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Une décennie de départs à géométrie variable dans le temps ( )

CONTEXTE NATIONAL

III.1 Une décennie de départs à géométrie variable dans le temps ( )

Le cours de l’émigration pour l’année 1989 n’a pas dérogé à la dynamique signalée précédemment quant à l’orientation du flux : les noshrim181, se dirigeant en priorité vers les

Etats-Unis, ont constitué la plus grande partie des émigrants. Sur les quelques 71 005 Juifs qui ont quitté l’Union Soviétique plus des quatre cinquièmes ont émigré outre-Atlantique [Dominitz, 1997 :119]. Néanmoins, à la fin de l’année 1989, l’amorce d’un changement dans la dynamique migratoire est sensible. Avec un flux total de 12 117 soviétiques, soit cinq fois plus qu’en 1988, Israël entrevoit la réalisation de son rêve, le « retour » des Juifs d’URSS. En 1990, avec l’entrée de plus de 180 000 soviétiques, Israël entre dans le « temps du rêve », certains diront celui du « mythe ».

Outre l’importance du nombre des candidats au départ, un élément majeur est venu influer sur l’orientation du flux vers Israël. Aux Etats-Unis, lors des événements de 1989, les discussions sur l’octroi du statut de réfugié aux Juifs d’URSS se sont multipliées et, au grand désespoir des institutions juives américaines, les conclusions ont abouti à un resserrement des quotas182. Une telle décision était justifiée par le coût engendré par l’accueil de ces réfugiés ; les

pressions israéliennes pour fermer la « voie américaine » ont toutefois été très souvent invoquées pour expliquer ces restrictions. Sur la scène internationale, Israël était le grand gagnant de ces événements internationaux et diplomatiques.

La politique d’ouverture menée par Mikhaël Gorbatchev a justifié la mise en veille des centres de transit de Vienne et de Rome, que dirigeaient HIAS et les autorités américaines, car les Juifs avaient désormais la possibilité de déposer une demande d’émigration directement auprès de l’Ambassade américaine à Moscou et surtout, Israël pouvait prendre en charge les candidats à l’émigration via des centres dirigés par son représentant, l’Agence juive, en URSS. Une telle politique eut pour conséquence directe la chute du nombre de noshrim (19% du flux global d’émigration en 1990183). Par la suite, l’instauration de lignes aériennes directes entre les

grandes villes soviétiques et Israël a contribué à faire d’Israël l’unique voie possible pour les candidats au départ184.

III.1.1 L’agence Juive, le grand ordonnateur de la migration

181 Personne qui sur la « route de Sion » se détourne d’Israël pour un autre lieu de résidence.

182 Afin de diminuer le nombre d’entrées, il avait été indiqué que les demandeurs devaient justifier de la non possibilité

d’émigrer ailleurs qu’aux Etats-Unis. Une telle clause en regard de la loi du Retour (cf. infra) dont pouvait bénéficier la quasi totalité des Juifs d’URSS en Israël mettait donc un frein sérieux à l’émigration outre-Atlantique [cf. C. Jones, op. cit., p.49]

183 L’importance de cette chute est due en majorité à un effet de structure, le nombre d’émigrants ayant été décuplé

entre 1989 et 1990.

184 Entre l’arrêt des transits à Vienne et l’ouverture de lignes directes URSS/Israël, les migrants transitaient avec

l’assistance de l’Agence juive par Varsovie, Bucarest et Budapest notamment, ce qui limitait les possibilités de « bifurcations ».

Une immigration massive à l’identité plurielle

L’Agence Juive a constitué l’acteur central du scénario migratoire qui s’est déroulé au tournant des années quatre-vingt – quatre-vingt-dix.

Dès l’ouverture en 1989, cette organisation juive a mis en place un vaste réseau d’offices et de représentations sur le territoire soviétique afin d’organiser dans les meilleurs délais l’émigration d’un maximum de Juifs. Tout au long de ces années, elle a poursuivi le but de couvrir la totalité du territoire soviétique et de trouver les communautés juives les plus isolées185. L’URSS, restée jusqu'à cette date le dernier foyer majeur d’établissement de la

diaspora non couvert par l’Agence Juive, est aujourd’hui entrée dans l’aire d’influence de l’organisation. Les grandes agglomérations sont les têtes de pont de l’organisation qui, depuis ses antennes, développe tout un réseau d’émissaires qui agissent à l’échelon des petites localités où résident des Juifs. En 1995, quatre-vingt-treize émissaires de l’Agence Juive opéraient dans plus de trente villes d’ex-URSS, cinq cents responsables locaux coordonnaient l’émigration dans les villes périphériques. En outre l’organisation assurait une couverture aérienne du territoire avec plus de cent vols mensuels, en direction d’Israël, depuis plus de 18 points de départ [JAFI,1995 : 20].

