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Cette influence n'empêche cependant pas Romero de demeurer libre devant cette tentative de renouvellement du pouvoir. Ainsi, lorsqu'il s'apercevra que la répression ne cesse d'augmenter suite à ce coup d'Etat, il recommencera à critiquer l'armée et le gouvernement pour la violence perpétrée contre la population civile. Après le 15 octobre 1979, l'archevêque se retrouve dans une situation délicate. Les organisations populaires se sentent trahies et les jeunes militaires sont également déçus parce qu'ils espéraient un appui total et sans condition à leur cause. Tout cela manifeste encore une fois le rôle central qu’exerce Mgr Romero. 11 est devenu un élément décisif autant pour les militaires en place que pour les organisations de la gauche salvadorienne. Toutefois, en cette fin d'année, il apparaît de plus en plus évident que ce sont les militaires qui commandent et non pas la junte civico-militaire issue du putsch contre le général Romero.

De plus, la gauche se radicalise en réaction à la répression des forces de l'ordre qui interdit toute solution négociée. Ainsi, à plusieurs reprises, des jeunes militants de la gauche rendent visite à Mgr Romero. Ceux-ci croient que la lutte armée est l'unique alternative valable qui s'offre au peuple afín d'en terminer une fois pour toutes avec tous les vices politiques, économiques et moraux du pays. Il y a en eux beaucoup de mystique et d'authenticité, constate l'archevêque, mais l'idéal de ces jeunes gens entre en contradiction théorique et pratique avec l'idéal chrétien en ce qui a trait à la non-violence et à la réconciliation. En effet, les deux partis en arrivent à désirer !'anéantissement complet de l'adversaire. Durant les années de guerre qui suivirent, la présence de prêtres et d'agents de pastoral qui réaliseront une pastorale d'accompagnement auprès des guérilleros du FMLN permettra d'humaniser ce conflit dans le sens d'un plus grand respect de l'intégrité et de la vie des prisonniers.

3.2.7 Un peuple crucifié

Le 3 janvier 1980, Mgr Romero tente une médiation entre les membres civils et les militaires, mais cela n'empêche pas la démission de tous les civils de haut rang de ce gouvernement de même que de certains juges de la Cour suprême de justice. La Démocratie chrétienne saisit alors l'occasion de s'unir avec les militaires afin de former une nouvelle junte civico-militaire. Au cours de ses derniers mois de vie, Oscar Romero prend conscience que l'unique sortie raisonnable pour le pays semble celle proposée par la «Coordinadora General de Masa»,

dans le sens de la naissance d'un Front démocratique révolutionnaire. L'archevêque a conscience qu'en dehors de certains groupes qui souhaitent une solution pacifique, plusieurs ne voient qu'une seule sortie possible pour la population : la lutte armée.

Lors de ses homélies du 13 et du 21 janvier 1980, l’archevêque présente au peuple les trois projets politiques qui s'offrent à la nation : l'oligarchie, le gouvernement de la Démocratie chrétienne et le projet des organisations populaires. Le premier projet social, imposé au pays depuis des lustres, est celui de l'oligarchie en alliance avec les forces de répression. Celle-ci n'a à offrir que le statu quo de la misère et le pourrissement social. Concrètement, elle utilise tous ses pouvoirs pour maintenir ses privilèges en plus d'être derrière les activités de certains groupes d'escadrons de la mort.

La seconde alternative est celle offerte par la junte civico-militaire. Ce régime a promis des réformes intéressantes et nécessaires mais Mgr Romero déplore le fait que ces réformes s'accompagnent de fréquentes violations à F encontre des droits de la personne. À ce sujet, il rappelle !'impossibilité d'effectuer les réformes à cause de certains militaires de haut rang qui défendent avec acharnement le statu quo et, de ce fait, court-circuitent tout projet de réforme véritable. Afin qu'un véritable régime démocratique s'installe, il est nécessaire que la junte s'ouvre aux aspirations et aux opinions exprimées par le peuple. Sans quoi, il apparaît impossible de gouverner pacifiquement cette nation. « Aucun gouvernement ne peut se constituer, si avec ses promesses de changements et de justice sociale, il se souille lui-même chaque jour selon les rapports alarmants qui nous proviennent de partout, de cruauté répressive aux dépens des gens eux-mêmes 75 ».

La dernière alternative politique qui s'offre à cette nation demeure celle en provenance des organisations de masse. Mgr Romero les encourage à trouver une plus grande cohésion entre ses diverses factions. Il souhaite en fait que ces organisations oublient leur politique partisane afin d'arriver à une forme d'unité qui reflète les intérêts communs de la patrie. L'archevêque conclut son homélie par un appel à la paix afin d'éviter une guerre douloureuse à ce pays. Il

s'adresse au peuple tout entier afin qu'ils se mettent à l'oeuvre de partager leur être et leurs avoirs, à chacun selon leurs conditions sociales.

Le 22 janvier 1980, une manifestation pacifique des principales organisations populaires regroupent de 150 000 à 200 000 personnes dans le centre de la capitale. Cette marche des organisations populaires cherche à démontrer que, sans leur appui, personne ne peut gouverner avec justice et paix au El Salvador. Malheureusement, l'armée réprime violemment cette démonstration de solidarité populaire. Elle fait feu à partir du sommet des édifices, sur les gens qui défilent dans la rue. Le bilan est de 20 morts et de 120 blessés. Cette brutale répression démontre une fois encore !'impossibilité pour ces organisations de se mobiliser pacifiquement afin d'obtenir des changements dans le système oligarchique en place au El Salvador. Oscar Romero dénonce fermement ce massacre et il écrit une lettre ouverte au président américain Jimmy Carter. Comme le relève Noham Chomsky :

L'archevêque de San Salvador l'implora de ne pas envoyer d'aide militaire à la junte qui «sait seulement comment réprimer le peuple et défendre les intérêts de l’oligarchie salvadorienne. Cette aide « servira selon toute certitude à augmenter les injustices et à aiguiser la répression qui a été lancée contre le peuple organisé qui lutte pour défendre les droits humains les plus fondamentaux 76 » .

Pendant les dernières semaines de sa vie, Oscar Romero cherchera à éviter le déclenchement d'une guerre civile. Il se fait médiateur entre les secteurs les plus opposés de la société salvadorienne. Malheureusement, la violence politique, les exécutions sommaires et les disparitions font partie d'une stratégie militaire inspirée d'un concept de guerre à «basse intensité» qui vise à éliminer systématiquement tous les opposants politiques. Il s'agit d'une stratégie qui englobe toute l'Amérique centrale; le gouvernement américain craint de plus en plus la colère populaire qui risque de s'embraser dans un effet de dominos. Romero est conscient de tout cela; il en parle explicitement dans son journal 77 et c'est pourquoi il décide d'écrire cette lettre au président Carter afin que cesse l'aide américaine à la junte militaire en place 78.