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Une lecture stratégique de l’espace israélien

EXTRAIT D'UN DISCOURS D'ANDREI GROMYKO A L’ONU EN MAI

III. 2 1970, la communauté juive comme monnaie d’échanges : vers la réactivation du flux migratoire

III.2 Une lecture stratégique de l’espace israélien

Comme nous venons de le souligner par la lecture des créations de localités selon les districts d’implantation, la dimension stratégique que recèle la politique de répartition de la population est une donnée essentielle de la compréhension de la configuration géographique du pays dans lequel sont entrés les Juifs soviétiques. Par quelques éléments d’analyses statistiques à l’échelle régionale mais aussi locale, avec le cas de Jérusalem, tentons d’appréhender la réalité géopolitique qui caractérise Israël à la veille de la reprise d’une immigration massive.

III.2.1 La Galilée, le théâtre d’un intense affrontement démographique

Les limites septentrionales et méridionales que définissent la Galilée et le Néguev ont fait, dès la création de l’Etat, l’objet de plans d’aménagement qui visaient à installer une large part de la population juive dans ces marges sous-peuplées. Deux réflexions avaient motivé ces orientations de la politique de peuplement : la nécessité d’inverser l’engorgement de la région de Tel Aviv, d’une part, et la volonté politique de maîtriser les espaces où la présence arabe était prononcée, d’autre part. Dans cette dernière perspective d’ordre stratégique, le district Nord a constitué un des espaces où la volonté de contrôle du territoire par l’implantation de populations juives a été des plus affirmées.

Deux phases principales ont été mises en œuvre pour atteindre le but qu’était la « judaïsation » de la Galilée. Entre 1948 et 1974, avec le renfort des nouveaux immigrants, une

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politique d’occupation du « vacuum » créé par la fuite des populations arabes de la région, lors du premier conflit israélo-arabe, a été menée par la création de villages juifs. A cette période a succédé une phase de pénétration des espaces de vie arabes114. La méthode adoptée est

identique à celle employée dans les territoires occupés : des sites d’implantation sont choisis de manière à ceinturer les villages arabes et à sectionner les réseaux de communications entre ces derniers115.

Comme le souligne le Tableau 15, cette stratégie a dans un premier temps réussi à rétablir « l’équilibre » Juifs-non-Juifs en Galilée. Avec un accroissement de population de plus de 200 000 personnes, la balance a même été en faveur de la population juive puisque celle-ci représentait en 1972, 54% de la population du district Nord. L’ensemble des sous-districts ont profité de cette croissance de population et des villes comme Nazareth Illith ont vu leur population plus que quadrupler116.

Tableau 15 - Populations et croissances dans le district (et sous-districts) Nord (1948-1989)

POPULATION CROISSANCE District, sous-district 1989 1983 1972 1948 Taux de croissance annuel sur la période 1948-1972 (en %) Taux de croissance annuel sur la période 1972-1983 (en %) Taux de croissance annuel sur la période 1983-1989 (en %) Taux de croissance annuel sur la période 1948-1989 (en %) District Nord 364 800 327 000 255 700 53 400 6,74 2,26 1,84 4,80 Safed S.D 63 100 59 500 52 500 8 900 7,68 1,14 0,98 4,89 Kinneret S.D 52 600 46 900 38 400 14 400 4,17 1,83 1,93 3,21 Yizre'el S.D 126 400 115 000 92 300 24 100 5,75 2,02 1,59 4,12 Acre S.D 112 700 98 700 72 500 6 000 10,94 2,84 2,24 7,42 Population juive totale 3 717 100 3 350 000 2 686 700 716 700 5,66 2,03 1,75 4,10 District Nord 397 900 329 000 217 600 90 600 3,72 3,83 3,22 3,68 Safed S.D 6 500 5 300 4 100 1 900 3,26 2,36 3,46 3,05 Kinneret S.D 19 100 15 700 11 200 5 100 3,33 3,12 3,32 3,27 Yizre'el S.D 142 200 117 400 81 400 34 900 3,59 3,39 3,25 3,49 Acre S.D 251 100 177 600 120 300 48 700 3,84 3,60 5,94 4,08 Population non-juive totale 842 500 687 600 461 000 156 000 4,62 3,70 3,44 4,20 source: Population in Localities 1990, Special series n° 916, CBS, Jerusalem, 1992, pp.67-69.