Même si le but premier de l’Agence Juive consiste en l’aide à l’aliya, son activité se double d’un programme de soutien à l’éducation juive. Ainsi, en 1995, 400 enseignants locaux ont enseigné l’hébreu à 14 000 étudiants dans 160 oulpanim186, 78 camps d’été ont été organisés

pour 16 000 adolescents et environ 80 clubs de jeunesse créés. La principale motivation de ces actions réside dans l’idée que la découverte de la culture juive chez les jeunes juifs d’URSS développera en eux le désir d’émigrer et qu’ils le feront partager à leurs aînés et parents187.

Au delà de l’Agence Juive, l’importance de cette tâche est unanimement reconnue car la renaissance de la culture juive en ex-URSS touche au plus profond de lui-même l’ensemble du peuple juif quelles que soient ses positions face au sionisme. Le Président Weizman lors d’une visite des centres de l’Agence Juive avait déclaré : « Je suis profondément ému en observant la tâche sacrée que vous réalisez. Je vous souhaite succès pour le futur. Que le peuple juif reconnaisse votre œuvre » [JAFI, 1995 : 21].

Toutes ces structures d’incitation directe ou indirecte à l’émigration ont conduit à une explosion du champ migratoire dès la fin des années quatre-vingt.

III.1.2 Une réaction d’une grande célérité

En 1990, une véritable marée humaine s’est levée au sein de la communauté juive d’URSS avec plus de 180 000 émigrants vers Israël (cf. Tableau 25). La vague migratoire est passée d’un flux de 5 000 Juifs mensuels en janvier à plus de 35 000 pour le mois de décembre. Comme le souligne la Figure 12 -, ce mouvement a acquis une intensité sans égal au cours de 1990 : un record d’émigration mensuelle a été enregistré sur le mois de décembre avec plus de 35 000 départs soit l’équivalent de l’ensemble du flux total d’émigration juive de l’année 1973.

185 Notons que des membres de la diaspora œuvrèrent en tant que pionniers pour ouvrir la voies vers les communautés

juives isolées. Les Eclaireuses/Eclaireurs Israélites de France ont notamment participé à la prise de contact avec les Juifs de Sibérie (Irkoutz, Khabarovsk). Tels des missionnaires ces jeunes présentèrent à ces populations des éléments de culture juive et d’informations sur Israël. Comme l’a conclu lors d’une communication l’un des membres de l’une de ces expéditions, ces actions ont montré « comment une diaspora reste solidaire en possédant une iconographie commune [....] au travers de réseaux internationaux complexes » ; cf. le texte de Benjamin Herzberg in Prévélakis G. (dir.), 1996, Les réseaux des diasporas, Nicosie-Paris : YKEM/L’Harmattan.

186 Classe d’hébreu

Chapitre quatre

La célérité et l’importance de cette émigration, que l’on pourrait décrire comme une « fuite », n’a pas uniquement caractérisé l’émigration juive. Les minorités nationales d’origine allemande et grecques ont également quitté massivement et rapidement l’URSS.

Tableau 25 - L’émigration juive vers Israël (1989-1997)

Années d' immigration

Pays d' origine 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1990-97 URSS/ex-URSS 12 721 185 227 147 839 65 093 66 145 68 079 64 847 59 049 54 600 723 600

Source : publications du Central Bureau of Statistics, Jerusalem

La dynamique imprimée en 1990 n’a pu se poursuivre sur 1991 du fait des deux obstacles à l’émigration qu’ont été la guerre du Golfe et la tentative de putsch en URSS (cf. Figure 12 -). Malgré ces conflits le flux global s’est élevé à près de 150 000 personnes. Après cette année tourmentée, une chute sévère de l’émigration vers Israël a été enregistrée. La connaissance par les candidats à l’émigration des problèmes d’intégration (emploi et logement principalement) rencontrés par leurs prédécesseurs est considérée comme la cause majeure de cette évolution à la baisse du flux. Au cours des premières années de l’aliya post-1989, le flux se caractérisait toutefois par une réelle intensité en regard des « pires heures » de l’émigration vers Israël comme en 1986 (cf. Figure 12).

Le mouvement a donc connu en 1992 une rupture de rythme qui ne fut jamais rétablie et depuis cette date, l’émigration vers Israël n’a jamais dépassé les 68 000 personnes. Globalement, plus de 700 000 personnes ont émigré en Israël au cours des huit années qui ont suivi la chute du bloc communiste.

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