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Niveau herméneutique

57 SOBRINO, Jesucristo liberador, p 342-343.

4.2.7 Mise en garde

La mise en garde présentée ici concernant le problème de l’idolâtrie, possède un lien direct avec le Salut-Libération. Cette question fondamentale aux yeux de Romero implique que l’infidélité du cœur, corrélative à l’idolâtrie, ne saurait tromper Dieu au jour du jugement dernier. Nous entrons ici dans le vif du sujet de cette thèse, celui du Salut souhaité et de la damnation à éviter. Il apparaît significatif que l’Église du El Salvador ait conservé un discours aussi incisif sur cette question qui a été depuis longtemps éludée par les théologiens des pays développés. Cela n’est sûrement pas étranger à notre façon d’envisager la mort, que nous allons aborder sous peu.

Cela fait souffrir l’Église et l’Évangile qu’il y ait autant de gens qui idolâtrent l’argent et qui tournent le dos à Dieu, parce que cela est un chemin de perdition, ils vont se condamner. Et parce que nous voulons qu’ils se convertissent à l’unique Dieu véritable, nous leur prêchons la fausseté des biens de ce monde. [...] Dans le coeur de l’homme, il existe une valeur infinie, très supérieure à tous les biens créés et temporels et c’est pour ceux-là qu’ils nous faut lutter, pour ce coeur que le Christ s’est gagné, en employant les biens de ce monde en conformité avec la volonté de Dieu 86 87

L’idolâtrie devient donc un empêchement au Salut-Libération parce qu’il rend le cœur sourd à l’appel de Dieu. Celui-ci demeure un Dieu jaloux, au sens où II ne s’accommode pas d’une foi tiède et partagée. En fait, la foi, sans abandonner le renfort critique de la raison, se doit d’être complète, sinon elle risque de devenir l’objet de ces mêmes négociations idolâtriques.

86 ELLACURIA, « Historicidad de la Salvación Cristiana », dans Mysterium Liberationis, T I, p. 359-360. 87 18/09/77, p.224-225,1-Π.

C’est l’entière volonté du cœur qu’il désire imprégner de son amour. La plénitude de notre développement humain et corrélativement de notre bonheur personnel et collectif, en dépendent.

Je ne voudrais pas que quelqu’un de ceux qui m’écoutent, doute du Christ, qu’il ne croit pas en Lui. Cela me ferait beaucoup de peine que cela ne lui ait pas été révélé par le Père. Et pourquoi ne se serait-Il pas révélé ? La faute n’est pas de Dieu mais de la disponibilité du cœur humain. Tu ne veux pas cesser d’adorer tes idoles, c’est pourquoi le Dieu véritable ne peut pas venir à toi. C’est pourquoi l’Église te dit : Convertis-toi ! Laisse les vanités, laisse les faux dieux et tu découvriras la transcendance qui te rendra heureux. Personne ne peut venir au Père s’il ne dispose pas son cœur afin que le Père le remplisse du Christ 88.

Il nous semble qu’il faudrait chercher là, les fondements d’un mouvement d’évangélisation véritable. Peut-on évangéliser en restreignant la dimension de la foi à un caractère individuel et personnaliste, au détriment de la vérité qui nous exige le dévoilement des idoles ?

Faisant un bref bilan de son enseignement théologique concernant le danger des principales idoles qui ravagent le tissu social et l’âme de son pays, Romero observe judicieusement que ces absolus que représentent le pouvoir et la richesse, de par la volonté de ceux qui défendent ces intérêts idolâtriques, refusent d’être remis en question. Il rappelle que le Christ ne peut abandonner sa place centrale dans le cœur du chrétien, sous peine de se voir aussitôt remplacé par les nombreuses idoles qu’il nous a décrites 89. La propriété privée ainsi élevée au rang de valeur suprême, acquiert un caractère sacré, inviolable, sous peine de mort pour celui qui oserait profaner ce lieu de culte et d’identification 90.

L’absolutisation du pouvoir au service d’une idéologie ou de la richesse, en arrive à violer justement ce qui demeure le plus sacré aux yeux de Dieu : la dignité inaliénable de la personne humaine. Les droits humains sont bafoués par cette doctrine de la Sécurité Nationale qui en vient à s’en prendre à l’Église et à ses prêtres 91. La politique, et ce, même en

88 26/08/79, p. 203-205, VE.

89 Voir 12 /08/79, p. 165-166, VH. 90 Voir 12 /08/79, p. 165-166, VH. 91 Voir 12/08/79, p. 165-166, VE

démocratie, peut vouloir s’arroger l’ensemble du discours sur la réalité en omettant d’y inclure la liberté inhérente à la transcendance humaine. Aujourd’hui, la politique semble avoir été remplacée par une idole beaucoup plus subtile encore et qui peut se draper derrière ses prétentions scientifiques : l’économie ou l’idolâtrie du marché. L’idolâtrie en tant que contraire au projet de Dieu, constitue un danger réel quant au Salut des idolâtres92.

Les idoles cherchent sans cesse à s’introduire dans notre psyché pour occuper la première place dans notre cœur. Romero nous rappelle avec insistance que pour tous les chrétiens, cette place doit être réservée au Christ. Celui-ci doit occuper la première place dans notre vie et régner sur notre cœur, sans quoi nous courons à notre perte comme individu et comme société. La société de consommation correspond en fait à un système idolâtrique qui nous vide peu à peu de notre substance.

Romero décrit les idoles de son temps et de sa société, mais ces dernières, dans un processus incessant de transformation, en arrivent à prendre les formes les plus diverses. Elles se présentent toujours sous la forme du bien et nous conduisent dans des chemins sans issue. Le droit et les libertés individuelles, tel que nous les concevons actuellement en Amérique du Nord, ne finissent-ils pas par rompre le lien social au point de mettre en péril toute cohésion fondée sur la volonté de chacun, d’affronter l’avenir collectivement. Jung Mo Sung nous rappelle pertinemment que :

Évangéliser c’est démasquer le caractère faussement divin et transcendant du système et le réduire à ce qu’il est de fait, un système historique d’oppression ; et annoncer le véritable Dieu de la Vie, faisant en sorte que les hommes prennent conscience de leur histoire réelle d’oppression et qu’ils luttent pour construire le Règne de Dieu. [...]À mesure que nous dévoilons l’idolâtrie - ce qui nie Dieu et son Règne -, nous pourrons connaître mieux le Règne de Dieu qui est en train de se réaliser au sein de !’histoire et ainsi, Dieu Lui-même. Nous ne pouvons avoir une connaissance de Dieu et de son Règne sans connaître également sa négation 93.