A partir de la fin des années 70, la chute de l’immigration a progressivement désamorcé le mouvement de conquête démographique de la Galilée. Le taux de croissance annuel enregistré sur la période 1972-1983, a été de trois fois inférieur à celui de la période précédente (cf. Tableau 15). Avec un taux de croissance de 2,26%, la population juive n’a pas pu conserver l’ascendant qu’elle avait pris sur la population arabe.

114 Le plan d’occupation du sol en Galilée qui a été mis en place à la fin des années 70, repose, en partie, sur un

programme d’implantations lancé par l’Agence juive en 1978, nommé Mitzpim Plan. Les responsables de l’Agence juive avaient déjà dès 1973, au moment de la préparation du Plan de répartition d’une population de 5 millions (cf. Brutzkus, 1976), présenté les grandes lignes de leur projet : « Créer une majorité juive dans les hauteurs de Galilée, développer économiquement cette région, établir une présence juive dans des positions géographiques clés, encourager les Arabes à s’installer dans les aires urbanisées prééxistantes et non pas à étendre leurs villages. En 1978, lors de la présentation du premier Mitzpim Plan, le responsable du département des implantations de l’Agence juive présentait ce projet d’implanations comme une réponse à l’urgence que créait l’utilisation illégale de la « terre juive » faite par les résidents arabes de la région et le moyen de protéger celle-ci en prévenant et en observant les extensions agricoles et résidentielles non autorisées des arabes [Yiftachel, 1992 :138-143].

115 La création de trois blocs Tefen, Segev et Tsalmon, avec pour centres de gravité les villes de Karmiel et Ma’alot

Tarshiha notamment, ont constitué la pièce maîtresse de la stratégie israélienne de couverture de la Galilée à laquelle il faut ajouter l’espace de Nazareth Illith, surplombant la Nazareth arabe [Falah, 1991:70-85].

116 Entre 1961 et 1975, la population juive de Nazareth Illith est passée de 4 300 à 17 900 personnes tandis que pour la

Israël : Un territoire construit sur le binôme Immigration/Geostrategie

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le faible empressement des immigrants soviétiques à opter pour une résidence dans le district Nord a contribué à accentuer la décroissance de la part juive dans la population totale117. Ainsi, la population arabe avec un

taux de croissance stable (environ 3,5%/an), soutenu exclusivement par une croissance naturelle élevée, est redevenue majoritaire en Galilée : fin 1989, plus de 52% de la population du district Nord n’était pas juive.

La Galilée se présente donc comme un espace stratégique qui constitue dans notre problématique un élément de première importance en termes d’analyses géopolitiques où la lecture de l’impact de l’immigration d’ex-URSS sera d’un réel intérêt. A une échelle urbaine, l’étude de la situation démographique de Jérusalem est également une étape primordiale dans notre étude pour comprendre l’importance de la dialectique immigration/maîtrise du territoire en Israël.

III.2.2 Jérusalem, le cœur de la stratégie territoriale d’Israël

Au lendemain de la victoire de 1967, la Knesset (le parlement israélien) promulgue une loi qui annexe la partie orientale de la ville et fait de celle-ci la capitale unifiée et éternelle d’Israël (cf. encadré). A partir de cette date, un vaste programme de développement de quartiers juifs au nord, au sud et à l’est de Jérusalem est mis sur pied dans le but d’affirmer la souveraineté juive sur l’ensemble de la municipalité118 afin de prévenir une éventuelle partition

de la ville [Newman, 1992 :40].

III.2.2.1 Une véritable planification politique de la ville

Dans un premier temps, parallèlement à l’aménagement du quartier juif au pied du Mur des Lamentations au cœur de la vieille ville119, de nouveaux quartiers sont érigés dans

l’idée notamment de rétablir une continuité territoriale avec le mont Scopus -où avait été implantée la première université juive de Jérusalem-, séparée du reste de la partie juive depuis la partition de 1949. Ainsi, selon les orientations données par le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, « un pont terrestre » fut établi avec le mont Scopus par la création des quartiers de Ramat Eshkol, Givat ha-Mivtar et Givat Shapira [Dieckhoff, 1987 :129 ; Rivière-Tencer, 1997 :239].

117 Sur les 90 000 juifs de plus de 18 ans qui sont entrés en Israël sur la période 1970-1983, seuls 7 à 8% ont choisi de

résider dans le district Nord contre 20 à 25% dans le district Central. Le district de Tel Aviv a été l’un des premiers espaces d’accueil entre 1970 et 1977, avec 20% du flux, puis sa part s’est érodée progressivement pour atteindre 12% sur la période 1980-1983. Le district Sud a été le premier bénéficiaire de cette réorientation du flux migratoire puisque ce district a accueilli 26% des soviétiques.

