• Aucun résultat trouvé

L’émergence de zones de tension en Palestine

Aux tensions qui existaient entre les migrants juifs eux-mêmes sont venues s’ajouter celles avec les populations arabes. La cause du conflit entre Arabes et Juifs trouvait son origine dans deux problèmes. Le premier se situait sur le terrain de l’emploi : comme nous l’avons souligné, les premiers heurts se tinrent dans les colonies juives où les nouveaux colons entrèrent en concurrence avec les fellahs palestiniens pour trouver une tâche agricole dans les vignes et champs d’agrumes nouvellement créés. La paysannerie arabe était à cette période en difficulté car elle subissait les contrecoups du « rapt » de ses terres par les élites locales (palestiniennes et libanaises). En effet, le « vol des terres » gérées collectivement sous le système de gestion séculaire, le mushâ’, avait eu pour conséquences de voir de nombreux paysans palestiniens se retrouver sans terres, en quête d’un emploi. Parallèlement au problème de l’emploi, prit naissance un conflit qui n’a pas encore trouvé de véritable solution, celui de la contestation politique face au projet sioniste. Dès les premières années de la seconde aliya, une partie de l’élite palestinienne, révoltée par la vente de terres arabes à « l’envahisseur juif » et motivée par ses propres visées nationales, mit sur pied des associations patriotiques afin de lutter contre l’entrée des Juifs en Palestine.

Les conflits naissants entre Juifs et Arabes furent pour les sionistes une « surprise » car beaucoup n’imaginaient pas qu’il puisse y avoir de réels problèmes de cohabitation entre les deux groupes. Néanmoins, des visionnaires comme Ha’ad HaAm, chef de file du « sionisme culturel » et ardent opposant au sionisme politique, avaient très tôt annoncé les risques d’un conflit avec les populations arabes de Palestine (cf. encadré).

En termes d’inscription spatiale

de ces mobilités, en 1909, dans les premières agitations socio-politiques, une nouvelle cité voit « Nous avons l’habitude de penser que tous les Arabes sont des sauvages du désert et qu’ils ne voient ou ne réalisent pas ce qui se passe autour d’eux. [...] Mais c’est une grande erreur. Les Arabes voient et réalisent ce que nous faisons et ce que nous recherchons en Palestine. [...] Si jamais nous nous développons de sorte à empiéter sur l’espace vital de la population autochtone, elle ne nous cédera pas facilement sa place. »

Extrait de l’article « Vérité de la terre d’Israël » écrit en 1891 par Haad HaAm. Citation faite par E. Sanbar, 1994, Les Palestiniens dans le siècle, Paris : Découvertes Gallimard (Histoire), p.27.

Chapitre Un

le jour à proximité de Jaffa, il s’agit de Tel Aviv (« la colline du printemps »). Globalement, au cours de la seconde aliya, c’est toute l’architecture urbaine de la Palestine qui se développe avec l’édification de nouveaux quartiers à Jérusalem mais aussi à Haïfa.

En diaspora, l'intensité diplomatique du mouvement sioniste, dont Chaïm Weizmann est devenu l'un des leaders, se révèle toujours aussi intense. Les pionniers du nouveau yichouv connaissent toutefois à l'aube de la Première guerre mondiale des difficultés. Les autorités turques les soupçonnant d'alliance avec l'ennemi, expulsent nombre d'entre eux parmi lesquels David Ben Gourion. La communauté juive de Palestine voit donc ses effectifs passer de 80 000 personnes en 1913 à 56 000 en 1919 [Bensimon, 1989 :46].

Les deux premières aliyoth marquèrent donc une étape importante puisqu'en furent issus les fondements de l'Organisation sioniste qui allait permettre la colonisation de la Palestine.

