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La troisième aliya (1919-1923), vers la fermeture du « réservoir » soviétique

La troisième aliya s’ouvre donc dans un Moyen Orient des plus agités. La Palestine qui comptait environ 56 000 habitants juifs au lendemain de la guerre, a vu immigré plus de 35 000 personnes. Cette aliya permit donc au yichouv de retrouver la population juive qui y était rassemblée avant le déclenchement des hostilités en 1914.

II.2.1 « Une période de consolidation dans l’instabilité »

Le projet sioniste malgré les fortes tensions entre les communautés et la puissance mandataire poursuivit son enracinement en Palestine. L’atout majeur de cette troisième vague migratoire résidait une fois encore dans la motivation des nouveaux immigrants. Ils se distinguaient de leurs prédécesseurs par le fait que bon nombre d’entre eux avaient subi dans leur pays d’origine une formation agricole dans les fermes du mouvement Hehaloutz (Le pionnier).

Face aux difficultés rencontrées par les premiers pionniers, le mouvement Hehaloutz - très présent en Russie et en Pologne- avait été créé pour aider ces jeunes socialistes à réussir leur entrée en Palestine. Leur préparation, Hahsharah, se déroulait au sein des colonies agricoles juives situées notamment dans le Sud de la Russie, en Crimée ainsi qu'en Biélorussie. De nombreuses sections locales existaient en Russie, en 1923, il en était recensée plus d'une centaine regroupant 3 000 adhérents. L’artisan de ce programme de pré-information fut Joseph Trumpeldor47. Dès 1919, il accompagna les premiers Haloutzim et fut tué quelques mois

plus tard dans l’attaque de son kibboutz de Tel Haï (Galilée). Ses derniers mots -« Cela ne fait rien, il est bon de mourir pour son pays »- firent de lui un exemple pour beaucoup de jeunes sionistes et contribuèrent à l’essor du mouvement.

Ce nouveau flux migratoire souffla donc innovations et réformes sur le yichouv. La plus importante des transformations qui s’est opérée suite à la rencontre de groupes d’immigrants juifs pré et post-Première guerre mondiale fut le rassemblement de ces pionniers juifs au sein d’une confédération générale du travail. Créée en 1920, la Histadrouth48, qui

deviendra un élément structurant du yichouv sur sa route vers la création de l’Etat, fut aussi la première pierre de l’hégémonie future de la gauche travailliste. Parallèlement à cette création, d’autres institutions furent créées dont le Keren Hayessod (Fonds de reconstruction) comme instrument financier de l’entreprise sioniste en Palestine. A cette même période, les nouvelles acquisitions de terres dans la vallée de Jezréel sont l’occasion pour les pionniers de mettre en place une nouvelle forme d’établissement agricole, le moshav.

Le bilan de cette période est globalement impressionnant car le yichouv a retrouvé sa population d’avant 1914, la mise en valeur des terres s’est diversifiée et l’ensemble de la communauté juive s’est dotée d’institutions de type étatique, formant un support essentiel à l’accomplissement du projet sioniste. Cette relance du yichouv, impulsée au cours de cette

aliya, va trouver dans les vagues migratoires suivantes la population nécessaire à la poursuite de

l’édification des bases de l’avènement de l’Etat (développement de l’urbanisation, de l’industrie, etc.).

47 Dans les rangs de l’Armée tsariste, J. Trumpeldor avait été décoré pour sa bravoure lors de la guerre russo-japonaise

de 1904.

48 En 1921, Ben Gourion fut nommé secrétaire-général de la Histadrouth. A partir de cette date, il n’eut de cesse

d’organiser le mouvement ouvrier dans le yichouv. En 1930, à travers son action, Ben Gourion parvint à fusionner les partis ouvriers juifs en un seul, le Mapaï. Au cours de ces dernières années, il mena une lutte acharnée contre ses opposants dont les plus illustres furent Berl Katznelson et Zvi Jabotinski [cf. notamment Greilsammer, 1998 :89].

