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Mai 1948, Israël est créé : la communauté soviétique, la grande absente…

II. 3 1925, l’histoire s’accélère…

II.4 Mai 1948, Israël est créé : la communauté soviétique, la grande absente…

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion, proclame l'Etat d'Israël et réalise ainsi la vision qu'avait eue Herzl lors du Premier congrès sioniste.55 Le "retour" est enfin possible et il s'avère

en fait surtout nécessaire, car d'une part, la détresse est forte au sein du peuple juif au lendemain de cette terrible guerre, et d'autre part, la menace est grandissante pour les communautés sises en Terre d'Islam, à la suite de la proclamation de l'Etat d’Israël.

53 cf. Bruce Chatwin, 1996, Anatomie de l'errance, Paris : Grasset et Fasquelle, p.113. Sur ce thème, voir également Alain

Médam, 1991, p.29.

54 Le lecteur trouvera également des informations sur les ordonnances de 1941 et 1945 limitant l'immigration en

Palestine in H. M. Sachar, 1996, A history of Israel from the rise of zionism to our time, New York : Knopf, 1996, pp.267- 270. Un ouvrage consacré à l'histoire de l'immigration clandestine a été publié par David Shapiro en 1995 (en hébreu). Le livre de Mordechaï Noar, 1987, Haapala, clandestine immigration 1931-1948, Ministry of Defence Publishing House - IDF Museum, diffusé notamment au Musée de l'immigration illégale à Haïfa, constitue une source d’informations de premier ordre.

55 Rappelons que Th. Herzl avait décrit son sentiment au lendemain du premier congrès à Bâle par les mots suivants :

"Si je veux résumer le congrès de Bâle d'un mot -que je me garderai de prononcer en public- je dirai ceci : à Bâle j'ai fondé l'Etat juif. Si je disais cela aujourd'hui à haute voix, je déclencherais un rire universel. D'ici cinq ans peut-être, cinquante ans sûrement, chacun le comprendra." [Herzl, 1990 :155]

Les juifs russes et l’édification d’Israël En préambule à l’énoncé des

orientations gouvernementales qui président à l’accueil des nouveaux immigrants, il est nécessaire de souligner la spécificité d’Israël dans ce domaine. Dans l’esprit de sa création comme « Etat des Juifs », Israël est en effet un des rares pays au monde à ouvrir sans restrictions ses frontières à l’immigration et à offrir aux nouveaux venus la nationalité israélienne. La loi du Retour (hoq hashvout), instituée dès 1950, autorise l'entrée d'Israël à tout Juif, et suite à l’amendement de 1970, ce droit a été étendu aux membres de la famille de l’oleh ; et la Loi sur la nationalité, édictée en 1952, autorise l'acquisition automatique de la nationalité israélienne (cf. encadré ci- contre). Une telle politique n’est pas sans provoquer de vifs débats car l’amendement de 1970 en précisant qui est Juif, a mentionné, qu’outre toute

personne née de mère juive était également juive celles converties au Judaïsme. Depuis cette date, les partis religieux s’efforcent de restreindre le droit à la loi du Retour et de ne faire reconnaître comme conversion que celles pratiquées dans le strict respect des prescriptions rabbiniques.

La loi du Retour (5 juillet 1950)

1. Tout Juif a le droit d’immigrer en Israël

2. Le visa d’immigration est accordé à tout juif qui

exprime le désir de s’établir en Israël, sauf si le ministre de l’Immigration prouve que le candidat : a/ a été engagé dans des activités dirigées contre le

peuple juif,

b/ pour mettre en danger la santé publique ou la sécurité de l’Etat.

3. Tout Juif qui après son arrivée en Israël exprime le

désir de s’établir, peut recevoir un certificat d’immigration.

4. Tout Juif qui a immigré en Israël avant l’entrée en

vigueur de cette loi et tout juif né dans le pays avant ou après l’entrée en vigueur de cette loi, est assimilé à une personne considérée comme immigrant par la présente loi.

5. Le ministre de l’immigration est chargé de

l’exécution de cette loi ; il peut prendre toutes les mesures nécessaires pour l’exécution de cette loi et accorder les visas et certificats d’immigration aux mineurs âgés de moins de dix-huit ans.

Source : Bensimon D., Errera E., 1989, Israéliens, des Juifs et des Arabes, Bruxelles : Complexe (Historiques), p.70.

II.4.1 Le rassemblement des « exilés » (…)

Au lendemain de sa création, l’Etat d'Israël ouvre donc librement ses frontières et voit donc, au cours de ses premières années, s'opérer le "rassemblement des exilés" (Kibboutz

galouyoth). Avec le soutien de l'Agence Juive, les immigrants viennent par milliers d'horizons

divers caractérisés par l'exil, la misère et la mort.