Sous l'administration turque, de 1881 à 1917, environ 60 000 Juifs ont émigré vers la Palestine dont 80% étaient originaires de Russie. Comme nous l'avons souligné, cette émigration vers la Palestine était motivée par une idéologie socialiste qui développait le sentiment pionnier de la jeunesse juive. Mais, ce courant de pensée n'avait convaincu qu'une part infime de la communauté juive, car, durant cette même période l'émigration juive totale s'élevait à 3 177 000. L'émigration juive vers la Palestine ne représentait donc que 2 % du mouvement. En ce qui concerne l'émigration juive de Russie, la même proportion, 2 %, opta pour la Palestine malgré la très grande réceptivité des Russes aux idées sionistes. Au cours de la seconde aliya, pendant que quelques dizaines de milliers de Russes émigraient vers la Palestine, 1 089 237 se dirigeaient vers les Etats-Unis (cf. tableau 2).

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Tableau 2 - L’émigration russe vers la Palestine (1905-1914)

Emigration russe vers:

Annnées d' émigration Les Etats-Unis La Palestine

1905 129 910 1 230 1906 153 748 3 459 1907 149 182 1 750 1908 103 387 2 097 1909 57 551 2 495 1910 84 260 1 879 1911 91 223 2 376 1912 80 595 1 182 1913 101 330 1 600 1914 138 051 6 000 1905-1914 1 089 237 24 068

Source: Rozenblum S-A., 1982, Etre juif en URSS, Paris: PUF (RPP), p,189

II.1.1 La déclaration Balfour : un événement géopolitique majeur au Moyen-Orient

La fin de la première guerre mondiale est suivie d'intenses tractations territoriales au sein des chancelleries russe, française et britannique qui aboutissent à la prise du Mandat sur la Palestine par cette dernière (selon les accords Sykes-Picot) et ont surtout été l'occasion pour le mouvement sioniste de jouer une carte importante.

C’est dans cette période troublée que les Juifs vont parvenir à la reconnaissance internationale de l'entreprise sioniste41. Chaïm Weizmann obtient celle-ci le 2 novembre 1917 à

travers la déclaration Balfour. Ce dernier, Ministre des Affaires du Gouvernement de sa Majesté, déclare en effet que son gouvernement "envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national pour le peuple juif ». Même si cette déclaration se veut être protectrice des droits des différentes communautés de Palestine, elle restera comme un tournant décisif dans la montée en puissance des tensions entre Juifs et Arabes. 42

Une telle déclaration, support d'une colonisation active de la Palestine ne pouvait éviter une réaction de la communauté arabe palestinienne. Même si cette dernière "compensait" par son accroissement naturel l'accroissement par migrations de la communauté juive, il lui était bien difficile de rester impassible à une colonisation massive de ses nouveaux voisins, légitimée par des autorités britanniques en lesquelles la Ligue arabe avait tant fondé d’espoir.

"Cet impudent défi des envahisseurs"43 mena à de violents heurts entre les deux

communautés que la puissance mandataire n'a pu contenir malgré ces tentatives de régulation de la migration juive à travers les divers Livres Blancs. Cette politique était d'autant plus

41 Selon N. Picaudou, le soutien aux aspirations juives s’appuie notamment sur « un protestantisme puritain qui fait du

retour de juifs en Terre sainte le préalable à l’avènement des temps messianiques » qui contribue à « créer l’arrière plan affectif sur lequel vient se greffer un projet politique » [1992 :82]

42 cf. les travaux de J.P. Alem, R. Neher-Bernheim et N. Picaudou sur la déclaration Balfour. Notons que la période de

la déclaration est l’objet, comme la période de la création de l’Etat d’Israël en 1948 (cf. infra), d’une exegèse importante, on signalera pour exemple l’article de Sahar Huneidi, « Was Balfour Policy Reversible ? The Colonial Office and Palestine, 1921-23 », Journal of Palestine Studies, vol.XXVII, n°2, winter 1998, pp.23-41.

43 Le lecteur trouvera dans l'ouvrage d'Arthur Koestler, La tour d'Ezra, une retranscription des relations entre les

Chapitre Un

difficile à tenir que l'action de l'Agence juive44, chargée du recrutement et de l'intégration des

immigrants, était de plus en plus efficace et que le mouvement sioniste lui-même connaissait en son sein la montée d'un courant "intransigeant, annexionniste et "bourgeois"", mené par Vladimir Jabotinsky, partisan d'un Etat juif sur les deux rives du Jourdain [Barnavi, 1982 :57]45.

