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L’entêtement idéologique de la droite israélienne ou l’entrée dans une impasse géopolitique

CONTEXTE DEMOGRAPHIQUE

I.2 L’entêtement idéologique de la droite israélienne ou l’entrée dans une impasse géopolitique

L’engagement idéologique des années soixante-dix, à travers son expression territoriale qu’a été la colonisation des territoires conquis en 1967, a placé Israël dans une délicate position géostratégique. Avec l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste (1977), et son corollaire, le réinvestissement messianique du sionisme, par l’alliance du gouvernement Begin avec les courants religieux et annexionnistes tel le Gouch Emounim, le pays est entré dans une logique géopolitique des plus complexes et périlleuses.

Maintenir une présence juive dans les territoires conquis pouvait certes s’entendre dans une perspective sécuritaire mais la marque idéologique que les gouvernements ne s’étaient pas privés d’appliquer à cette présence a effacé l’aspect sécuritaire pour ne laisser transparaître que l’image colonisatrice et a donc, par là même, posé clairement et uniquement le débat en termes de conflit territorial. Le déclenchement de l’Intifada129, fin 1987, a constitué en cela, une mise

en évidence de l’infléchissement de la précellence du « souci d’exister » dans la conduite de la politique israélienne, le soulèvement palestinien ayant trouvé ses racines dans un effort de réaction contre une oppression et non pas dans un plan de destruction de l’entité israélienne. Ainsi, à l’aube de la décennie quatre-vingt-dix, le facteur démographique a revêtu une importance toute particulière car le temps était venu pour chacun des « camps » de se compter. Pour asseoir les fondements idéologiques de leur politique, qui vise à la maîtrise territoriale du « Grand Israël », les gouvernants d’alors doivent se résoudre à mesurer leur potentiel démographique, car si, comme l’a souligné A. Dieckhoff [1987:61], l’entreprise sioniste avait su, dans ses premières années, « tempérer et relativiser » le déséquilibre démographique chronique dont elle souffrait par sa « stratégie multiforme d’occupation de l’espace », à la fin des années quatre-vingt, cette stratégie, face à l’affirmation du nationalisme palestinien, ne peut plus échapper aux rapports purement démographiques.

L’impasse dans laquelle semble engagé Israël est clairement reflétée dans la part grandissante que prend la question démographique dans le discours politique autant chez les Israéliens que chez les Palestiniens. Au cours des années quatre-vingt, les travaux de Nadia Benjelloun-Ollivier rassemblés sous le titre « Israël-Palestine : le nombre et l’espace » [1983] ou encore ceux de Jean-Paul Chagnollaud intitulés « Palestine : l’enjeu démographique » [1983] ont parfaitement souligné les réorientations stratégiques de cette lutte déjà trentenaire.

Deux niveaux d’analyse doivent retenir notre attention pour cerner au mieux le contexte dans lequel évolue alors la pensée géopolitique israélienne. A la fin des années quatre- vingt, deux éléments obligent le gouvernement israélien à réagir promptement. En premier lieu, l’amoindrissement de la croissance démographique fait d’Israël un pays fragilisé, une « proie facile pour ses voisins » et, en second lieu, non seulement cet affaiblissement risque de tirer à conséquence sur la scène régionale, mais aussi dans l’aire israélo-palestinienne, dessinée

129 L’intifada a pris naissance en décembre 1987, à partir d’une collision entre deux véhicules, l’un conduit par un

Israélien, l’autre par un Palestinien, qui a coûté la vie à deux des passagers palestiniens. Cet accident de circulation a mis le feu aux poudres et la rébellion contre les Israéliens s’est propagée dans tous les territoires occupés. Au soulèvement palestinien est venu répondre une politique de répression des plus sévères [Gresh, 1992].

Une stratégie territoriale remise en question

par les conquêtes de 1967, car la supériorité numérique des Juifs dans cet ensemble apparaît à terme remise en question.

