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Le modèle d’homme de la relation d’intendance

Davis & alii considèrent donc que les deux théories de l’agence et de l’intendance reposent sur deux modèles d’hommes différents (Davis et al., 1997b, p. 24ss.). Dans la théorie de l’agence, l’agent est considéré comme servant ses propres intérêts. Il est autonome et détermine lui même ses propres priorités (Davis et al., 1997b; Eisenhardt, 1989). Dans la relation d’intendance, l’agent évalue qu’il a une utilité plus grande à servir les intérêts de l’organisation que les siens propres. S’il a le choix entre se servir lui-même et servir la collectivité, il préférera l’attitude coopérative à la non-coopérative. En ce sens, il s’agit bien d’un individu rationnel « Because the steward perceives greater utility in cooperative behavior and behaves accordingly, his or her behavior can be considered rational” (Davis et al., 1997b, p. 24). C’est en choisissant l’attitude pro-organisationnelle qu’il maximise son utilité.

D’après Davis et alii, le choix du modèle d’homme repose sur une distinction entre motivations intrinsèques et motivations extrinsèques. Ainsi, les leviers sur lesquels la théorie de l’agence s’appuie sont des motivations extrinsèques : les incitations, ou les gains escomptables pour l’agent s’il aligne ses intérêts, sont exclusivement des éléments quantifiables ou mesurables. En revanche, dans le cas de l’intendance, les incitations ne sont pas quantifiables. Elles sont inhérentes à l’individu, de l’ordre de la croissance personnelle, de la réalisation de soi, du renforcement du lien social. Ce sont donc des motivations intrinsèques, conformément aux modèles de la pyramide de Maslow, ou à une théorie Y de Mc Grégor.

A certaines personnes il est pertinent d’appliquer un contrat d’agence, à d’autres un contrat d’intendance (Davis et al., 1997b; Hernandez, 2012). D’ailleurs, dans le temps, une même

relation peut évoluer de l’intendance vers l’agence et réciproquement. La culture de l’organisation influence notablement les comportements. Dans les faits, deux facteurs de choix sont identifiés. D’abord le type de contrat dépendra du niveau d’aversion au risque du principal (Davis et al., 1997b, p. 26). “Agency prescriptions can be viewed as the necessary costs of insuring principal utility against the risks of executive opportunism » (Davis et al., 1997b, p. 26). Un principal ayant une forte aversion au risque considèrera a priori l’agent comme étant mu par ses propres intérêts, et donc a priori non coopératif.

Ensuite, le choix dépendra de l’acceptation par l’agent et par l’organisation d’un ensemble de facteurs psychologiques nécessaires à une culture d’intendance. Nous dénombrons ici quatre aspects de cette attitude pro-organisationnelle :

• Une démarche d’identification de l’agent à l’organisation est nécessaire, en acceptant comme pour lui-même sa mission, sa vision, ses objectifs. L’organisation devient alors « an extension of the steward’s psychological structure » (Davis et al., 1997b, p. 29; Cf aussi: Hernandez, 2012, p. 180). C’est dire la puissance de cette identification. L’homme se conçoit non pas comme partie prenante de l’organisation, comme un acteur y agissant plus ou moins librement, mais comme une partie de l’organisation elle-même. Le succès de l’organisation devient le succès de la personne elle-même et construit ainsi son identité. La part émotionnelle qu’elle investit dans la relation contribue à la qualité de la relation d’intendance (Cf. Hernandez, 2012, p. 175; 182).

• Il faut aussi choisir d’user de pouvoir d’influence davantage que du pouvoir donné par une position hiérarchique. La relation type de l’intendance est une relation entre pairs et un leadership partagé. La quête de pouvoir personnel est une motivation pour s’impliquer dans une attitude coopérative (Davis et al., 1997b, p. 31ss; Hernandez, 2012, p. 178). Le pouvoir personnel est fondé sur le respect, l’expertise, la capacité relationnelle. Il facilite l’émergence de la confiance dans la relation. Le besoin de pouvoir personnel (au sens d’une reconnaissance fonctionnelle) de la part de l’agent est positivement corrélé à son niveau d’engagement personnel.

