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Deuxième argument, la place que Calvin accorde à la conscience en fait un sujet responsable de ses actes.

Suite logique de notre développement sur la connaissance de Dieu, si l’homme a une liberté d’interprétation et d’action, la conscience en est l’instance. Toute la vie, spirituelle comme matérielle, étant destinée à se ranger à l’obéissance à la volonté divine, la volonté de Dieu « doit précéder tous nos conseils et tous nos faits » (Calvin, 1978c, liv. III, XIX, §7). Pour ce faire, la connaissance de notre liberté est indispensable, sinon, écrit Calvin, « nos consciences n’auront jamais de repos, et sans fin seront en superstition » (Ibid.).

« Nous voyons [..] à quelle fin tend cette liberté : à ce que nous puissions sans scrupule de conscience ou trouble d’esprit appliquer les dons de Dieu à l’usage pour lequel ils nous ont été ordonnés, et que, par cette confiance, nos âmes puissent avoir paix et repos avec Dieu, et reconnaître ses largesses envers nous » (Ibid, §8).

Ainsi, alors même que la liberté est « en toutes ses parties chose spirituelle » (Ibid, §9), c’est bien à tous les dons de la providence, matériels comme spirituels, que cette liberté s’applique.

La reconnaissance des largesses de Dieu implique le devoir de lieutenance, pour l’exercice duquel est reconnue une véritable liberté.

La liberté est permise par le jeu de la conscience, définie « comme une chose moyenne entre Dieu et les hommes » (Ibid, §15). Elle agit comme une juridiction interne qui recherche incessamment une totale intégrité de cœur par confrontation entre ses propres intentions et la volonté divine. La conscience a Dieu seul pour référent. En ce sens, l’homme reste libre, même lorsqu’il est assujetti à une contrainte du monde.

Pourtant la liberté, ainsi définie par le libre travail de la conscience, ne signifie pas que l’homme se trouve affranchi des lois du monde. Calvin pose donc qu’il y a « deux régimes en l’homme », ou « deux mondes » l’un spirituel dont l’instance d’examen est la conscience et qui regarde à la piété, l’autre temporel, « politique ou civil » (Ibid, § 15) qui consiste en la régulation de la vie en société. Il s’agit de « juridictions » dites spirituelles ou temporelles, ou encore « royaumes » spirituel et temporel. Ceci signifie deux types de régulations : la première par la conscience, la seconde par les lois politiques.

Le premier régime « appartient à la vie de l’âme » (Ibid. § 15) et a rapport à la vie éternelle, le second régule la vie terrestre –les mœurs- par des lois (Calvin, 1978d, liv. IV; XX, §1). Mais pour autant nous allons voir que la conscience est aussi une instance qui permet l’exercice de la liberté dans la vie terrestre. Car, ajoute Calvin, la juridiction terrestre n’est pas sans lien avec le royaume spirituel. La police civile est ordonnée par Dieu, et ce dernier montre aussi par là aussi sa bonté envers l’homme, appelant de sa part à une réponse reconnaissante. « Il faut noter l’insistance de Calvin sur le caractère totalement différent des deux régimes » (Causse & Müller, 2009, p. 102). Calvin explique lui-même cette distinction par le fait que dans le régime spirituel, il y a une vraie liberté vis-à-vis des hommes ; tandis que le régime terrestre implique un devoir d’obéissance aux hommes. Or « la liberté spirituelle peut très bien exister avec la servitude civile » (Cf. Calvin, 1978d, liv. IV; XX; §1). Il serait pourtant faux d’en déduire que la liberté spirituelle est distincte du monde au point d’en être détachable. Le lieutenant exerce sa liberté spirituelle dans la façon dont il gère les biens matériels.

Lorsqu’il insiste sur cette nécessité de l’obéissance aux lois civiles, Calvin a en tête de contrer l’interprétation des anabaptistes qui déniaient toute validité aux lois civiles. Il insiste alors

particulièrement sur l’absence de liberté individuelle face aux lois de son pays ou de sa ville. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune liberté à exercer dans la vie terrestre.

