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Calvin appelle loi naturelle l’expression du juste et de l’injuste tel que tous les hommes de tous les peuples peuvent la mettre en œuvre pour vivre en société, indépendamment de leur connaissance de la Bible. « L’homme est de nature compagnable, il est aussi enclin d'une

affection naturelle à entretenir et conserver société » (Calvin, 1978b, liv. II, II, §13). Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, Calvin reconnaît en l’homme un sujet doté de raison et d’une capacité à agir, c’est-à-dire aussi d’une certaine autonomie. Cette autonomie s’étend à la capacité de penser un ordre juste dans la société. « Il y a en tous hommes quelque semence d'ordre politique: ce qui est un grand argument que nul n'est destitué de la lumière de raison quant au gouvernement de la vie présente» (Ibid).

La loi naturelle permet d’avoir une première compréhension du juste et de l’injuste, de ce qui doit être sanctionné par la loi, et de ce dont il faut juger selon le droit. « Il y a un jugement universel en l’homme à discerner le bien et le mal », selon la loi naturelle, c’est-à-dire un sens de la justice imprimé dans tous les cœurs pour savoir comment il faut bien vivre (Ibid., liv. II, II, 22 à 24). La loi naturelle inspire le droit civil. Les règles s’appliquant en matière économique relèvent de la loi naturelle, en tant qu’art de gouverner sa maison et arts mécaniques. Nous retrouvons ici la distinction qu’opérait Calvin entre richesses matérielles et richesses spirituelles :

« Il nous faut user d'une distinction qui sera telle : assavoir que l'intelligence des choses terriennes est autre que celle des choses célestes. J'appelle choses terriennes, lesquelles ne touchent point jusqu’à Dieu et son royaume, ni à la vraie justice et immortalité de la vie future, mais sont conjointes avec la vie présente, et quasi encloses sous les limites de cette vie. Les choses célestes, je les appelle la pure connaissance de Dieu, la règle et raison de vraie justice, et les mystères du royaume céleste. Sous la première espèce sont contenues la doctrine politique, la manière de bien gouverner sa maison, les arts mécaniques, la philosophie et toutes les disciplines qu'on appelle libérales. A la seconde se doit référer la connaissance de Dieu et de sa volonté, et la règle de conformer notre vie à cette connaissance. » (Calvin, 1978b, liv. II, II, §13)

La justice extérieure, justice des faits, est déductible de la loi naturelle et nécessaire à la conservation de la société. Elle est aussi appelée « honnêteté externe » (Ibid., liv. II, VIII, §6) et a pour fin de maintenir l’honnêteté et l’ordre civil afin de permettre à la communauté humaine de subsister (Cf. Ibid., liv. II, II, §13).

La loi naturelle est une expression partielle de la loi divine. Elle est donnée par Dieu –même aux non-croyants- et sa fin s’inscrit dans l’ordre plus large de la charité, tel que la loi divine en rend compte. « La liberté est laissée à toutes nations de se faire telles lois qu'ils aviseront leur être expédientes, lesquelles néanmoins soient compassées à la règle éternelle de charité, de sorte qu'ayant seulement différentes formes, elles viennent a un même but » (Calvin, 1978d, liv. IV, XX, §15).

Or, précise Calvin (idem, § 16), l’équité, qui est naturelle à tous les peuples est le fondement sur lequel repose toutes les lois civiles. La formulation des lois civiles change, mais la raison

d’équité est universelle. Ce sens universel de l’équité permet d’affirmer que la loi divine et la loi naturelle ne sont pas en contradiction. La loi naturelle apparaît comme une transcription, au plan politique, de la loi de Dieu :

« L'équité, d'autant qu'elle est naturelle, est toujours une même à tous peuples : et pourtant toutes les lois du monde de quelque affaire que ce soit, doivent revenir à une même équité. Touchant des constitutions ou ordonnances, d'autant qu'elles sont conjointes avec circonstances, dont elles dépendent en partie, il n'y a nul inconvénient qu'elles soient diverses, mais qu'elles tendent toutes pareillement a un même but d'équité. Or puisque la loi de Dieu, que nous appelons Morale, ne

soit autre chose sinon qu'un témoignage de la Loi naturelle et de la conscience, que notre

Seigneur a imprimée au cœur de tous hommes, il n'y a nul doute que cette équité dont nous

parlons maintenant, ne soit en celle-ci parfaitement déclarée. Pourtant il convient que cette

équité seule soit le but, la règle et la fin de toutes lois. Derechef, toutes lois qui seront compassées à ceste règle, qui tendront à ce but, et qui seront limitées en ces bornes, ne nous doivent déplaire,

de quelque manière qu’elles diffèrent de la Loi Mosaïque, ou bien entre elles-mêmes. »

(Calvin, 1978d, liv. IV, XX, §16) (je souligne)

Pourtant la loi naturelle n’est pas l’expression complète de la loi divine, elle en est une expression partielle. La loi de Dieu, qu’il appelle aussi la loi morale, qui trouve son parfait exposé dans le décalogue, est en effet organisée en deux tables : la première table comprend les quatre premiers commandements du décalogue et expriment comment Dieu doit être servi. La loi naturelle ne la prend en considération que de façon limitée, par le seul fait que tous les hommes savent qu’il est un Dieu et qu’il est juge. La seconde table (les six derniers commandements du décalogue) décrit le service dû au prochain et la loi naturelle a de cette partie une appréhension suffisante, bien qu’incomplète, pour former une société. Les préceptes de la loi de Moïse sont pourtant plus exigeants. Calvin cite l’exemple de la vengeance, qui n’est pas interdite dans la loi civile, mais qui pourtant est interdite par la loi mosaïque (Calvin, 1978b, p. II, II, § 24).

Ainsi la loi naturelle apparaît comme l’expression d’un sens universel de la justice, qui, quelque soit sa formulation, est conforme à la volonté de Dieu. Nous examinons maintenant le sens de l’équité dans la loi naturelle, puis nous aborderons le sens de la justice comme équité et charité dans la loi morale.

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