La création de l'Etat a immédiatement fait écho dans les communautés. Avec les 17 000 entrées de juillet 1948, l'Etat voit son taux d'immigration mensuelle tripler par rapport à celui de mai. Cette dynamique va se poursuivre jusqu'en 1951 avec un flux qui oscille entre 10 000 et 30 000 arrivées par mois. Les rescapés des camps de concentration nazis, les réfugiés juifs d'Europe constituent la part la plus importante du flux migratoire. La dynamique migratoire est d'une telle intensité que fin décembre 1951, la population juive de l'Etat a déjà doublé. Aux 650 000 personnes déjà installées lors de la proclamation de l'Etat sont venues s'ajouter plus de 685 000 autres. Au sein de ce flux, de nombreuses communautés orientales étaient également présentes. Pour ces dernières, il s'est agi de véritables transferts de communautés : en 1950, l'Opération "Tapis Magique" voit le transfert de la quasi totalité de la communauté yéménite (50 000 personnes), entre 1948 et 1951 les Opérations "Ezra et Néhémie" permettent l'arrivée de la communauté d'Irak (130 000 personnes).

A partir de 1952, comme le souligne la Figure 3, l'intensité du flux s'atténue considérablement. Au cours de 1952-1953, environ 35 000 entrées sont enregistrées contre 170 000 en 1951. Cet affaiblissement est d'autant plus ressenti qu'Israël connaît en parallèle un

Chapitre Un

mouvement d'émigration. Le solde migratoire est de 21 000 personnes sur la période 1952- 1954 (54 000 arrivées pour 32 000 départs). La récession migratoire s'explique essentiellement par la fin de l'évacuation des camps de "personnes déplacées", par l'interdiction d'émigrer que les démocraties populaires d'Europe imposent aux Juifs et par les difficultés rencontrées pour absorber cette vague massive d'immigration. Pour faire face à ces problèmes, le gouvernement israélien et l'Agence juive avaient d'ailleurs mis en place une politique de sélection des immigrants qu'elle abandonna définitivement en 1955. Problèmes d'autant plus aigus qu'Israël devait assumer en parallèle le poids de fortes dépenses militaires.

Pour les communautés d’Afrique du Nord, c'est dans les mouvements nationalistes que nous trouvons le facteur déterminant de l'émigration vers Israël. Certes, l'attrait idéologique d'Israël a suscité d’emblée un désir d'émigration puisqu'entre le 15 mai 1948 et le 31 décembre 1949, 47 000 Juifs ont réalisé leur aliya [Chouraqui, 1987], mais le plus fort de l'émigration s'est situé au cours des années cinquante et soixante. L'incertitude que représente l'après-colonisation et l'angoisse des persécutions qu'elle engendre poussent les communautés à émigrer. Quelques 27 000 Juifs de Tunisie et 197 000 du Maroc prennent la route d'Israël entre 1952 et 1964.56 Cette dernière communauté rencontre toutefois de plus en plus

d'obstacles à l'émigration en raison de l'indépendance du Maroc (1956). Au cours de cette même année, Israël accueille environ 12 000 Juifs d'Egypte au lendemain de la campagne de Suez.57 A la même période, un regain d'immigration en provenance de Hongrie et surtout de

Pologne est notable suite au relâchement des restrictions migratoires (environ 40 000 personnes). Néanmoins Israël va progressivement vers une stabilisation de son flux d'immigration. Une seule exception viendra troubler l'accalmie qui caractérise la dynamique israélienne entre la crise de Suez et la Guerre des Six-jours : la poursuite d'une importante immigration marocaine qui voit l'arrivée de 130 000 personnes entre 1961 et 1971.

L’accueil de ces populations s’est réalisé, du fait de leur arrivée massive et des conditions politiques de ce jeune Etat, dans une extrême urgence. Les premiers immigrants, arrivés entre 1948 et début 1949, ont trouvé à se loger en partie dans les logements abandonnés par la population arabe à Jaffa, Lod, Haïfa, Akko et Jérusalem notamment.58 La

plupart des nouveaux arrivants -de 1949 et 1951- ont pu être accueillis dans les constructions réalisées pendant cette période (78 000 logements, Barnavi, 1988 : 121-122), mais devant l'importance du flux, l'Etat a dû ériger des camps de tentes pour faire face. Le système du camp de transit plus connu sous le nom de ma'abaroth, voit le jour en 1950. Plus de 120

ma'abaroth sont installés à la périphérie des villes existantes ou dans les régions planifiées pour

le développement. En 1954, la politique d'aménagement du territoire prendra véritablement naissance avec "l'Opération du Bateau au village" où dès leur arrivée les olim sont emmenés dans les zones de développement (cf. infra).