Dans sa polémique contre les anabaptistes, Calvin condamne aussi explicitement leur refus de s’occuper des « négoces de ce monde » (Ibid., § 2) , comme s’ils étaient choses indignes d’eux. Par ce mot de « négoces », il comprend, au delà du seul commerce, les activités touchant la conduite de la société. Il étend donc le gouvernement terrestre au politique, à l’économique et au social. La raison profonde de la validité de l’engagement humain dans les questions économiques et politiques est que, même si le royaume spirituel auquel tout croyant peut aspirer n’est pas de ce monde-ci, nous recevons d’ores et déjà quelque avant goût de ce royaume :

« […]cette espèce de régime [le régime terrestre] est différente au règne spirituel et intérieur de Christ : aussi il nous faut savoir d’autre part qu’elle n’y répugne nullement. Car ce règne-ci, qui est spirituel, commence déjà sur la terre en nous quelque goût du royaume céleste, et en cette vie mortelle et transitoire quelque goût de la béatitude immortelle et incorruptible : mais le but de ce régime temporel est de nourrir et entretenir le service extérieur de Dieu, la pure doctrine et religion, garder l’état de l’Eglise en son entier, nous former à toute équité requise à la compagnie des hommes pour le temps que nous avons à vivre parmi eux, d’instituer nos mœurs à une justice civile, de nous accorder les uns avec les autres, d’entretenir et conserver une paix et tranquillité communes. » (Ibid., § 2).

Ainsi le régime terrestre est-il subordonné au régime spirituel. On retrouve bien le sens de la mission de lieutenance d’agir dans le régime terrestre pour soutenir le projet de Dieu pour l’humanité. Dans ce même sens, les magistrats, en charge de l’ordre civil, sont plusieurs fois appelés dans ce chapitre XX « lieutenants de Dieu », ou « ministres de Dieu ».

Ainsi la « police » est comprise au sens large comme l’action des hommes pour garantir un certain ordre dans la société. Le magistrat est celui qui a pour charge d’administrer ce vivre ensemble. Ce qu’en dit Calvin peut être élargi à toute personne qui en a la charge, toute personne qui a quelque pouvoir dans la société. « Il est démontré qu’ils ont commandement de Dieu, qu’ils reçoivent leur autorité de lui, et qu’ils représentent pleinement sa personne, étant en quelque sorte ses vicaires » (Calvin, 1978d, liv. IV, XX, §4). « Ils ont charge et commission de Dieu pour le servir en leur office » (Ibid.)48. Et encore : « bien qu’il y ait

48 Une preuve, s’il en est besoin encore, que le devoir de lieutenance tel que Calvin le décrit pour les magistrats, s’étend à toute personne ayant pouvoir de contribuer au vivre-ensemble est sa référence à Rm 12, 8 dans ce même article de l’Institution. Dans ce passage, reprenant l’image du corps, Paul exhorte à reconnaître que chacun reçoit de Dieu une place particulière en fonction de ses compétences, et que leur mise en œuvre est nécessaire à la vie du corps entier.

diverses formes et espèces de supérieurs, toutefois, ils ne diffèrent en rien sur ce point, que nous devions les recevoir tous comme ministres ordonnés de Dieu » (Ibid., liv. IV, XX, 7).

« Toutes lesquelles choses je confesse estre superflues, si le règne de Dieu, ainsi qu'il est maintenant en nous, esteind ceste présente vie. Mais si la volonté du Seigneur est telle, que nous cheminions sur terre cependant que nous aspirons à nostre vray pays: davantage, si telles aides sont nécessaires à nostre voyage : ceux qui les veulent séparer de l'homme, luy ostent sa nature humaine. » (Calvin, 1978d, liv. IV, XX, §2)

Ainsi il serait faux de déduire de cette distinction entre les régimes, que la conscience n’agit qu’en matière spirituelle et que la vie terrestre n’est que stricte obéissance. Le travail de la conscience englobe toute la réalité spirituelle comme matérielle. Ainsi l’obéissance se trouve définie comme acte d’évaluation et de décision touchant à la conservation et au développement du monde au regard de la conformité à la volonté de Dieu. L’homme est bien sujet agissant.

Troisième argument : l’homme a des capacités certes limitées, mais réelles,

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