’y aurait pas de vie sur la planète. La terre elle-même obéit à cette loi ternaire par le biais de ce que nous nommons le cycle des saisons. Elle oscille constamment entre des phrases de repos et d’action afin de pouvoir produire la moisson. L’homme qui transite en permanence entre des phases de veille et d’éveil n’échappe pas à cette règle de trois. Pour les occultistes, il se compose d’une âme, d’un corps et d’un esprit.

Papus use cependant d’un autre exemple afin de montrer son système. Selon lui, ces trois principes fondamentaux se comprennent tout particulièrement bien à la lumière de la Genèse. Il est dit dans ce récit qu’au commencement du monde, Yahweh Dieu créa l’homme. À cet homme, Adam, il ne donna qu’une seule consigne : « De tous les fruits du jardin tu peux manger, mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras pas, car du jour où tu en mangerais, tu mourrais. »163 Pour que ce dernier ne fût pas seul à cultiver le jardin,

Yahweh Dieu façonna la femme, Ève. Tous deux étaient nus, mais n’en connaissaient aucune honte. Or, il arriva un jour où le serpent, le plus rusé de tous les animaux des champs, tenta la femme. Elle mangea du fruit de l’arbre défendu et en donna à son mari. Ils reconnurent alors qu’ils étaient nus. Yahweh Dieu les chassa du jardin. Il condamna la femme à enfanter dans la douleur et il astreint l’homme à un travail pénible. Le chemin de l’arbre de vie leur fut interdit. Voici ce que nous déduisons à partir du système de trinité occulte développé par l’auteur. Dans cette histoire, Dieu façonne Adam à son image. L’homme représente par conséquent l’Unité (1) première. Alors que celui-ci dort, la femme est créée à partir d’une de ses côtes. Selon certains théologiens, si cette action survient durant le sommeil d’Adam, c’est qu’Adam représente l’Esprit et Ève l’inconscient ou encore l’Âme — dans le cas qui nous occupe, elle illustrerait le Non-Être (2).164 Autrement dit, l’homme et la femme du récit ne 163 « Histoire primitive, 1-11 » in S. EM. Le cardinal de Lienart, dir., La sainte Bible, Montréal, Société

catholique de la Bible, 1952, p. 7.

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sont pas faits de chair, ne possèdent aucun besoin physique et c’est ce qui leur permet de s’adonner en toute liberté à la contemplation. Cependant Ève dans son innocence commet un péché et Adam, qui en a conscience, décide de le commettre à son tour. La faute est complète puisqu’elle a été proférée par l’Âme en accord avec l’Esprit. La réaction est immédiate. Dieu condamne Ève à enfanter dans la douleur et Adam à travailler la terre. C’est-à-dire qu’il les force à adhérer à un cycle de vie et de mort (3). Alors qu’ils étaient avant cela faits de pur esprit, ils occupent désormais un corps qui les limite. C’est là le sens des « ceintures » dont ils se revêtent. Dieu les condamne à la mortalité. Ils connaissent désormais qu’ils sont sujets non seulement à un début, mais aussi à une fin.

Si Sérusier connaissait, entre 1891 et 1893, cette trinité explicative des Origines de l’Homme, sa Cueillette des pommes, dont le titre original aurait été Connaissance, pourrait, à ce titre, très bien l’exprimer. S’y trouveraient représentés, à travers ses trois volets, ces trois principes fondamentaux que sont l’Être, le Non-Être et le mouvement perpétuel qui découle de leur confrontation. Il y aurait là une explication à cette opposition entre le panneau de gauche, plus positif, et celui de droite, plus négatif. De même nous trouverions là une signification à ces personnages placés au centre de l’œuvre. Ceux-ci, rappelons-le, sont au nombre de trois. Ils illustrent une même action présentée selon trois temps différents : le repos précédant l’action, l’action elle-même et puis son résultat. Si vraiment Sérusier intègre dans cette Cueillette des pommes une allusion à la Genèse comme le pensent Foutel et Boyle-Turner, alors nous sommes forcée d’admettre qu’il s’agit là d’une interprétation très libre. La trinité occulte telle qu’expliquée par Papus accorderait toutefois énormément de sens à ce parallèle.