En 1989, avec une population d’environ 4 500 000 personnes130, Israël se place au

9ème rang des pays du Moyen-Orient. Ses voisins sont largement plus peuplés, notamment ceux

avec lesquels Israël possède des relations conflictuelles ; la Syrie, l’Irak et l’Iran ont des populations qui lui sont dix fois supérieures. A cette époque, dans le contexte de tensions qui caractérise cet espace, la faiblesse démographique d’Israël est ressentie avec d’autant plus d’acuité que les taux de natalité, et globalement la croissance annuelle, des pays arabes environnants sont également beaucoup plus élevés (Israël, 22‰ ; Irak, 42‰ ; Iran, 44‰ et Syrie, 45‰).

Dans l’espace israélo-palestinien, les craintes démographiques trouvent leur source aux différentes échelles d’analyse du territoire. En premier lieu, à l’échelle des frontières de 1949, le problème démographique inquiète Israël car l’Etat ne parvient pas à dominer numériquement l’ensemble de son territoire. Dans cette logique de suprématie numérique, le district Nord est en effet pour ces « populations rivales », le théâtre d’une rude bataille démographique.

Si l’envoi d’immigrants de la grande vague de 1948-1951 et l’exil palestinien avaient permis aux Juifs d’être majoritaires dans cette région septentrionale, la forte croissance naturelle des populations arabes résidentes a très vite comblé les pertes liées à l’exode. Au tournant des années soixante-dix - quatre-vingt, les autorités israéliennes, de par la faiblesse de leur croissance naturelle face à la vigueur de celle des Palestiniens, ne pouvaient que constater le recul de leur présence en Galilée. Presque mécaniquement, à partir de la moitié des années soixante, la diminution progressive de la dynamique migratoire a contribué à éroder les bénéfices démographiques réalisés en Galilée grâce aux grandes aliyoth consécutives à la création de l’Etat. Passée majoritaire au début des années soixante-dix dans cette région septentrionale d’Israël, la population juive a très rapidement reperdu sa suprématie numérique en l’espace d’une décennie, faute d’une croissance démographique suffisante en regard du dynamisme de la population arabe (cf. tableau 18). Comme l’a rappelé Majid Al-Haj [1992 :91], la chute de l’émigration des années 1970-1980 a fait naître la crainte d’une perte de suprématie démographique chez les Juifs, même si la souveraineté de l’Etat n’était pas directement remise en question car la part juive se maintenait à hauteur de 80% dans la population totale (cf. tableau 18).

Chapitre trois

Tableau 18 - Populations juives et non-juives en Israël et dans les territoires occupés (1948- 1987)

1948 1972 1987

effectif % effectif % effectif % Israël (avant 1967)

Total 872 700 100,0 3 147 700 100,0 4 406 500 100,0 Juifs 716 700 82,1 2 686 700 85,4 3 612 900 82,0 Non-juifs 156 000 17,9 461 000 14,7 793 600 18,0 District Nord (inclus Galilée)

Total 144 000 100,0 473 900 100,0 732 400 100,0 Juifs 53 400 37,1 255 700 54,0 357 000 48,7 Non-juifs 90 600 62,9 217 600 45,9 375 400 51,3 Israël et Cisjordanie Total 3 770 300 100,0 5 244 200 100,0 Juifs 2 686 700 71,3 3 612 900 69,0 Non-juifs 1 083 600 27,7 1 631 300 31,1 Israël, Cisjordanie et Gaza

Total 4 149 100 100,0 5 789 200 100,0 Juifs 2 686 700 64,8 3 612 900 62,4 Non-juifs 1 462 400 35,3 2 176 300 37,6

Source: Newman D., 1992, Population, settlement and conflict: Israel and the West Bank , Cambridge: University Press, p.20

Néanmoins, à l’échelle des territoires sous « contrôle » israélien après 1967, le spectre du « diable démographique » se faisait de plus en plus présent et interrogeait le gouvernement car une éventuelle décision d’annexion de la Cisjordanie et de Gaza présentait le risque de voir, à plus ou moins long terme, la communauté juive réduite au rang de minoritaire. En 1987, à cette échelle d’analyse, les Juifs ne représentaient plus que les deux tiers de la population totale et les indicateurs démographiques n’étaient pas en leur faveur (cf. tableau 18).

