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Au point de départ de l'irruption du politique au sein de !'institution ecclésiastique, on trouve la CELAM (Conférence épiscopale latino-américaine), un organe de liaison entre les divers épiscopats du continent, créé en

1955 à l'initiative de dom Hélder Camara, alors simple évêque auxiliaire de Rio de Janeiro. Celui-ci avait déjà organisé, trois ans auparavant, la CNBB (Conférence épiscopale brésilienne) dont il fut le premier secrétaire général. Avec Mgr Lamín, évêque de Talca (Chili), dom Helder fut un secrétaire général efficace du CELAM dans les années qui précèdent le concile de Vatican Π. VAYSSIÈRE, Les révolutions d'Amérique latine, p. 263. 43 Voir OLIVEIROS, Roberto, “Historia de la Teología de la Liberación” dans ELLACURÍA, Ignacio, SOBRINO, Jon, (dir.), Mysterium Liberationis, Conceptos fundamentales de la teología de la liberación, T I, San Salvador, UC A editores, 1990, p. 31.

Cette prise de position constitue une rupture historique du concordat séculaire entre l’Église et l’État. En effet, les rares occasions où l’Église, en tant qu’institution, s’était élevée contre les abus du pouvoir séculier, c’était la plupart du temps pour défendre ses propres intérêts matériels. C’est le concept de « l’Église Peuple de Dieu », du Concile Vatican II qui permit cette ouverture en élargissant les rangs des membres de l’Église à l’ensemble des laïcs, ce qui en Amérique latine, équivaut à l’immense majorité du peuple. Ce choix éthique apparaît également pour l’Église comme une question théologique fondamentale. Comment pourrait- elle continuer de bénir les élites enfermées dans une attitude égoïste et répressive et donc en situation de péché mortel, (mort de l’âme), au détriment des masses pauvres et opprimées, véritables serviteurs souffrants de Yahvé ? C’est ce qu’insinue le texte de Medellin :

L'Épiscopat latino-américain ne peut rester indifférent devant les terribles injustices sociales existant en Amérique latine qui maintiennent la majorité des peuples en une pauvreté douloureuse, qui, en de très nombreux cas, atteint une misère inhumaine. Une sourde clameur jaillit des millions de poitrines, demandant à leurs pasteurs une libération qui ne leur vient de nulle part 44.

Le pauvre apparaît comme une victime de l’injustice du système, il n’est pas responsable de sa misère contrairement à ce que l’idéologie dominante propage. Ce texte marque le ton; à le lire, on croirait presque que ce sont les évêques eux-mêmes qui ont faim tant le texte colle à la réalité de l'oppression et de la misère. Le Magistère est allé très loin dans ses déclarations, en faisant sien ce discours social. Le contexte déterminé de l'Amérique Latine va donner chair à des idées audacieuses. On passe d'un texte qui dénonce l'injustice en général à un discours situé dans l'histoire d'une région déterminée. C'est cette contextualisation qui va lui donner toute sa force et son relief. Par la suite, les praticiens de la libération, agents de pastoral, curés, religieuses et membres des CEBs, vont le pousser encore plus à fond à partir d'une théologie contextuelle qui s'enracine dans la réalité particulière de chaque village. Plus le texte s'incarne dans la réalité, plus il prend sens et devient subversif pour l'ordre établi car il met en évidence les incohérences du système en relation avec le plan de Dieu qui désire l'émancipation du péché et de l'esclavage du genre humain. Les théologiens de la libération en tant qu’intellectuels organiques vont s’inspirer de ce nouveau courant ecclésial et tireront les

conséquences logiques dans leurs travaux de synthèse. Ils fourniront en retour, à tous ces 44 CELAM, Medellin, Los textos de Medellin y el processo de cambio en América Latina, San Salvador, UCA

praticiens, des outils méthodologiques à même de faire avancer de manière systématique les efforts de libérations sociales. Par leurs recherches exégétiques et leurs efforts de vulgarisation, ces théologiens apporteront également tout un bagage d’argumentation biblique et doctrinaire susceptible d’ordonner et de légitimer ces nouvelles orientations pastorales.

Véritable nouveauté, la Conférence plaçait l'homme latino-américain au centre de sa réflexion, non pas l'homme abstrait, intemporel, mais l'homme engagé dans un «processus historique», celui de la transformation du continent, pour laquelle l'action devenait plus urgente que la parole. Six des seize conclusions de Medellin étaient, en effet, consacrées à la promotion de l’homme et des peuples du continent vers les valeurs de la justice et de la paix, de !’éducation et de l’amour chrétien. Les évêques proclamaient : « Nous sommes au seuil d’une époque nouvelle de l’histoire de notre continent, époque clé du désir ardent d’émancipation totale, de libération de toute espèce de servitude...» Même s'il reconnaissait l'injustice de la réalité sociale, l'épiscopat latino-américain n'allait pas, pour autant, jusqu'à soutenir la violence révolutionnaire 45.

Medellin parle néanmoins de « libération » : « ceux qui l’attendent et ne la reçoivent de nulle part. » Ce mot est beaucoup plus fort que celui de charité ou de justice; il fait état du peuple qui devient sujet de sa propre libération. Ce thème deviendra le leitmotiv de la Théologie de la Libération. Terme subversif s'il en est un, surtout dans les oreilles des dominants. Le Christ va dès lors prendre un nouveau visage, celui d'un Libérateur qui agit dans le coeur des gens et donne la force de lutter pour la promotion de la dignité humaine. Le visage du Christ en croix sera alors identifié à celui du peuple lui-même, crucifié par la misère et l'oppression. L'histoire de l'Amérique latine est toute entière parsemée de massacres des populations par l'armée, de tentatives de libération écrasées dans le sang. Cependant, cette nouvelle révolution ne demande pas d'armes. En fait, il s'agit davantage d’une prise en main, par le peuple, de ses propres destinées par la voie des organisations communautaires et par l'éducation aux droits fondamentaux. Pour ce faire, le document de Medellin affirme que : « La pauvreté de l’Église et de ses membres en Amérique latine doit être « signe et engagement ». Signe de la valeur

editores, 1987, art. 14,2, p. 103.