56 Notons que les juifs d'Algérie -citoyens français par le décret Crémieux de 1870- ont opté à 90% après

l'indépendance de l'Algérie pour une émigration vers la France, ainsi que certains Juifs de Tunisie. Ainsi s'est opéré un réel partage de la communauté entre la France et Israël. (Pour des analyses sociologiques et géographiques des mobilités juives tunisiennes, voir les travaux de D. Bensimon-Donath, 1971 et de G. Simon, L'espace des travailleurs tunisiens en France, Université de Poitiers, 1979, pp.59-64).

57 Sur la période 1952-1960, 17 500 juifs Egyptiens ont émigré en Israël. Notons que cette communauté était constituée

de divers groupes juifs : une population de langue arabe, enracinée depuis des siècles en Egypte, une population européenne d'origine séfarade dont certains avaient conservé leur langue, le Ladino, un groupe d'ashkénazes constitué de juifs ayant fui les pogroms de Russie et un groupe de Karaïtes (cf. Victor D. Sanua, "Emigration of Sepharadic Jews from Egypt after the Arab-Israeli war", Los Muestros, N°25, Décembre 1996, pp.17-21)

58 Selon Pierre Feuillie, environ 140 000 immigrants auraient été logés dans ces logements abandonnés entre 1948 et

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Figure 3 - L'immigration en Israël suivant les continents d'origine (1948-1989)

687 624 54 676 166 492 75 970 228 793 82 244 116 791 142 753 124 827 83 637 70 196 0 100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 700 000 15 V 1948 - 1951 1952 - 1954 1955 - 1957 1958 - 1960 1961 - 1964 1965 - 1968 1969 - 1971 1972 - 1974 1975 - 1979 1980 - 1984 1985 - 1989 périodes d'immigration nom bre d' im m igran t Asie Afrique Europe-Amérique

Source : Immigration to Israel 1993, Special series N° .973, CBS, Jerusalem, 1994, p.30 (Les flux d' Océanie sont inclus dans ceux d' Europe-Amérique)

Globalement, cette logistique d'installation des immigrants est un succès -en termes de résorption de la vague migratoire- car entre 1948 et 1957 : plus de 400 villages ont vu le jour (en majorité des mochavim et kibboutzim59), et la population rurale a pratiquement quadruplé

évoluant de 110 000 à 387 000 personnes [Bensimon, 1989 :85]. Chaque nouvelle vague vient renforcer les structures établies et en créer de nouvelles en périphérie des préexistantes. Cette politique, qui a régi le plan d'aménagement du territoire israélien jusqu'à la fin des années soixante, bénéficiait à la fois du dynamisme créé par une industrie israélienne grandissante et du soutien de la diaspora (ses donations sont estimées entre 60 et 100 millions de dollars au cours des dix premières années auxquels il faut ajouter l'équivalent en achats de bons du Trésor israélien, Barnavi, 1988 : 121-122).

Cette précarité de l'installation a probablement contribué à la faible participation migratoire des communautés occidentales à l'édification d'Israël; mais c'est principalement dans le fort sentiment d'intégration de ces Juifs d'Occident à leurs sociétés, décrit précédemment, que se trouvent les raisons de cette faiblesse (cf. supra). De 1952 à 1964,

59 "Le kibboutz est une communauté fondée sur les principes de l'égalité et de l'autogestion. La production et la

consommation sont collectives, tandis que dans le mochav, l'exploitation de la ferme familiale est incorporée dans les institutions coopératives du village. La formule mochav maintient l'unité de la cellule familiale" [Bensimon D. et Errera E., 1989 :42-53]. En 1995, 123 800 personnes vivent dans des kibboutzim et 176 400 dans des Mochavim.

Chapitre Un

seulement 2 850 Juifs de France, 2 700 du Royaume-Uni, 8 000 d'Argentine, 3 650 des Etats- Unis et 500 du Canada ont immigré en Israël, alors que dans le même temps ils étaient 8 300 à venir de l'Inde.

Cette explosion de l’immigration s’est traduite par un regain de tension entre Juifs et Arabes, dans lequel se trouve en partie la source de la situation actuelle au Moyen-Orient. II.4.2 (...) mais aussi la genèse de l’exode palestinien

L’escalade de violence entre Juifs et Arabes depuis la fin des années 30 et l’incapacité des Britanniques puis de l’UNSCOP (United Nations Special Committee on Palestine) a proposé un plan de partage acceptable60 pour les deux partis en conflit a conduit, très

rapidement, ces deux populations à entrer en guerre l’une contre l’autre61.

