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Par exemple, certains prêtres rendront la liturgie davantage contextuelle en l'insérant dans des manifestationspacifiques à caractère politique.

d'universitaires dirigés par le jésuite Ignacio Ellacuria. Il s'agit d'une nouvelle façon de faire de la radiophonie car, en plus de diffuser de !'information, les commentaires qui suivent le radiojoumal constituent un véritable éditorial. Face à la censure et à la répression exercées par le régime envers les moyens de communication sociale, cette station émettrice devient l'unique source d'information indépendante et fiable pour les Salvadoriens. Grâce à la YSAX et au journal Orientación, Mgr Romero atteint un large public. En fait, l'auditoire se divise au contact de ce message prophétique qui soulève !'approbation ou la désapprobation des gens mais rarement l'indifférence.

Ses sermons sont une parole éclairée sur la réalité nationale; ils sont l'Incarnation du Verbe de Dieu dans l'actualité du pays. « Son homélie dominicale est un instrument de conversion et de conscientisation ; elle est un enseignement clair et ferme des fondements bibliques du compromis chrétien à l’intérieur du processus social et politique en faveur des pauvres 62 ». Les homélies ne sont pas le fait d'un homme seul qui parle courageusement de l'Évangile libérateur. Il s'agit également d'une équipe qui soutient son archevêque et qui l'aide chaque semaine à préparer son intervention dominicale. Tous les jours, les communiqués et les nouvelles parues dans la presse sont classés. De même, les communautés de base font rapport des dénonciations dont elles sont l'objet et envoient à l'archevêché les témoignages des conflits qu'elles vivent. Le secrétariat effectue un résumé de la semaine, le Secours juridique communique le nombre de disparus, de morts et de prisonniers ainsi que les statistiques du chômage. Le courrier, arrivé au dernier moment à la cathédrale, donne !'information ultime, mais celle-ci doit toujours être corroborée avant de devenir partie intégrante de l'homélie.

Romero ne donne aucune information qui n'ait pas été vérifiée. Il veut des preuves dignes de foi avant de s'aventurer à faire une dénonciation. Il vérifie ces renseignements selon deux mesures. S'il s'agit d'un curé, d'un séminariste, d'une religieuse, de n'importe qui ayant un rang ecclésial, il s'informe de la provenance de la nouvelle ou du témoignage. S'il s'agit d'une information de seconde main, il demande de référer le cas au Secours juridique afin qu'il puisse confirmer les dires. Toutefois, si une vieille femme vient le voir en larmes, lui disant

qu'on a assassiné sa fille ou capturé son garçon, il prend aussitôt en considération cette déposition et il dénonce le cas. Les larmes d'une mère constituent pour lui une preuve suffisante.

Pour cette Église, il s'agit d'un nouveau type d'évangélisation, réalisé à partir des témoignages du peuple et de ses organisations qui remettent en question les réactions répressives du pouvoir militaire vis-à-vis de leur démarche de libération. Les homélies rendent compte du type d'actions que les communautés ecclésiales de base exercent à Γintérieur de ce processus de conscientisation et d'émancipation. Elles cherchent à révéler les valeurs évangéliques qui y sont présentes. Les paroles de Mgr Romero se veulent d'abord une lecture de la réalité faite à partir de !Évangile vu comme source d'espérance pour les pauvres.

Oscar Romero est un homme déterminé lorsqu'il se sent appelé à réaliser une mission. Ce qu'a réalisé le Père Rutilio Grande avec ses ateliers de formation, d'alphabétisation et de conscientisation pastorale à Aguilares, il le reprend et le propose à l'ensemble de l'archidiocèse comme formule de plan directeur de sa pastorale. H réplique à !,interdiction de l'enseignement au peuple par une plus grande diffusion de cet enseignement. On passe d'une situation de collaboration séculaire entre !Église et !État, le fameux concordat, à une situation d'affrontement entre deux institutions fondamentales, à savoir le pouvoir de !État versus l'autorité morale de !Église qui prétend guider le peuple et la nation vers un avenir plus authentique.

Le premier pouvoir repose sur l'auto-légitimation des riches et des puissants à partir de leurs intérêts particuliers alors que le second cherche dorénavant à promouvoir les intérêts légitimes du peuple. C'est, nous semble-t-il, un des meilleurs exemples historiques d'affrontement entre le projet du Dieu du peuple et celui des idoles du pouvoir et de l'argent que Romero associera aux puissances de la mort et de l'enfer. La persécution qui s’abat alors sur la population n’épargne pas l’aile progressiste de l’Église salvadorienne en procédant à !’élimination systématique des agents de pastoral et des délégués de la Parole qui s’identifient aux propositions de Medellin.

3.2.4 Une renommée internationale

En janvier 1978, le El Salvador est déjà un sujet qui soulève de vives discussions au Congrès des États-Unis. Plusieurs rapports sur la violation des droits humains ont été présentés à Washington. Le gouvernement américain commence à s'intéresser à Mgr Romero. Celui-ci est invité à l'ambassade des États-Unis afin de rencontrer le sous-secrétaire d'Etat, Terence Todman. Ce dernier tente de convaincre l'archevêque de se montrer moins ouvertement opposé à la politique des autorités salvadoriennes, ami du gouvernement américain. Le prélat lui répond que le bien du peuple ne dépend pas des relations entre l’Église hiérarchique et le régime en place, mais plutôt des actions concrètes de l'État en faveur de l'ensemble de la population.

Selon les co-auteurs du livre «La voz de los sin voz» 63, les homélies de Mgr Romero permettent à un tout nouveau phénomène social de se mettre en branle à l'intérieur et à l'extérieur de !Église. Les sermons dominicaux de l'archevêque de San Salvador se transforment en point de référence obligé concernant la situation du pays. Ils deviennent donc au fil de ces années, de véritables événements médiatiques auxquels assistent régulièrement des journalistes et des télévisions étrangères. B n'est pas rare qu'un article, traitant de la crise salvadorienne, publié en Europe ou en Amérique, à Berlin ou au Brésil, rapporte des extraits des plus récentes homélies d'Oscar Romero. C'est ainsi qu'il devient la parole la plus autorisée du pays. Une dénonciation sévère du régime salvadorien a des échos immédiats à Rome et à Washington.

Selon un journaliste étranger, Mario Kaplûn 64, qui assiste à l’une de ces célébrations eucharistiques, l'atmosphère y est exceptionnelle; l’archevêque est le seul alors qui puisse faire une proposition différente et les gens en sont conscients. De même, un ex-guerillero rapporte l'importance du message d'Oscar Romero retransmis par radio au cours de ces trois années. « Tous les dimanches, dans tous les collectifs des Forces de Libération Nationale, nous écoutions ensemble ses homélies. Cela faisait partie de notre travail d’éducation

63 SOBRINO, Jon, MARTIN BARO, Ignacio, CARDERNAL, Rodolfo, La voz de los sin voz, La palabra viva de Monseñor Romero, San Salvador, UCA editores, 1980.