Chapitre Un

Au cours des quatrième (1924-1931) et cinquième aliya (1932-1938), l'histoire du mouvement sioniste et celle plus globale de la Palestine avance à grands pas. On assiste au cours de cette période a un triplement des colonies juives en partie grâce à la mise en place du

Keren Hayessod. Cette dynamique de développement aura d'autant plus un pouvoir attractif sur

les communautés d'Europe orientale que les Etats-Unis, avec l'instauration de quotas d'immigration (lois de 1924, The Johnson Act), ferment leurs portes à la migration juive. Cette restriction est tout à fait notable dans la dynamique migratoire en Palestine puisqu'au cours de la quatrième aliya quelques 85 000 nouveaux immigrants sont comptabilisés dont 35 000 sur la seule année 1925. Au cours de la quatrième aliya, la Palestine a concentré un cinquième du volume total des migrations intercontinentales juives contre un dixième durant la troisième

aliya. La « centralité » de la Palestine au sein du champ migratoire juif mondial s’est confirmée

au cours de la cinquième aliya, comme l’indique le tableau suivant (cf. Tableau 3). Tableau 3 - Migrations juives selon les principaux pays d’accueil (1933-1937)

Pays d’accueil Immigration nette

Palestine 172 000 Brésil 64 100 Argentine 63 500 Etats-Unis 29 900 Afrique du Sud 26 100 Australie 8 600

Source : Sitton S., 1963, Israël, immigration et croissance, Paris : Cujas (Connaissances économiques), p.51.

Ce recentrage des migrations juives sur la Palestine a contribué à augmenter les craintes de la population arabe. La lutte démographique -dite « guerre des berceaux » que nous avons connu dans les années 1970-1980 entre Juifs et Arabes -et que nous connaissons encore dans une moindre mesure- fut instituée dès cette période. Le « duel » entre croissance naturelle arabe et accroissement juif par migrations était lancé comme le souligne avec clarté la Figure 2.

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Figure 2 - Accroissement des populations de Palestine entre 1922 et 1936

0 100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 Toutes religions Musulmans Juifs Chrétiens RELIGIONS EFFECTIFS Accroissement par migrations Accroissement naturel Accroissement total de population L'accroissement naturel de la communauté palestinienne est équivalent à l'accroissement par migrations de la communauté juive

Source : Palestine, Blue book, Government Printer, Jerusalem, 1936, p.122

II.2.2 La communauté soviétique, une tendance migratoire à contre-courant de celle de la diaspora

Un élément historique, d'importance pour notre étude, venait de se produire au cours de la troisième et la quatrième aliya, la fin de la Russie tsariste et l'avènement de l'URSS. Il allait s'ensuivre de nombreuses prises de position envers le sionisme et ce qui deviendra, le 14 mai 1948, l'Etat d'Israël.

II.2.2.1 La mise en place d’une « politique soviétique anti-sioniste »

La Révolution d'Octobre 1917 avait permis un développement extraordinaire des sionistes, car elle les libérait de l'étreinte de l'antisémitisme violent de la Russie tsariste. Les bureaux d'émigration vers la Palestine à Petrograd, Minsk, Odessa, et plusieurs autres en Ukraine fonctionnaient librement. Elle permit également une plus grande participation de la communauté juive dans la politique de l'Union Soviétique. Le mouvement sioniste toutefois méfiant par rapport au nouveau régime décida de se consacrer uniquement à l'édification d'un Foyer Juif en Palestine et d'observer une stricte neutralité, en ce qui concernait la politique intérieure de l'Union. Malgré cette orientation politique, les sections juives, Yevsektzia, du parti communiste qui étaient composées d'anciens militants du Bund (parti social-démocrate ouvrier juif), commencèrent dès 1920 à dénoncer l'essence contre-révolutionnaire du sionisme. Il

Chapitre Un

s'ensuivit de nombreuses arrestations et la liquidation de toutes les colonies Hehaloutz qui existaient, ceci toujours sous l'impulsion des Yevsektsia. Par conséquent, peu de Juifs purent émigrer vers la Palestine, seulement 3 000 Haloutzim au cours des quatrième et cinquième aliya.

Les Juifs d’URSS ne participèrent pas aux importantes vagues migratoires de la fin des années trente où près de 300 000 Juifs -pour beaucoup des Polonais fuyant la montée du nazisme- entrèrent en Palestine. Cette période marqua donc la fin de la participation des Juifs d'URSS à l'histoire du yichouv et à celle du futur Etat d’Israël jusqu’aux années soixante où l’assignation à résidence des Juifs par Staline et ses successeurs fut de plus en plus souvent levée (cf. infra).

II.2.2.2 Le Birobidjan, une tentative de compromis ?

