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ROMERO, Oscar A “La dimension Politique de la foi”, dans Oscar Romero, Assassiné avec les Pauvres,

dans le contexte «concret» du El Salvador de la fin des années soixante-dix. Dans cette partie, la réalité historique demeure la trame de fond implicite à cette interprétation, à cette herméneutique de la Parole de Dieu sur laquelle nous entendons concentrer nos efforts d’interprétation. Comme nous le verrons plus loin, !’interprétation des évangiles en dehors de tous liens avec la réalité conflictuelle que le péché engendre en ce monde, est pour Romero une impossibilité évangélique puisque la proclamation et l’annonce des Écritures se veulent d’abord une convocation du Peuple de Dieu à correspondre au projet divin d’achèvement de la Création au coeur même de l’histoire. La proclamation de l’Évangile apparaît comme un éclairage sans cesse renouvelé des diverses situations historiques auxquelles est confronté le Peuple de Dieu, et une interprétation de ces réalités qui permet d’y discerner la volonté divine pour réactiver l’Alliance entre Dieu et ses peuples.

Ce chapitre méthodologique a pour fonction de présenter les différentes étapes qui ont servi au traitement des données, à leur mise en ordre et à leur interprétation. Comme nous en avons fait mention dans F introduction, un effort considérable de traduction de l’œuvre de Mgr Romero a précédé le classement et !’interprétation des données. Pour ce qui a trait à la compréhension du texte proprement dit, nous avons choisi de fonctionner en deux temps à partir de la méthode en trois étapes de Clodovis Boff qui inclut les médiations socio- analytique, herméneutique et pratico-pastorale. Le second temps, qui précède l’acte herméneutique proprement dit, est constitué d’une méthode de classement par thème afin d’aborder le sujet traité avec un maximum de cohérence.

La médiation socio-analytique s’intéresse à la connaissance de la réalité et des problématiques diverses qui la traversent. À l’aide des outils d’analyse fournis par les sciences sociales, politiques et économiques, elle tentera de cerner les causes des problèmes qui affectent une communauté ou l’ensemble d’une société. À noter que ces données théoriques pourront être corroborées par une bonne connaissance du terrain, résultant de nos propres expériences.

La médiation herméneutique réalisée en lien avec les Écritures dans une perspective libératrice, recherche les aspérités de la justice et de la volonté divine susceptibles de nous aider à construire l’histoire et la société dans le sens de ce Règne à venir. La praxis du Salut- Libération découle d’un regard critique sur la réalité interprétée comme objet de transformation et non plus comme une fatalité historique.

La médiation pratico-pastorale que constitue l’agir théologique ou pastoral, ne saurait être séparée d’une spiritualité engagée qui lui fournit son inspiration et son unité, sa fidélité et son courage, sa vérité et sa durée. C’est justement parce qu’elle fait appel à !’intelligence du cœur, à l’intellectus amoris, nous dit Ignacio Ellacuria, que cette pratique ne cesse d’engendrer un dynamisme de vie et ce, dans les pires conditions d’adversité. Rappelons que, pour les chrétiens, dès le point de départ, avant même d’employer la médiation socio-analytique, le regard de foi et d’amour est déjà présent comme préalable à cette interprétation du réel.

2.1 - Traduction, justifications préliminaires

Le cercle herméneutique inclut non seulement la matière étudiée mais également la personne qui s’aventure sur le terrain de !’interprétation. C’est sans doute ce qui intuitivement nous à conduit à entreprendre la traduction de l’œuvre d’Oscar Romero dans un désir de combler en partie la distance culturelle et symbolique qui nous en séparent. Nous avons décidé, après une première lecture de l'ensemble des homélies en langue espagnole, de traduire le corpus qui est l'objet de cette recherche afin de nous l’approprier plus intimement.