• Le concept d’autoréalisation de soi (Self actualizing agent) a été particulièrement développé en théorie des organisations par Argyris (1973a, 1973b, 1973c), à la suite de Maslow. Il formalise l’idée que l’individu aspire à être responsable de sa propre vie, à poser par conséquent des choix personnels et prendre des initiatives, à être

proactif quant à sa perception d’être un individu en croissance. La relation d’intendance s’appuie sur cet aspect de sa personnalité. Elle porte en elle la promesse que l’organisation pourra être un lieu d’épanouissement pour la personne.

• La notion de propriété psychologique exprime le fait que l’agent développe un état d’esprit par lequel il adopte pour lui-même le point de vue du propriétaire. Il s’approprie psychologiquement l’organisation et ses buts. « The core of psychological ownership is the feeling of possessiveness and of being psychologically tied to an object. » (Pierce, Kostova, & Dirks, 2001, p. 299). Cet état d’esprit s’appuie sur l’identification de l’agent à l’organisation, vue plus haut, mais construit de plus un lien psychologique de possession favorable à l’implication de la personne. Cette attitude de possession psychologique s’appuie sur un besoin de contrôler et d’être efficace dans ses actions (conséquence logique de la recherche d’auto réalisation de soi), d’un besoin de concrétisation du processus d’identification vu plus haut, ainsi que d’un besoin psychologique d’avoir un « espace propre » dans lequel on se sent avoir une place (Pierce et al., 2001, p. 300). Un des effets de cette propriété psychologique est l’attribution aussi d’un certain nombre de droits à l’agent (droit à l’information, droit d’influencer la direction, etc).

Ces quatre facteurs d’identification, de pouvoir personnel entre pairs, d’auto réalisation de soi et de possession psychologique permettent de développer un sens de la responsabilité compris comme l’acceptation du partage du fardeau que représente l’organisation, la participation à sa cause et le devoir de la faire avancer (Pierce et al., 2001, p. 303). Cette responsabilité est définie comme la contrepartie des droits qui sont accordés. Par exemple le droit de participer aux décisions est contrebalancé par la responsabilité de faire entendre sa voix ; le droit d’être informé a pour conséquence le devoir de s’informer soi-même au sein de l’organisation. Ce processus d’identification de soi à l’organisation donne droit à « grandir » et à s’auto réaliser, mais a pour corollaire une responsabilité comprise comme un devoir de nourrir, de soigner, de protéger, de faire des sacrifices pour contribuer aux buts de l’organisation (Pierce et al., 2001, p. 303).

Peut-on parler de négociation implicite ? L’enjeu de l’agent est de trouver une communauté pour laquelle il veut coopérer et partager un sens commun des responsabilités (Hernandez, 2012, p. 176). En échange de quoi, il sera en droit d’attendre un certain nombre d’avantages psychologiques personnels. La communauté adoptée comprend les membres de

l’organisation, ses propriétaires, ses parties prenantes. L’intendance consiste donc certes en un choix d’interdépendance mais dans un cercle délimité par des objectifs communs, choisi sans contrainte autoritaire. L’agent en effet est compris comme un individu autonome pour déterminer son niveau de besoins et pour entrer dans une négociation implicite sur une équivalence entre ce que l’agent doit, son niveau de responsabilité, et ce qu’il reçoit, y compris en terme de réalisation de soi. Ainsi, dans la conception de l’intendance, le rapport à autrui, est instrumental. La responsabilité n’est pas liée au fait même de l’existence d’autrui, mais à un calcul de contreparties entre droits et devoirs. Finalement, à une maximisation d’utilité. Nous voyons maintenant qu’il en va autrement dans la lieutenance.

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