Par la même, le mouvement sioniste passa, en partie, d'un sentiment nationalitaire vers une expression radicalement nationaliste.

Les Palestiniens ont vécu durement la trahison des alliés qui n'ont pas dessiné au proche Orient des nations indépendantes mais de nouvelles colonies [Picaudou, 1992]. Pour cette population, la situation est d'autant plus intolérable que comme l'a souligné E. Sanbar en rappelant les propos d'Arthur Koestler: "Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d'une troisième." [Sanbar, 1994:31]. "L'ennemi" pour les palestiniens est donc double: le pouvoir colonial, auteur d'une trahison, et le mouvement sioniste, acteur de la colonisation".

Au début des années vingt, la population arabe de Palestine manifeste de plus en plus fortement son refus de la colonisation juive. Après la période de confusion qui s'était développée au lendemain de la guerre -avec le trouble jeté par l'accord Fayçal-Weizman (3 janvier 1919)-, les nationalistes palestiniens entrent en conflit direct avec la force mandataire et les sionistes. Les combats entre Juifs et Arabes se font de plus en plus fréquents. Au mois de mai 1921, Jaffa est le théâtre de très violents affrontements entre les deux groupes.

Un homme, qui allait devenir une figure emblématique du mouvement de résistance arabe contre le sionisme, s'était érigé comme leader des émeutiers de 1920-1921, le Mufti de Jérusalem, Haj Amin el Husseini. Ce dernier avait été nommé à cette responsabilité par le premier haut-commissaire britannique envoyé en Palestine, Sir Herbert Samuel. D'origine juive et ancien sioniste, H. Samuel fut dès sa première année de fonction consterné par "l'aveuglement" des sionistes face à la montée de la contestation arabe. Il écrivit dans son journal : "... Il y a ceux quelquefois qui oublient ou ignorent les habitants actuels de la Palestine. Inspirés par la grandeur de leur idéal, sentant derrière eux la pression de deux mille ans d'histoire juive, tendus vers les mesures pratiques qui conduiront à la réalisation de leurs buts, ils apprennent avec surprise et souvent avec incrédulité qu'il y a un demi-million d'habitants en Palestine, dont beaucoup sont pénétrés, et fortement pénétrés, d'un idéal très différent." [Alem, 1991:84].

Devant une telle agitation, Winston Churchill alors Ministre des Colonies publia le premier Livre blanc (1922), qui réglementait l'immigration juive en Palestine selon le critère de "capacité d'absorption économique du pays". Cette promulgation amena une légère pacification de la Palestine. "Le feu couvait toutefois sous la braise" car le concept de "capacité d'absorption" fut bien difficile à interpréter. Un calme relatif fut néanmoins maintenu jusqu'à l'aube des années 30 où la Palestine allait éclater de nouveau en violences46.

44 L'Agence juive a été créée en 1929 conformément aux accords liés au Mandat sur la Palestine qui prévoyaient la

création d'un organisme juif en relation avec les autorités britanniques pour la mise en valeur du pays. L'Agence juive était l'organe exécutif de l'Organisation Sioniste Mondiale créée par Th. Herzl lors du Premier Congrès sioniste.

45 Pour une connaissance plus approfondie du mouvement "révisionniste" et de son leader, voir l'ouvrage de M.

Schattner, 1991, Histoire de la droite israélienne. De Jabotinsky à Shamir, Bruxelles : Complexes.

46 En 1929, la ville d’Hébron fut le théâtre de violentes actions contre les juifs : soixante-sept périrent et soixante furent

blessés. Puis la communauté juive s’est maintenue péniblement dans cette ville jusqu’en 1936. Cette année là, la flambée de violence qui se répandit en Palestine mit un terme à la présence juive à Hébron (cf. notamment le récit de voyage de Jacob Israël de Haan, 1997, Palestine 1921, Paris : L’Harmattan (Comprendre le Moyen Orient), pp.17-39).

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Outline

Documents relatifs