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Niveau herméneutique

20 DE SIVATTE, Dios camina con los pobres, p 72-73.

ici comme quelque chose qu’on obtient facilement, c’est justement cela la tentation du retour en arrière. Cette liberté est maintenant à leur portée, ils ont grandement souffert pour la conquérir, non contre des ennemis extérieurs, mais contre leurs propres faiblesses. Romero perçoit les difficultés de la vie comme des épreuves qui doivent nous rendre meilleurs.

Comme Moïse, nous nous demandons lorsque nous vivons des tribulations dans la société, quand nous nous retrouvons comme en ces jours dans une impasse : Pourquoi Dieu permet-il cela ? Et Moïse rappelle au peuple : pour t’affliger, pour te mettre à l’épreuve, pour connaître tes intentions. Ce sont les difficultés, les pierres d’assise où se distingue l’or fin des hommes véritables, des véritables chrétiens. Ainsi, comme c’est également le cas dans ces circonstances, lorsque les hommes blasphèment, lorsque les hommes critiquent Dieu et son Règne, parlent contre Moïse qui les guide et quand ils préfèrent vivre dans leurs commodités, même si c’est comme esclaves21.

Cette théologie de l’épreuve n’est définitivement plus au goût du jour dans les pays développés. Romero sait cependant puiser une force à l’intérieur des récits les plus durs, afin de nous dire qu’il ne faut jamais désespérer lorsqu’on a la foi en Dieu. La Théologie de la Libération est d’abord une théologie de la souffrance et de la compassion. Elle est intellectu amoris selon Jon Sobrino22 et cet amour est préférentiel. Cette théologie ne fait pas l’apologie de la souffrance mais reconnaît son expérience douloureuse au sein des masses pauvres et opprimées auxquelles les puissants et leurs institutions semblent vouloir nier tout visage humain, toute identité et toute dignité. Les chemins de la facilité ne sont pas ceux que Dieu favorise pour aguerrir notre cœur. La libération correspond à un effort de maturation afin de devenir des hommes et des femmes adultes dans la foi, capables d’affronter l’adversité en demeurant sereins et en sachant guider et réconforter nos frères à partir de cette foi en Dieu. Romero poursuit dans cette veine :

Comme il nous en coûte de comprendre que les épreuves de Dieu, les difficultés du chemin, sont les monnaies d’échange qui nous permettent d’accéder à la liberté, à la dignité, à l’allégresse d’être libre. (Dt 8,5) : « Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrige comme un père corrige son enfant. Garde les commandements de Yahvé ton Dieu pour marcher dans ses voies et pour Le craindre. » Moïse leur rappelle comment Yahvé les fit sortir d’Égypte. C’est une réalité, nous sommes déjà sortis de cet esclavage et Comme lorsque, dans le désert, nous soufflions

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22 SOBRINO, Jon, « Teología en un mundo sufriente. La teología de la liberación como intellectus amoris. » dans Revista Latinoamericana de Teología, no 15, San Salvador, UCA, (1988), p. 243-266.

l’angoisse de la solitude, de l’intempérie, de la faim, de la soif, Dieu était avec nous23.

Apparaissent ensuite les premiers signes sacraméntame de la présence de Dieu au sein de son peuple. Cette présence du mystère sacré au milieu d’eux s’est révélée à plusieurs reprises : dans la nuée qui les accompagnait au désert ; dans la manne qui les a sauvés de la famine ; dans le rocher miraculeux qui les abreuvait et dans la mer Rouge qui s’est ouverte de part en part pour laisser passer le peuple. Mais le principal dans tout cela, nous dit Romero, c’est que ces événements démontrent la présence de Dieu24.

Au point suivant nous observerons brièvement ce qui servira de cadre religieux, moral et juridique à cette nouvelle nation. Le Décalogue peut ainsi être considéré à juste titre comme la première constitution d’Israël.

