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Duarte prend la tête d'un groupe et lance un appel à la population afín qu'elle se soulève contre le gouvernement du PCN. Des manifestations populaires s'organisent. Le gouvernement déclare l'état de siège et réagit comme à son habitude par une violente répression. L'évêque de San Miguel et vicaire de l'armée, José Eduardo Alvarez, déclare alors que les paysans massacrés n'ont eu que ce qu'ils méritaient. Suite à cela, une tentative de coup d'État avorté force le candidat éconduit à s'exiler au Venezuela jusqu'à 1979. Ces élections serviront de déclencheur au processus qui mènera à l'affrontement direct entre les divers acteurs sociaux vers la fin des années soixante-dix, puis à la guerre civile au cours des années quatre-vingts.

C'est en 1970 que surgissent les premières organisations révolutionnaires armées d'extrême- gauche. Celles-ci prennent surtout de l'importance après la fraude électorale de 1972 qui permet l'élection du colonel Molina. Ces organisations révolutionnaires, marginales au départ, choisiront une solution armée visant à renverser le régime militaire par la force. Cette option est motivée par le fait que les voies démocratiques à !'intérieur du pays ne sont qu'une parodie. À cette époque, en Amérique latine, le modèle cubain est à la mode et des guérillas sont également à l'oeuvre au Guatemala et au Nicaragua, de même qu'en Colombie. Il apparaît important de souligner que plusieurs membres des mouvements de guérillas au El Salvador et dans d'autres pays d'Amérique latine, se sont inspirés d'un idéal chrétien. Mais il faut savoir distinguer à l'intérieur de ce mouvement radical les membres issus d'une mystique de la violence et ceux qui, ayant épuisé tous les moyens pacifiques de revendications sociales au sein des organisations populaires, furent contraints par la force à l'exil ou à la lutte armée à partir de 1980.

Par ailleurs, un nouveau phénomène social connu sous le nom d'organisations de masse, commence à voir le jour au cours des années soixante-dix. Celles-ci, par le nombre de militants et de sympathisants qu'elles réussissent à mobiliser entre 1977 et 1980, deviennent des acteurs sociaux incontournables que le gouvernement s'obstinera pourtant à ignorer en apparence et à combattre dans les faits.

Ces organisations de masse sont des coalitions de paysans, de syndicats, de professionnels, d'étudiants, et de groupes d'habitants des bidonvilles qui commencent à faire des pressions afin de réclamer une justice sociale. Leurs tactiques comprenaient des manifestations publiques et des occupations d'édifices gouvernementaux, de manufactures et de fermes afin de faire avancer leurs demandes [...]. Quoique les premiers groupes de guérillas aient été formés bien avant les organisations de masse, ils n'ont pas joué un rôle important avant que la répression du gouvernement déplace les activistes des organisations de masse vers les groupes de guérillas déjà établis 38.

3.1.4 - L’Église catholique et son option préférentielle pour les pauvres

Au début des années soixante, avant le Concile Vatican Π, l'Église catholique amorce son entrée dans la modernité grâce aux encycliques Mater et Magistra (1961) et Pacem in Terris (1963) du Pape Jean XXIII. Celui-ci met l'accent sur le droit de chaque être humain à posséder un niveau de vie décent, d'avoir accès à l'éducation et de participer pleinement à la vie politique de son pays. Ces idées vont fortement influencer Vatican Π, lequel placera carrément !Église du côté des changements sociaux en accentuant la dimension communautaire et en s'opposant à une vision autocratique de l'Église. Vatican Π a été et demeure une mise à jour importante dans la vision de !Église. Celle-ci, sous le règne de Paul VI, passera d'un pouvoir centralisé et autoritaire à un pouvoir voulant être davantage au service de l'humanité. La notion de Peuple de Dieu y sera accentuée surtout dans le document conciliaire, promulgué par le successeur de Jean ΧΧΠΙ. Gaudium et Spes se réfère à l'agir social des chrétiens et selon lequel ces derniers ont le devoir de répondre à l'appel des « peuples de la faim ».

Jamais le genre humain n'a regorgé de tant de richesses, de tant de possibilités, d'une telle puissance économique; et pourtant, une part considérable des habitants du globe sont encore tourmentés par la faim et la misère et des multitudes d'êtres humains ne savent ni lire ni écrire. Jamais les hommes n'ont eu comme aujourd'hui un sens aussi vif de la liberté, mais, au même moment, surgissent de nouvelles formes d'asservissement social et psychique. [...] Les peuples de la faim interpellent les peuples de l'opulence 39.