Les perspectives démographiques n’étaient d’autant pas en faveur de la population juive d’Israël qu’elle présentait un taux brut de mortalité supérieur d’un tiers à celui de la population arabe israélienne et un taux de natalité sans comparaison avec celui de cette dernière. En 1989, alors que l’entêtement idéologique des gouvernants israéliens prête de plus en plus à discussions, le taux brut de natalité des Arabes israéliens était de quinze points supérieur à celui de la population juive (cf. figure 8).

L’importance de ces écarts de natalité était renforcée par la situation qui prévalait dans les Territoires occupés où les taux de natalité étaient encore plus élevés. En Cisjordanie et à Gaza, ils excédaient les 40‰. Comme le souligne la figure 9, le déclenchement de l’intifada paraît avoir impulsé une augmentation de la natalité palestinienne notamment en Cisjordanie. Alors qu’à Gaza, la croissance du taux de natalité semble, avant tout, un effet structurel, en Cisjordanie, il apparaît qu’au lendemain du déclenchement de l’intifada, la natalité s’est fortement accélérée puisqu’elle a gagné, en l’espace de deux années, plus de cinq points.

Une stratégie territoriale remise en question

Figure 8 - Taux brut de mortalité et taux brut de natalité en Israël (‰)

0,0 5,0 10,0 15,0 20,0 25,0 30,0 35,0 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 année ta u x (‰) TBN TBM Juifs Juifs Non-Juifs Non-Juifs

source: Courbage Y., "Contrastes démographiques en Israël: tendances récentes", Population , mai-juin 1993, n°3, p.756

Figure 9 - 1980-1992 : Taux brut de natalité en Cisjordanie et à Gaza d’après les statistiques israéliennes (‰) 30 35 40 45 50 55 60 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 Ensemble Cisjordanie Gaza

COURBAGE Y., "La fécondité palestinienne des lendemains de l'Intifada", Population , n°1, 1997 Intifada

Chapitre trois

Indéniablement, le climat politique israélien pâtissait de ces défavorables perspectives démographiques. Les projections de population où étaient annoncées, comme dans celles de J.P. Chagnollaud [1983 :51] que « d’ici la fin du siècle, on peut raisonnablement prévoir que cette minorité [les Palestiniens] deviendra la majorité » affaiblissaient considérablement les visées expansionnistes de la droite nationaliste. Même si, abstraction faite de l’impact médiatique de ces projections, la supériorité numérique des Palestiniens apparaît n’être réalisable qu’à long terme, entre 2015 et 2020131, la population palestinienne de Cisjordanie

ayant juste retrouvé un niveau similaire à celle existante à la veille de l’exode de 1967 (cf. encadré), les représentations « catastrophiques » de la guerre démographique qui hantent l’imaginaire politique de la droite israélienne a, nous en faisons l’hypothèse, conduit, ou contraint, le gouvernement israélien d’Y. Shamir à reconnaître l’impasse géopolitique dans laquelle il s’engageait et à avancer vers la table des négociations avec les Palestiniens (Conférence de Madrid, octobre 1991). La pression exercée sur le gouvernement israélien pour qu’il accepte l’établissement d’un processus de paix était renforcée par le contexte post-guerre froide qui rendait caduque l’affrontement Est/Ouest par Israéliens et Palestiniens interposés dont avait été l’objet la scène moyen-orientale pendant des années132.

LA DEMOGRAPHIE DES TERRITOIRES OCCUPES ET DE JERUSALEM A LA

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