5.1.2 Le Décalogue

Romero analyse longuement le Décalogue en effectuant toujours ce parallèle avec la réalité de son pays. Π souligne au passage que de nombreuses misères dont son peuple est victime, proviennent des manquements à ces règles fondamentales du Peuple de Dieu. En l’absence de celles-ci, insiste-t-il, il ne peut y avoir de véritable liberté. Selon Romero, la liberté est fondée sur l’autorité que Dieu confère à la vérité, elle a ses lois et s’acquiert dans un effort constant sur soi-même. La liberté se définit ici comme obéissance à Dieu et maîtrise de soi dans un esprit de service et de dépassement. En ce sens, elle est l’opposé de l’égoïsme, de l’orgueil et de la lâcheté. Ce sont la foi et l’amour qui dynamisent la liberté jusqu’à l’héroïsme. Georges Pixley nous propose cette interprétation en trois actes du récit de l’Exode :

Les étapes de l’Exode en tant que processus révolutionnaire s’identifient à trois environnements géographiques : L’Egypte comme terre d’oppression et de lutte pour la libération ; le désert comme lieu où seront vécus les dangers de la maturation d’un peuple déjà libéré qui ne s’était pas encore consolidé ; et Canaân, le lieu de la construction de la société nouvelle. Inséré au milieu du récit des dangers du désert, se trouve le texte sur le Sinaï, heu où Yahvé révèle les normes pour la nouvelle société et qui représente l’assemblée constituante dans les révolutions modernes. C’est là qu’on légifère sur les structures qui régiront la

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nouvelle vie et qui poseront les barrières à la tentation de régresser aux anciennes structures déjà connues des sociétés de classes dont ils venaient de s’affranchir25

Le fondement de l’Alliance mosaïque possède une structure établie dans les dix commandements. Le Décalogue est en quelque sorte un contrat social que Yahvé instaure avec son peuple. Les Israélites doivent y demeurer fidèles pour préserver leur relation privilégiée avec Dieu. Toute société normalement constituée, possède ses règles et ses interdits afin de ne pas sombrer dans le chaos. L’ordre est un préalable à l’exercice de la liberté. Le problème c’est que Ton confond souvent la défense des intérêts des privilégiés avec le bien commun. L’oppression et la misère sont contraires à Tordre voulu par Dieu, de sorte que la volonté affirmée derrière la promulgation de ces lois est celle de préserver T unité du peuple par l’instauration et le respect de la justice envers les pauvres de la société.

Après les avoir libérés physiquement, la pédagogie divine veut maintenant faire entrer les Hébreux dans la grâce des enfants de Dieu. Pour cela, ces derniers doivent d’abord être instruits concernant les conditions préalables pour connaître le véritable sens du mot liberté, ses fondements et ses principes afin de vivre en peuple libre. Les principes introduits par le Décalogue ne sont pas d’ordre intellectuel, mais divin. Ils sont de ce fait inamovibles et s’appliquent à tous. Georges Pixley, quant à lui, utilise une grille marxiste d’interprétation du récit de l’Exode et du Décalogue.

L’ordre ancien contre lequel les paysans hébreux d’Égypte et les tribus Israélites de Canaan s’étaient rebellés, était une société tributaire où l’État était coextensif de la classe dominante. L’Exode propose comme alternative une législation qui établit des conditions d’égalité. Dans cette nouvelle société, Yahvé, le Dieu Libérateur, occupera le lieu que les rois occupaient chez les autres nations. Le premier commandement du nouvel Israël sera l’interdiction d’adorer un autre dieu que Yahvé le Dieu de l’Exode. Tout autre culte sera considéré comme contre- révolutionnaire parce qu’il donnera accès aux religions qui légitimaient les rois. [...] Moïse est le médiateur des normes que Yahvé dicte pour la vie de la société sans classe et ces normes suffiront. La législation se convertit en quelque chose de fondamental pour maintenir le caractère révolutionnaire de la nouvelle société. Dans la pratique, cette société a pu exister pendant près de deux siècles 26.

25 PIXLEY, Éxodo, p. 99.