38 RUSSELL, Philip L., El Salvador in Crisis, Austin, (Texas), Colorado River Press, 1984, p. 129-131.

39 «Gaudium et Spes » dans Vatican II, les seize documents conciliaires, Montréal et Paris, Fides, 1967, p. 176- 177 et 180.

Ces idées vont rapidement se tenir à l'avant-scène compte tenu, d'une part, de la situation misérable de la majorité des peuples latino-américains, et d'autre part, de la participation à la base d'une minorité de prêtres et d'agents de pastorale. D'abord au Brésil, puis dans l'ensemble de l'Amérique latine, des clercs et des laïcs engagés dans leur Église vont choisir de vivre une forme de pauvreté évangélique en solidarité avec le peuple. Celui-ci, en formant des communautés ecclésiales de base, va prendre conscience progressivement de la situation d'injustice dont il est victime. Il va apprendre, à partir d'une lecture de l'Évangile, à avoir non plus une attitude résignée par rapport au monde mais à porter un regard critique qui l'amènera à agir.

Cette théologie amorçait aussi une révolution culturelle par son herméneutique tout à fait neuve, qui prétendait comprendre l'histoire de l'Église sur le continent à travers le regard des pauvres et des opprimés, qui osait redonner aux femmes le droit à !'explication de la parole sacrée, et qui cherchait à redéfinir les formes de !Église de demain. Cette doctrine est doublement neuve, d'une part parce qu'elle prétend fonder son analyse de la société sur la base des sciences sociales, reconnues comme des disciplines quasi exactes et, d'autre part, parce qu’elle se veut, en même temps une praxis de libération 40.

La progression des sciences sociales va permettre de démontrer clairement que la pauvreté est plus souvent qu'autrement le fruit d'un système qui perpétue les inégalités et les injustices tout en niant les droits élémentaires des plus démunis : droit à la terre, à l'éducation, à la santé, au travail et à la démocratie. Ce système d’injustices équivaut dans les faits à une véritable négation de l’être, du citoyen (en tant que membre de la cité) et de la vie elle-même. Cette négation de la dignité la plus fondamentale se manifeste par l’exclusion de tout lieu d’appartenance (domicile, travail, école, culture) et d’identité autre que celle de la misère, de la violence et de la honte. Ces conditions de vie infra humaines obligent les hommes d’Église à une option éthique des plus exigeantes. Cet appel se multiplie par le nombre de visages crucifiés par la misère et devient une clameur à laquelle leur conscience ne peut demeurer sourde. Une telle misère ne pouvait laisser indifférents des hommes sensibles au message libérateur de l'Évangile, d'un Dieu qui s'est fait solidaire des plus humbles de son temps. Peu après le Concile, Paul VI, publie l'encyclique Populorum Progressio qui finira de galvaniser les membres de !Église progressiste d'Amérique latine.

L'action à entreprendre : la destination universelle des biens. Le récent concile l'a rappelé : «Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. Tous les autres droits quels qu'ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés; ils ne doivent donc pas entraver mais bien au contraire faciliter sa réalisation, et c'est un devoir social grave et urgent de les ramener à leur finalité première 41.

La Conférence du CELAM 42 à Medellin allait refléter cette lame de fond d'une Église qui se voulait dorénavant au service des plus démunis. À cette époque, le rapport des luttes de libération historique avec la libération annoncée par Jésus-Christ va devenir l'axe majeur de la Théologie de la Libération qui naît en Amérique latine. Medellin se voulait une lecture des Actes du concile réalisée à partir de la réalité socio-historique et ecclésiale de ce continent. Les séances de celui-ci avait donné T occasion à des dizaines d’évêques de se côtoyer pendant des mois. Cela permit l’émergence d’une nouvelle identité continentale de l’Église latino- américaine. Dom Hélder Camara ne fut d’ailleurs pas étranger à cette nouvelle conscience de la responsabilité historique des clercs envers leurs fidèles. Par son travail de coulisses au cours du Concile, il sut se gagner l’affection et l’assentiment de plusieurs évêques concernant l’importance de faire la promotion de la justice sociale. Les points centraux présentés dans les conclusions de cette rencontre sont : « les pauvres et la justice ; l’Amour du prochain et la paix dans une situation de violence institutionnalisée ; l’unité de l’histoire et la dimension politique de la foi43 ».

41 PAUL VI, «Populorum Progressio», dans Trois encycliques sociales, Mater et magistra, Pacem in terris, Populorum progressio. Paris Seuil, 1967, p. 209 ou no 22.

42 Au point de départ de l'irruption du politique au sein de !'institution ecclésiastique, on trouve la CELAM