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L’ascétisme intramondain est caractérisé par cette conviction que les œuvres sont susceptibles de confirmer l’état de grâce du croyant. Il se développe par une « inflexion progressive de la doctrine de Calvin » (Weber, 2003, p. 120, n. 43) : le piétisme considèrera la mise en œuvre d’une discipline de vie comme un signe de l’existence d’une vraie église, alors que Calvin, comme Luther, caractérisait l’Eglise par les seuls faits que la Parole de Dieu était droitement prêchée et les sacrements administrés. L’ascétisme est un trait fondamental de cette conception particulière de la vie qui génèrera chez ses zélateurs un « esprit du capitalisme »8. Cet ethos consiste alors à chercher à gagner toujours plus d’argent à l’exclusion de toute « jouissance ingénue» (Ibid., p. 27).

Cette sainteté par les oeuvres est décrite chez les puritains comme une conduite de vie rationnelle, méthodique (Cf. Weber, 2003, p. 133ss), dont le but est de contrôler son état de grâce par la conduite elle-même. La grâce « ne pouvait se confirmer que dans une

6 Herbert Lüthy ne contredit pas ici Weber lorsqu’il écrit : « il n’est pas vrai que l’homme réformé ignore s’il est élu ou damné [...] le fait d’entendre et de croire la parole du Christ est le signe certain que la grâce l’a touché » (Lüthy, 1965, p. 22).

7 Paul Doumergue conteste qu’il y ait eu un fossé entre Calvin et ses successeurs (Théodore de Bèze) sur l’appréciation des œuvres comme preuves de l’élection. Pour Calvin comme pour Bèze après lui, la foi seule était la preuve de l’élection et les œuvres ne pouvaient être interprétées comme signes (Doumergue, 1917, p. 627).

transformation fondamentale du sens de la vie tout entière, à chaque heure et en chaque action » (Weber, 2003, p. 134). D’où la nécessité d’une discipline rigoureuse. Le contrôle de l’état de grâce était, nous l’avons vu, une idée rejetée par Calvin. Mais voyons ce qu’il en est pour lui de la nécessité d’une discipline et de la manifestation de la foi à travers les œuvres. Weber démontre que l’idée de mettre en ordre la conduite de sa vie de façon rationnelle est commune au monachisme et aux principes calvinistes (Weber, 2003, p. 135 à 139). On retrouve le même type d’ascèse dans la tradition monastique et dans tradition calviniste, avec pourtant une distinction majeure : l’idéal de perfection catholique était incarné par le moine, qui s’élève au dessus des contingences matérielles, hors du monde, tandis que le calvinisme a enraciné la recherche de sainteté dans la vie quotidienne. « La Réforme a fait sortir des couvents l’ascèse chrétienne et la méthode de vie rationnelles pour les transporter dans la vie professionnelle séculière » (Weber, 2003, p. 136, n. 81)

Cette idée que la sainteté doit se manifester détache le calvinisme du luthéranisme. Weber fait la distinction entre la quête luthérienne d’union avec Dieu sous la forme mystique de la « pénétration du divin dans l’âme » (Weber, 2003, p. 124), qui perçoit l’homme comme

réceptacle de la grâce et l’approche de Calvin qui comprend l’homme comme instrument de la grâce9. Pour Calvin, Dieu est à ce point transcendant et impénétrable qu’il est exclu que l’homme puisse ainsi s’imprégner du divin. Le seul rapprochement possible de Dieu passe par la conscience que Dieu agit en l’homme, conscience donnée par la foi, elle-même suscitée par la grâce. Ainsi donc les deux interprétations affirment le salut par la foi seule, mais le luthéranisme par la voie de l’union mystique, et Calvin et ses successeurs par l’engagement dans l’agir ascétique. Calvin a réalisé une valorisation nouvelle de l’agir moral, que ne feront qu’amplifier les puritains. L’idée que la gloire de Dieu est la seule fin de l’agir est aussi propre au calvinisme, selon Weber. Le luthéranisme a pour visée d’apporter aux hommes des « biens de salut » (Weber, 2003, p. 183). Nous trouvons sur ce point chez Weber une exposition toute à fait crédible et cohérente d’un aspect de la pensée de Calvin qui aura une importance fondamentale pour notre interprétation.

