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Niveau herméneutique

93 SUNG, A Idolatría do Capital e a Morte dos Pobres, p 46-47.

4.4 Le mystère du Mal

4.4.1 L’esprit du Mal

En ce qui concerne Satan, pour le discours religieux traditionnel, il apparaît comme l’esprit du Mal qui est à l’oeuvre pour corrompre les coeurs et gagner le monde à sa cause, le péché. Il symbolise le chaos, le désordre et la corruption des moeurs, thème favori des pasteurs fondamentalistes. Si on l’extrapole au domaine politique, Satan apparaît comme étant l’ennemi de l’État, de l’ordre social et du «bien». Pour la Théologie de la Libération cependant, il apparaît davantage comme l’usurpateur, le tyran, l’oppresseur, celui qui déshumanise la société et qui pervertit toutes les relations humaines en s’accaparant à lui seul l’ensemble des ressources. Il est l’esprit de domination et de possession auxquelles il subordonne le travail de recherche des connaissances. Est valorisé ce qui rapporte et non ce qui correspond à un système de valeurs qui pourrait être mesuré selon le bien-être qu’il procure à « l’ensemble » de l’humanité. Contrairement à la vision précédente, il n’est pas tant un être maléfique qu’un état d’esprit, une mentalité, dont l’idolâtrie du matériel et la consommation sont le culte sacré, la propriété privée, le tabernacle de ses valeurs. L’esprit du Mal serait en quelque sorte, la projection confuse de cette capacité et de ce besoin que nous éprouvons de transcender l’espace et le temps pour enfin vaincre notre finitude. Besoin de transcendance qui, une fois soumis à l’esclavage des passions, s’exprime dans des rapports de domination.

La liberté individuelle, qui est le principal leitmotiv de l’idéologie capitaliste, se résume ici à la liberté de posséder et de consommer pour une élite insensible aux misères qui l’environnent. Dans les deux cas, la recherche d’unité de sens constitue la force première de !’argumentation. Pour le premier courant cependant, ce qui constitue la moelle de ce principe est le maintien à tout prix de la hiérarchie sociale et la défense des intérêts des plus riches comme référence sacrée. Dans le deuxième courant, ce n’est plus la loi avec toute sa sévérité qui occupe T avant-scène, mais la miséricorde envers les démunis et les victimes de !’exploitation. C’est bien là qu’apparaît tout le potentiel subversif de la Théologie de la Libération par le renversement de valeurs qu’elle réalise à l’encontre de l’idéologie dominante.

L’existence de ce mystère et la réalité du Prince des ténèbres, incarné dans la volonté des idolâtres et même dans un mystère transcendant, ne fait aucun doute aux yeux de Romero. La réalité de péché et de mort dans laquelle s’enfonce davantage son pays sont là pour le lui rappeler, oui le Mal existe.

Je voudrais dénoncer à temps que !Église connaît le danger d'une bataille avec les forces du Mal et que les forces de l'Enfer, le Diable, n'est pas une illusion. Sur la Terre, il a de nombreux ministres, plusieurs le servent et collaborent à son oeuvre. Alors Dieu doit avoir pour lui les forces du Peuple de Dieu qui clament en prière 117

Il faut avoir à l’esprit que l’archevêque prononce de tels propos pour faire contrepoids à la rhétorique de la Sécurité Nationale élaborée par la C.I.A. qui associe les forces progressistes d’Amérique latine à l’esprit du Mal. Oser remettre en question l’ordre établi c’est poser le chaos comme principe hiérarchique, c’est vouloir instaurer l’anarchie aux yeux des tenants du pouvoir. « Sataniser » l’adversaire est une pratique millénaire. Romero inverse !’argumentation des forces de l’ordre à partir de sa défense de l’image de Dieu qui est en nous. Si nous sommes les fils et les filles de Dieu, porter atteinte à la dignité humaine c’est offenser Dieu dans ce qu’il a de plus cher et c’est aussi accomplir l’œuvre du démon. La suprématie du Bien ne réside pas dans l’État qui se transforme en idole lorsqu’il se constitue en absolu et agit au détriment de la vie humaine.

Les atteintes aux droits fondamentaux de la personne et à son intégrité physique, que ce soit dans les cas d’enlèvements, de disparitions, de tortures, de meurtres ou de viols, sont dénoncées par Oscar Romero comme de graves offenses envers les commandements divins. Il qualifie ces crimes contre l’humanité de péché et nous révèle en cela la nature intrinsèque et les liens organiques qui unissent le péché, la violence et la mort dans un système où le profit à tout prix demeure la seule règle morale. C’est pourquoi, selon lui, l’Église qui porte la Parole de Dieu, n’a d’autre choix que de démasquer le péché qui humilie et opprime la dignité humaine. Il associe le péché aux forces de mort et de ténèbres présentes dans sa société et auxquelles il adresse cette diatribe : « N’abusez pas de la politique, n’abusez pas des armes,

16/10/77, p. 278, HL

n’abusez pas de votre pouvoir. Vous ne voyez donc pas que c’est péché ! Ne torturez pas, vous êtes en train de pécher, d’offenser Dieu, vous êtes en train d’implanter le règne de l’Enfer sur la Terre 118 ».

Il nous décrit ici, en s’inspirant du prophète Amos, l’apparence extérieure que prend ce règne idolâtre. Celui-ci, sous la forme d’une richesse insolente, apparaît insensible à la misère du peuple. Si dans ce dernier, Romero reconnaît la présence du péché, c’est davantage comme une conséquence de T égoïsme de ceux qui détiennent le véritable pouvoir de changer les choses.

Nous recherchons toujours le positif dans le message de Dieu mais au côté du positif que constitue la loi de Dieu, le dessein amoureux que le Seigneur a sur nous, les hommes intronisent toujours un aspect négatif, le péché, la lutte contre le Règne de Dieu. Et cela durera tout au long des siècles. Que personne ne s’étonne que l’Église se dise persécutée. Elle doit l’être par le règne des ténèbres. Tant que l’Église proclame cette volonté de Dieu, elle rencontrera toujours la volonté de l’anti-Dieu, de l’Antéchrist, des ombres du péché, du mystère de l’injustice qui tentent de s’introniser 119.

Lorsque l’esprit du Mal commence à habiter notre cœur, nous sommes envahis par une série d’émotions négatives et contradictoires en ce qu’elles nous divisent au-dedans de nous- mêmes. Il est intéressant de constater à quel point ce critère de la dignité humaine apparaît comme le sacrilège ultime que l’on puisse commettre. En cela, nous pouvons reconnaître que le Christ se rend véritablement présent au cœur des victimes.

L'Enfer débute, lorsqu'on commence à haïr. [...] Ceux qui ne peuvent voir l'Église sans sentir de la rancoeur, du ressentiment, sont des coeurs gagnés־ par Satan qui est la haine, l'envie, le mal. Tous ceux qui torturent d'autres hommes sont l'Enfer, tous ceux qui déprécient la dignité humaine et la transgressent, sont inspirés par Satan ; ce n'est pas l'amour 120.

08/12/77, p. 39, ΙΠ. 25/09/77, p.237,1-Π.