La population juive qui venait d'être atrocement frappée par les pogroms durant la guerre civile (1908-1922) se trouva réduite à l'indigence suite à la ruine qu'amena la période du « communisme de guerre ». Malgré la Nouvelle Politique Economique de Lénine -la Nep, lancée en l921-, la situation ne s'améliora que très faiblement, seuls les hommes d'affaires juifs dégagèrent quelques profits de cette initiative. Pour pallier la rudesse des lendemains de la guerre civile, les autorités proposèrent le retour des Juifs à la terre. Pour cela, le gouvernement soviétique créa l’Ozet (en 1925), une association chargée de l'installation de travailleurs juifs à la terre dont le président du Comité central de l'Union Soviétique, Mickhail Kalinine, faisait partie.

Le choix de la terre se porta sur le Birobidjan, une région située en plein Extrême- Orient soviétique, au confluent de deux fleuves le Bira et le Bidjan. En 1927, date à laquelle fut ouvert aux Juifs ce territoire, la population s'élevait à 1 192 habitants, des Coréens et des Kazakhs principalement. Un grand effort de propagande fut réalisé pour lancer le projet auprès des Juifs d’URSS mais aussi de l'étranger. En 1928, le premier groupe d'immigrants, qui comportait 654 personnes venues de Kazan, Minsk et Smolensk, s’installa sur cette nouvelle terre [Levin, 1990 :286]. Les différentes missions venues visiter les colons témoignèrent toutes de la rudesse du lieu et de la faible réussite de l’entreprise.

Devant les difficultés rencontrées par les premiers immigrants, l'émigration juive se poursuivit avec une ampleur bien inférieure aux espérances du gouvernement (cf. Tableau 4). Tableau 4 - Immigration juive au Birobidjan (1929-1933)

Années 1929 1930 1931 1932 1934 1935

Nombre d’immigrants 555 860 3 231 14 000 3 000 8 344

Source : BRAUN P., SANITAS J., 1989, Le Birobidjan, une terre juive en URSS, Paris : Robert Laffont, p.102 ; LEVIN Nora, 1990, The Jews in the Soviet Union since 1917, paradox of survival (tome 1), New York : N.Y. University Press, pp.290-294.

Les plans de peuplement fixés par les autorités ne furent jamais atteints. Pour 1929, le gouvernement avait prévu l'installation de 15 000 personnes, en 1930, le recensement de la population au Birobidjan révéla la présence de 1 500 Juifs sur une population totale de 37 000 personnes. Même si au cours de 1932, le Birobidjan connut une nette augmentation de l'immigration (avec la mise en place du Second Plan quinquennal), la situation ne s'améliora guère. Dès 1933, le solde migratoire fut négatif alors que le gouvernement y prévoyait pourtant l'installation de 25 000 Juifs. Il n'en arriva qu'un huitième. La décision (prise par Kalinine en

Les juifs russes et l’édification d’Israël

1934) de faire du Birobidjan une région autonome juive et à plus long terme une République soviétique ne changea en rien le rythme de l'immigration.

Une petite société juive s’était toutefois développée sur cette terre quelque peu hostile à l’implantation humaine. Tout un réseau d’écoles dont l’enseignement était dispensé en yiddish (seconde langue officielle depuis l’accession au rang de région autonome) avait été mis sur pied et différents journaux tels le Birobidjan Stern étaient également publiés. Mais très rapidement, la répression religieuse et culturelle lancée par Staline vint laminer le développement culturel et religieux de la culture juive au Birobidjan.

A l’aube de la Seconde guerre mondiale, les décrets d’autorisation à l’immigration vers cette terre se conclurent tous en échec. Seuls quelques milliers de Juifs s’y installèrent avant le déclenchement de la conflagration mondiale. Au lendemain de la guerre, le Comité anti-fasciste juif tenta de relancer l'immigration au Birobidjan, 6 236 Juifs arrivèrent entre 1946 et 1948. Cette dernière année fut celle où la population juive atteignit son maximum avec près de 30 000 personnes. Elle marqua également la fin de l'émigration juive vers le Birobidjan et la dissolution de toutes les institutions juives du fait des mesures antisémites prises par Staline. Par la suite, la population juive du Birobidjan s’éroda progressivement49.

Il ne reste aujourd'hui pour rappeler l'épisode de l'immigration juive au Birobidjan que les inscriptions en yiddish gravées sur les monuments même si la communauté juive s’est maintenue sur cette terre hostile. En 1980 et à la fin des années 9050, environ 10 000 Juifs sur

une population totale de 220 000 habitants furent recensés. La tentative de résoudre le problème juif d'URSS - tout en soutenant comme Staline qu'il n'existait pas51- par la création

du Birobidjan apparut pour beaucoup comme une manœuvre où la stratégie territoriale (face à la Chine) prédomina largement sur le souci de soulager la minorité juive.

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