118 Les nouvelles limités définies pour la municipalité de Jérusalem ont été largement étendues au-delà de celles de la

municipalité de la Jérusalem-Est d’avant 1967. Comme le souligne V. Rivière-Tencer et A. Attal, les limites de la Jérusalem « réunifiée » dépassent nettement les 6 km² que comptait Jérusalem-Est puisque ce sont plus de 70km² qui sont intégrés pour couvrir au total 108km², soit une superficie équivalente à celle de la ville de Paris [1997 :215].

119 Voir notamment l’article de Michael Dumper, « Israeli settlement in the Old City of Jerusalem », Journal of Palestine

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Pour mener à bien sa politique d’établissement d’une supériorité juive, Israël a eu recours à une série d’ordonnances et de lois qui « légitiment » les expropriations de populations arabes. Ainsi, la Land Ordinance britannique de 1943, qui autorise le ministère des Finances à confisquer toute propriété privée pour des raisons « d’intérêt public » a été fréquemment invoquée pour dessaisir les Palestiniens de leur terre et asseoir la présence juive dans les parties orientales de la Jérusalem « réunifiée » [Benvenisti, 1996 :148 ; Rivière-Tencer, 1997 :238-239].

A la première opération d’urbanisme qu’a été le rétablissement d’un continuum territorial juif entre la partie occidentale de Jérusalem et le Mont Scopus a succédé, dès 1970, une politique de consolidation des « positions juives » dans l’est de la ville. Au nord à l’ouest du Mont Scopus, les quartiers de Neve Yaacov et Ramot ont été érigés tandis qu’à l’est et au sud, ceux de Talpiot-est et Gilo voyaient également le jour. Ainsi, minutieusement, les limites de la Jérusalem « réunifiée » ont été dessinées dans l’idée d’accroître au maximum la superficie de la municipalité tout en incluant un minimum de villages arabes [voir Dieckhoff, 1987 ; Encel, 1998].

Jérusalem, 1949-1980 :

Une succession de résolutions et de lois

Le 9 décembre 1949 (résolution 303) : « L’ONU réaffirme « son intention de voir instaurer à Jérusalem un régime international permanent » et confirme « expressément les dispositions suivantes de la résolution 181 (II) : 1) la ville de Jérusalem sera constituée en corpus separatum sous un régime international spécial et sera administrée par les Nations Unies, 2) le conseil de tutelle sera désigné pour assurer les fonctions d’Autorité chargée de l’administration, 3) la ville de Jérusalem comprendra la municipalité actuelle de Jérusalem, plus les villages et centres environnants, dont le plus oriental sera Abu Dis, le plus méridional Bethléem, le plus occidental Ein Kerem (y compris l’agglomération de Motsa) et le plus septentrional Shu’afat ».

Dans la ligne de la pensée de Ben Gourion qui déclarait le 12 décembre : « Jérusalem est une partie inséparable d’Israël et sa capitale éternelle. Aucun vote des Nations Unies ne pourra modifier ce fait historique. », le 13 décembre, la Knesset vote une loi qui proclame Jérusalem-Ouest capitale d’Israël.

Le 27 juin 1967 : « par l’amendement 11 à la loi 5727, la Knesset décrète que « la loi, la juridiction et l’administration de l’Etat s’étendront à toute portion d’Eretz Israel désignée par décret gouvernemental. »

Le 28 juin 1967 : « le gouvernement fait de Jérusalem-Est : « une région où la loi, la juridiction et l’administration d’Israël sont en vigueur »

Le 30 juillet 1980 : « la Knesset adopte une loi fondamentale qui proclame que : « Jérusalem entière et unifiée est capitale d’Israël... l’Etat accordera la priorité à Jérusalem pour ce qui concerne son développement ».

Source : RIVIERE-TENCER V., ATTAL A., 1997, Jérusalem: Destin d'une métropole, Paris: L'Harmattan (Comprendre le Moyen-Orient), pp.199-200 ; 213-215

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Les no man’s land laissés par ce « découpage ethnique » de la ville ont été comblés, après confiscation des terres arabes si nécessaire, par de nouveaux quartiers comme celui de Pisgat Ze’ev (1980) construit au sud de Neve Yaacov [Rivière-Tencer, 1997 ; Kaminker, 1997]. Au début des années 80, parallèlement à la poursuite de la politique d’accroissement de la population juive à Jérusalem-Est, l’édification d’une « ceinture de sécurité » au-delà des limites orientales de la ville a été mise en chantier. En effet, en 1982, dans la ligne de la loi de 1980 (cf. encadré), le gouvernement israélien a défini une aire métropolitaine de près de 500km² où doit être multipliée la présence juive, principalement au sein de trois implantations : Giv’on au nord, Ma’aleh Adoumim à l’est et Efrata au sud [Rivière-Tencer, 1997 :248].

