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La nature de l’homme, applicable à la relation d’agence, a été définie dans un article de Jensen et Meckling (1994), dans lequel les deux auteurs (ces deux mêmes qui sont à l’origine de la définition de la relation d’agence appliquée à la firme (1976)) comparent cinq compréhensions de l’humain usuelles en économie, et montrent, non seulement la supériorité, mais l’universalité du modèle rationnel qu’ils nomment REMM (Ressourceful, Evaluative, Maximizing Model).

Nous n’entrerons pas ici dans le détail de la démonstration de la supériorité du modèle mais notons les points qui nous paraissent importants pour notre parcours.

Ce qui caractérise l’« essence de la nature humaine » (M. Jensen & Meckling, 1994, p. 2) pour les auteurs est que la prise de décision de tout individu est caractérisée par quatre postulats :

• Tout d’abord tout individu est un évaluateur. Intéressé par de nombreux sujets, l’humain est dans une attitude d’évaluation des substitutions possibles, toujours à l’affût d’échanges qui pourraient améliorer sa condition. Le principe de la substitution

est d’accepter l’abandon d’une certaine quantité de biens en contrepartie d’une suffisamment grande autre quantité d’autres biens.

• Les désirs de chaque individu sont illimités. La satiété n’est jamais atteinte. Il est donc toujours en attente de nouvelles substitutions.

• Chaque individu est un maximisateur. Il cherche toujours à obtenir dans chaque situation le niveau de satisfaction le plus important possible, compte tenu des contraintes liées à son environnement, des limites de ses capacités, et du coût de l’apprentissage.

• Enfin, dernier postulat, l’individu est créatif et plein de ressources. Il est capable d’apprendre et de s’adapter. Il évalue les changements possibles de son environnement et crée de nouvelles opportunités.

Cette définition de la rationalité est cohérente avec la définition de la rationalité limitée de Williamson. Elle s’inscrit aussi dans la continuité de la proposition de Herbert A.Simon, si on comprend la satisfaction proposée comme finalité par Simon comme un cas particulier de maximisation, avec prise en compte des coûts d’informations (M. Jensen & Meckling, 1994, p. 4, note 1).

Après cette définition, les auteurs passent en revue quatre autres descriptions de l’humain souvent invoquées. Le modèle de la rationalité parfaite ( appelé « modèle économique »), est critiqué comme une vision trop réductrice de l’homme, à double titre : l’homme n’y serait mu que pour son seul intérêt pour l’argent, ou pour son revenu financier ; il n’évaluerait son utilité qu’à court terme. Il n’est donc pas réaliste pour les auteurs. Le « modèle sociologique » décrit l’homme comme déterminé par son environnement. Ce modèle a le défaut de transformer les hommes en victimes et de nier leurs capacités d’évaluation, d’adaptation, et de créativité. Le « modèle psychologique » est issu de la reprise de la théorie de la hiérarchie des besoins de Maslow. C’est probablement l’interprétation la plus proche du modèle de l’intendance que nous avons décrit plus haut. Les auteurs la critiquent parce qu’elle sous-estime les capacités humaines à rechercher des substitutions, à être prêts à abandonner une partie des biens qu’ils possèdent pour une autre quantité d’autres biens (matériels ou psychologiques). Cette critique peut nous arrêter quelques instants. En effet, c’est l’idée même que les choix de l’homme sont déterminés par des besoins qui est ici remise en cause par les auteurs. Les besoins sont des illusions ; ils ne sont que la manifestation d’un désir de

nouvelle substitution. “Failure to take account of substitution is one of the most frequent mistakes in the analysis of human behavior” (1994, p. 9). Or les besoins psychologiques sont bien à la base de l’analyse de l’homme que nous avons vue pour décrire la relation d’intendance. D’après notre description, nous pourrions dire pourtant que l’intendant accepte de substituer une utilité à court terme contre la satisfaction de besoins psychologiques associés à une utilité à plus long terme. Mais il n’y a pas d’autres substitution meilleure pour lui pour donner sens à sa vie. La satisfaction psychologique est considérée comme la plus haute dans une hiérarchie des besoins conforme à celle de Maslow. Cet argument nous permet de noter au passage que la lieutenance ne relève pas du modèle psychologique, en ce sens que la notion de besoin n’y est pas prise en compte comme principe directeur du comportement économique. Certes Calvin reconnaît l’existence de besoins : les « nécessités » que sont les moyens de subsistance, mais aussi les besoins d’identité, de finalité, de moyens d’actions, comme nous l’avons vu, ne sont pas niés. Le besoin ne fait pourtant que révéler une dépendance, qui doit être reconnue comme dépendance de Dieu. A cette dépendance reconnue, Dieu répond par la promesse, au delà de toute rationalité, que le manque sera comblé (et non que l’opulence sera donnée). Quel est donc le principe directeur du comportement économique pour la lieutenance ? Le manque, sentiment négatif, oppressant, qui forcerait l’action économique, est transformé dans la lieutenance en sentiment de responsabilité, sentiment positif, qui fonde l’action économique sur une tension entre devoir et liberté. Mais comment donc la dépendance radicale que nous avons établie au paragraphe précédent, peut-elle s’interpréter aussi comme une responsabilité au sens positif du terme ? N’est-ce pas paradoxal ? Celui qui est dépendant reconnaît une impuissance. Celui qui est responsable reconnaît un devoir et une capacité.

Le quatrième modèle de comportement remis en cause par Jensen et Meckling est le « modèle politique » qui ressemble fortement à la lieutenance. L’individu dans le modèle politique cherche à maximiser le bien public en maximisant les préférences des autres plutôt que les siennes propres. Les auteurs précisent la distinction entre le comportement altruiste et le comportement « politique ». L’altruiste œuvre pour autrui mais dans le cadre de ses propres préférences. Selon le modèle politique, l’agent est prêt à renoncer à ses propres préférences en faveur du bien commun. C’est bien là le cas de la lieutenance. Or d’après les auteurs, le comportement « politique » ne mène qu’à deux travers : à renoncer d’une part à la prise en charge de la « responsabilité envers soi-même » (1994, p. 28), en rejetant sur les collectivités publiques la résolution de tous les problèmes ; et profiter d’autre part de cette situation pour

élargir les bases de son propre pouvoir. Sous le modèle politique, se cache en fait l’individu REMM. La critique revient donc pour les auteurs à contester la capacité de l’homme à renoncer à ses propres intérêts. Ce ne serait qu’hypocrisie. Mais la démonstration, si l’on peut ainsi la qualifier, n’est faite qu’à partir d’exemples assez typés et sans développement analytique. De cela nous tirons que le phénomène de dépendance reste dans le modèle REMM un impensé et un impensable. Autrui, ou l’Autre ne peuvent orienter les comportements. Or Jensen et Meckling considèrent le modèle REMM comme le modèle universel. Le problème qui naît alors, est qu’il est donc aussi impensable d’intégrer une responsabilité envers autrui, qui ne soit pas en contrepartie d’un autre avantage, qui échappe à la substitution.

Or c’est pourtant ce que propose la lieutenance, laquelle affirme aussi le caractère universel de cette interprétation de l’homme.

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