8 Nous pouvons retenir pour cet ethos la définition de Besnard : « l’esprit du capitalisme est la modération de la soif du gain par une conduite rationnelle » (Besnard, 1970, p. 62)

9 Weber suggère que la morale puritaine s’est développée par amplification de l’idée pour « les saints » d’être un « ustensile » de Dieu exécutant les décrets de la providence (Weber, 2003, p. 146). Il précise que Calvin lui-

On ne peut donc écarter que Calvin ait pu partager une conviction de la nécessité d’une forme d’ascétisme, même si Weber n’utilise pas dans son essai le terme à son propos. Rien ne dit alors que l’ascétisme de Calvin soit comparable à celui des puritains. Mais il était aussi exigeant. Weber réaffirme que la Réforme, et le calvinisme de Calvin tel qu’il l’a mis en place à Genève au XVIème siècle, n’a pas libéré l’homme mais au contraire, a remplacé la domination sur l’individu exercée par l’Eglise Catholique par une autre forme, infiniment plus pesante. Weber parle de « contrôle ecclésial sur l’individu » (Weber, 2003, p. 7), lequel a été vécu comme insupportable, y compris par une large couche du patriarcat genevois de l’époque. La discipline parfois très stricte exercée sur les mœurs dans les états calviniens a eu quelquefois pour effet d’inhiber les motivations subjectives de l’individu pour le développement de cette conduite de vie ascétique. En revanche, elle a favorisé le développement d’un comportement extérieurement conforme à ces règles ecclésiastiques devenues policières (Cf. Weber, 2003, p. 194). Le «contrôle ecclésial », partiellement inefficace selon Weber, serait devenu plus tard chez les puritains un «contrôle de soi » dont la force contraignante serait devenue remarquable.

Weber attribue au « calvinisme » la prise en compte nouvelle de l’Ancien Testament comme inspiré au même titre que le Nouveau (Cf. Weber, 2003, p. 143). Il acquérait la même autorité sauf pour les dispositions qui n’auraient été qu’une réponse à la situation historique du peuple d’Israël. Weber rattache à l’influence de l’Ancien Testament le développement du caractère rationnel de la conduite de vie, par « étouffement du versant mystique et plus généralement sentimental de la religiosité » (Weber, 2003, p. 143). Il écrit qu’il le constate dans les positions puritaines. Mais sachant les longs développements que Calvin a présenté de la loi mosaïque, il est probable que ce rationalisme pouvait, dans l’idée de Weber, être contenu, au moins en germe, dans la pensée de Calvin. Le luthéranisme a insisté davantage sur l’impossibilité de suivre pleinement la loi, et a qualifié d’orgueilleuse l’approche calvinienne considérant la loi comme une norme. Cette bibliocratie, comprise comme lecture particulière de la Bible lui accordant le statut de norme applicable en ce monde, pourrait, pour Weber, expliquer la conviction de Calvin de la nécessité des oeuvres et d’une vie sainte. « L’idée que ce qui est nécessaire à la béatitude est contenu dans l’Ecriture avec assez de clarté, et ce

même se comprenait comme « ustensile » de Dieu (Cf. Weber, 2003, p. 118), ustensile étant compris au sens le plus matériel et basique d’instrument de ménage.

même pour les non-instruits » (Weber, 2003, p. 157, n. 114), est en accord avec toutes les traditions protestantes.

Calvin aurait-il été ainsi jusqu’à défendre la nécessité d’une « foi efficace », « foi [qui] doit se confirmer dans ses effets objectifs » (Weber, 2003, p. 125) « pour servir de base sûre à la

certitudo salutis » ? La note 54 soutient que l’idée est explicite dès les écrits de Bèze. Weber ajoute que Calvin n’est pas loin d’adopter la même position, à ceci près qu’il maintient très explicitement l’impossibilité de distinguer les élus des réprouvés et d’acquérir autrement que par la foi seule la certitude de la grâce (Cf. Weber, 2003, p. 126, n. 54 et 128, n. 67) :

« Chez Calvin lui-même, il est établi, certes, que la « sainteté » doit aussi se manifester (Instit. IV, I, §2,7,9) mais la frontière entre les saints et les non saints reste insondable pour le savoir humain. Nous sommes tenus de croire que là où la parole de Dieu est annoncée en toute pureté, dans une Eglise organisée et administrée selon sa Loi, des élus sont aussi présents – quand bien même nous ne saurions les reconnaître » (Weber, 2003, p. 128 et 129, n. 67).

De ce fait, selon Weber, l’idée de la constitution d’une « aristocratie des régénérés » (Weber, 2003, p. 163), idée présente dans le piétisme et le puritanisme, ne peut pas être rattachée à Calvin.

Ainsi, l’ascétisme intramondain reflète-t-il ce devoir d’avoir une foi efficace et de rechercher la manifestation de la sainteté dans la vie présente. Sur ce point encore, la pensée de Calvin est présentée par Weber comme un premier développement qui aurait servi de socle à une radicalisation de la pensée par les puritains, jusqu’à parvenir à une conduite de vie comprise comme un système dont le but est de créer une certitude de salut par une sainteté visible. Calvin n’aurait pas été jusque là mais il aurait fourni les bases du développement ultérieur. L’ascétisme intramondain est en ce sens partiellement applicable à Calvin.

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