Ce croissant de lune que dessine ces nouvelles implantations juives autour de la limite orientale de Jérusalem constitue une nouvelle étape de l’incitation à l’installation à l’est de Jérusalem. Aux nouveaux immigrants et aux populations juives en général, attirées par le faible coût des logements dans les nouveaux quartiers de Jérusalem-Est ou du « Grand Jérusalem », comme à Ma’aleh Adoumim, viennent s’ajouter des extrémistes juifs120 qui font du peuplement

des colonies du Grand Jérusalem, un « acte saint ». Ainsi, cette double stratégie de contrôle territorial basée sur des incitations économiques et idéologiques n’a pas été sans conséquences. A la fin des années 80, la séparation ouest-est de Jérusalem n’est plus visible et la « carte ethnique » de la ville et de son aire métropolitaine (le « Grand Jérusalem ») a été totalement bouleversée.

III.2.2.2 1967-1989 : un bilan démographique en « demi-teinte »

Comme le souligne l’évolution démographique au fil de cette période, à l’aube des années quatre-vingt-dix, la population juive est certes majoritaire dans la Jérusalem « réunifiée » mais leur part dans la population totale ne s’est guère affirmée. La forte croissance démographique des populations arabes a contrebalancé l’accroissement de populations juives et a permis de maintenir la part des non-juifs à hauteur de 70%. Néanmoins, l’analyse des croissances juives et non-juives au sein de la seule partie orientale de la ville souligne clairement l’effort de judaïsation de cette partie de la ville qu’ont entrepris les gouvernants israéliens. Les nouveaux quartiers, tels ceux de Neve Yacov ou Gilo construits depuis 1970, ont accueilli une population juive qui partant de zéro en 1967 a atteint 135 000 personnes à la fin des années quatre-vingt, soit près de 50% de résidents de Jérusalem-Est. Si l’on observe l’ensemble territorial que forment la municipalité de Jérusalem et l’espace du « Grand Jérusalem », on note cependant une faible suprématie juive, avec 52% de l’ensemble de la population, due à la présence des grandes villes palestiniennes que sont Ramallah et Bethléem, qui délimitent en son nord et en son Sud l’aire du « Grand Jérusalem ». Ces grandes cités palestiniennes contrebalançant fortement la croissance juive au sein du « Grand Jérusalem », les Juifs ne constituent qu’environ 15% de la population totale du « Grand Jérusalem » (proportion inchangée malgré les colonies implantées depuis 1967).

Ainsi, la politique de judaïsation de Jérusalem apparaît comme un « succès » pour le gouvernement israélien, si l’on considère les limites de la Jérusalem réunifiée, mais aussi comme une « demi-réussite » si l’on se réfère aux limites du « Grand Jérusalem ». Mais la suprématie juive semble bien fragile à maintenir devant une croissance naturelle arabe qui

120 Le Goush Emounim (Bloc de la Foi) est un des principaux artisans de l’extension de la présence juive au sein du

« Grand Jérusalem ». Le lecteur trouvera des informations sur les incitations à l’implantation dans cette aire (et dans les territoires occupés en général) sur le site internet des colons du Goush Emounim, réorganisé sous le nom de Amana : http://www.amana.co.il. Voir également celui du Yesha Council : http:www.yesha.virtual.co.il

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semble se tenir à un niveau relativement élevé. Faut-il conclure sur une improbable suprématie juive au sein de l’aire métropolitaine de Jérusalem à court terme ? A la fin des années quatre- vingt, face à la faiblesse de l’immigration et à la persistance d’une balance migratoire négative121, et même si ces départs se font en direction des villes des territoires occupés sises

dans le périmètre du « Grand Jérusalem », l’accroissement de la part juive de manière à rivaliser avec celle de la population palestinienne semblait être relégué au long terme.