Cette immersion, cette identification avec la pensée de l’auteur, ne manqua pas de provoquer en nous un certain effet d’osmose : d’interpénétration qui va bien au-delà de la simple compréhension intellectuelle. Cette appropriation concerne ici l'idiosyncrasie de l'oeuvre et de son contexte historique. Comment, en effet, se libérer dans notre analyse de l'univers salvadorien, non pas pour l'évacuer mais pour le rendre intelligible à nos contemporains québécois, autrement que par le biais de sa traduction ? Cette étape qui peut sembler fastidieuse à plusieurs, demeure le moyen le plus sûr, selon nous, de ne rien échapper dans le foisonnement des sens, de s'imprégner entièrement de l'oeuvre et de l'interpréter dans l'univers qui est le nôtre.

Il nous semble qu'en omettant de faire cela, nous risquions de demeurer prisonniers de l'univers centraméricain, non seulement de sa langue, mais aussi de sa conception du monde, de son idiosyncrasie. En effet, pour quiconque a vécu en Amérique centrale, des notions en apparence aussi universelles que l’homme, la femme, la vie ou la mort, diffèrent de manière ontologique et anthropologique de nos conceptions nord-américaines. Dire par exemple le Christ est un homme ou Marie est une femme ne possède pas du tout le même sens au sud et au nord du Rio Grande et selon la classe sociale également. Dans l’univers symbolique et traditionnel latino-américain, la femme demeure la mère, celle qui porte la vie, caractéristiques que les autochtones attribuent également à la Terre-Mère, la «Pacha-Mama». Comme nous le rappelle à propos Leonardo Boff :

Aucun homme ne se présente concrètement, comme un atome isolé. Son être lance ses racines dans Γinfrastructure matérielle et corporelle, il s’entend à l’intérieur d’un tissu social, il porte à !’intérieur de lui-même le poids du passé. Il n’émerge jamais comme un être naturel mais culturel, c’est-à-dire, qu’il surgit

comme déjà fait et construit et d’une certaine manière comme encore à faire. Nous disons que l’homme n’est jamais seulement un individu mais une personne. Par cela, nous exprimons la spécificité de l’être humain en tant qu’il se présente comme capacité illimitée de communion et par la production de symboles par lesquels il confère une signification au monde et à son action sur lui. Au plan

spécifiquement humain, l’être humain est toujours social 12.

L’hispano-américain est en quelque sorte un mutant culturel, un hybride formé de la superposition de l’Amérique précolombienne, de l’Afrique d’où il fut arraché et de l’Europe conquérant et dominateur. Il ne saurait être détaché de sa référence ibérique avec son contenu de valeurs romantiques dont Ernesto « Che » Guevara demeure, aujourd’hui encore, l’image la plus médiatisée. Vivre et mourir pour une cause, donner sa vie, est quelque chose qui demeure dans l’inconscient collectif malgré la progression rapide des valeurs de la société de consommation chez les nouvelles générations. La quête d’une liberté, d’une émancipation collective de l’oppresseur appartient aux archétypes de sa conscience historique depuis Simon Bolivar jusqu’au Front de Libération Zapatiste. Ces différences cosmogoniques se situent bien au-delà de la barrière linguistique. Elles incluent dans leur moelle une «autre culture», une autre manière d’être et une identité qui lui est propre. Comme l’affirme Rodolfo Kusch :

Le concept de culture comprend une totalité. Tout est culture au sens que l’individu ne se termine pas par sa peau mais se prolonge dans ses coutumes, dans ses institutions, dans ses outils. La culture suppose donc un sol où il habite obligatoirement, et habiter un lieu signifie que l’on ne peut être indifférent devant ce qui s’y produit13.

Comme héritage de la colonisation européenne a prévalu une culture de la domination imbibée d’une réalité sociale fondée sur l’injustice, !’exploitation, l’oppression et la répression du plus grand nombre et dont les conséquences sont la mort prématurée de plusieurs. Les causes et les effets de cette situation perverse ont été cristallisés dans l’analyse sociale des dernières décennies. En effet, les sciences humaines ont su mettre en évidence les structures de dépendance économique qui enferment ce continent dans la périphérie du

12 BOFF, Leonardo O Rosto Materno de Deus, Petrópolis, (Brésil),Vozes, 1978, p. 187.