Cependant, l’édification du « Grand Jérusalem » a participé pleinement à la croissance de la population des colonies juives de Cisjordanie. En rapprochant ces dernières des espaces de développement socio-économiques du Grand Jérusalem, celles-ci voient leur isolement idéologico-géographique s’atténuer progressivement. En 1988, le nombre de colons juifs installés en Cisjordanie s’élevait à près de 70 000 soit une population vingt fois supérieure à celle de 1976 et la majorité d’entre-eux résidaient dans les limites du « Grand Jérusalem » [Newman, 1991:25].

Globalement, à l’aube de l’ouverture de l’ex-URSS à l’émigration juive, il apparaît nettement que la politique israélienne, caractérisée depuis 1977 par un mouvement de maîtrise et de conquête des espaces non-juifs, n’a été véritablement opérationnelle que lorsque les actions stratégiques (encerclement et fragmentation des espaces arabes) et discriminatoires (saisies de terres, rétention des permis de construire...) se sont couplées avec des périodes de forte immigration. La variable « immigration », fer de lance de la stratégie territoriale juive, a contribué à totalement modifier le panorama démographique d’Israël. En 1989, parmi les espaces de peuplement mixtes, le district de Be’er Sheva présente un ratio Juifs/non-Juifs largement en faveur des premiers, celui de Ramlé également. Seule, la région de Nazareth reste un espace « disputé » tandis que le sous-district d’Acre reste le refuge des populations non juives, majoritairement musulmanes mais aussi chrétiennes et druzes. Une diversité qui peut- être fait de cet espace un lieu moins sensible pour les dirigeants israéliens ?122 Même si le bilan,

à la fin des années quatre-vingt, est pour le gouvernement israélien globalement « satisfaisant », il n’empêche que l’affaiblissement de la croissance démographique juive associé à une montée de la contestation palestinienne dans les territoires occupés fait de l’entrée des Juifs d’ex-URSS, une variable de premier ordre sur le plan stratégique.

A la lecture de ces analyses, c’est au-delà du constat des considérations d’ordre géopolitique qu’il semble nécessaire de conclure ce chapitre, car il ressort que la place cardinale accordée, dès la création de l’Etat, à la relation « immigration-territoire » a eu de lourds contre effets socio-politiques sur la société israélienne.

En premier lieu, basée, certes, sur des impératifs de sécurité, cette politique a fait de la minorité arabe sise dans les frontières d’Israël au lendemain de sa création, une population de seconde zone, qui a vécu sous une politique d’administration militaire jusqu’en 1966. Cette période a constitué pour cette population une réelle humiliation et a suscité sa colère comme

121 Entre 1979 et 1989, la balance migratoire juive de Jérusalem a été continuellement négative, entre -500 et -3 000

personnes par an. Voir notamment l’article de M. Choshen et I. Kimhi, « Migration of Jews to and from Jerusalem : Traits of the migrants and the causes of migration » dans l’ouvrage de Yehuda Gradus and Gabriel Lipshitz, 1996 (cf. références complètes en bibliographie).

122 En 1989, les populations arabes non-musulmanes regroupaient un tiers de la population du sous-district de Akko

(Acre) alors que dans les autres sous-districts qui regroupent d’importantes populations non-juives, les Chrétiens et le Druzes ne représentent jamais plus de 25%.

Israël : Un territoire construit sur le binôme Immigration/Geostrategie

l’a exprimé Mahmoud Darwich en écrivant : « A quel point nous sommes naïfs de croire que la loi est un instrument de justice et de vérité »123.

En second lieu, au sein même de la société juive, cette politique n’a pas été sans conséquences. La recherche d’une maîtrise territoriale maximale, par une politique de dispersion de la population sur l’ensemble du territoire, a placé bon nombre d’immigrants, essentiellement orientaux, dans des espaces où la rudesse des conditions de vie est vite devenue insupportable. A ce premier contre effet est venue s’ajouter la question du devenir des nouveaux territoires conquis lors de la guerre des Six-jours. Au début des années soixante- dix, l’action conjuguée de ces deux éléments a rapidement conduit les dirigeants travaillistes dans une impasse.

Pris entre le feu des tensions sociales, où la politique des villes de développement était un thème fort de revendication chez les Orientaux, et des orientations politiques hésitantes au sein des partis de Gauche, entre partisans du développement de colonies urbaines dans les territoires occupés et fidèles de l’esprit pionnier agricole, les Travaillistes n’ont pas pu conserver leur emprise sur la politique israélienne et lors des élections de 1977, le représentant du Likoud (parti de droite), Menahem Begin, a donc accédé à la tête du gouvernement. Ce bouleversement politique, source d’un conflit social qui perdure encore

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