Ainsi, dans cette histoire trouble qui s’étend de l’annonce faite par les autorités britanniques de remettre leur mandat sur la Palestine et les armistices de 1949, des milliers de Palestiniens sont poussés sur les routes de l’exil. Sur les 1 491 200 Palestiniens, plus de 900 000 seront enregistrés comme réfugiés par l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency, créée en 1949 pour venir en aide aux réfugiés palestiniens). La grande majorité d’entre eux trouva refuge en Cisjordanie (764 9000) tandis que 240 300 autres se réfugièrent à Gaza, 322 000 dans les pays arabes voisins, un peu plus de 3 000 dans les reste du monde et 160 700 en Israël [Sanbar, 1994 :63].

Les réfugiés, pensant leur exil comme temporaire, s’installèrent dans des camps de tentes à proximité de leur patrie. Le paradoxe de l’histoire fut de voir d’un coté des camps de tentes dits Ma’abarot s’ériger comme des témoignages de l’enracinement, difficile, d’un peuple sur une nouvelle terre et d’un autre coté, à quelques kilomètres, le même environnement de tentes mais ici symbole du déracinement d’un peuple, de la douleur de l’exil.

Malheureusement, les guerres israélo-arabes qui suivirent contribuèrent à ancrer l’exil dans la durée, à voir ce peuple contraint à se « forger une société de camps ». La Guerre des Six-jours (1967) amena plus de 185 000 Palestiniens à vivre un second exil et à trouver à nouveau un refuge (en Jordanie, en Syrie et au Liban principalement). Le non règlement de la question des réfugiés palestiniens a vu progressivement ce peuple exilé se « cristalliser en diaspora »62. Aujourd’hui, la diaspora palestinienne regroupe plus de 6 millions de personnes

dans le monde (ceux vivant en Palestine en 1947 et leurs descendants). Actuellement, les plus importants lieux d’établissements palestiniens en dehors des territoires occupés sont la Jordanie, le Liban et la Syrie. Des Palestiniens se sont également établis en Europe et en

60 Voir notamment sur ce thème l’ouvrage de Gresh A., Vidal D., 1987, Palestine 47, un partage avorté, Bruxelles :

Complexe (1947, La mémoire du siècle), 256p.

61 Avant de tracer à grands traits l’importance de l’exil provoqué par la création d’Israël, il est nécessaire de souligner

que l’ouverture des archives israéliennes sur cette période et le contexte socio-politique visant au règlement du conflit ont créé un climat propice à une relecture de l’histoire officielle. Le récit israélien où l’Etat juif attaqué de toutes parts par les masses arabes alentours sort malgré tout victorieux, tandis que les agresseurs refoulés n’ont que comme seule et unique issue l’exil a pu être remis en cause. Depuis la fin des années quatre-vingt, les « nouveaux historiens » comme il est convenu de les appeler, effectuent une relecture de l’épisode de 1948. Voir notamment les ouvrages de : Flapan, S. [1987], Karsh, E. [1997], Kimmerling B., Midgal J. S. [1993], Morris, B. [1987], Pappé, I. [1992], Segev, T. [1993], Shafir, G. [1989], Shapira, A. [1992].

62 Dans le domaine de la recherche française, voir sur ce thème l’ouvrage de Basma Kodmani-Darwish, 1997, La

diaspora palestinienne, Paris : PUF (Perspectives internationales), ainsi que les travaux réalisés par Mohamed Kamel Doraï, Nadine Picaudou, et Lamia Radi.

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Amérique. Ces dernières communautés sont équivalentes en nombre à celles rassemblées dans les pays arabes non frontaliers d’Israël.

III L’EMERGENCE DES JUIFS SOVIETIQUES COMME ACTEURS DE LA SCENE

GEOPOLITIQUE ISRAELIENNE63

Deux niveaux d’analyse sont nécessaires pour comprendre la politique soviétique au sujet de la liberté d’émigration des Juifs sur cette période. En premier lieu, il s’agit d’appréhender cette question à travers le fil conducteur qu’est l’histoire des relations internationales en URSS, mais, en second lieu, c’est dans l’analyse de la gestion administrative de l’émigration que peuvent se comprendre, dans leur globalité, les quarante années qui précédèrent l’explosion du champ migratoire en 1989.

Paradoxalement, dans cette complexité des mouvements humains, les débuts de l’existence de l’Etat israélien se sont opérés avec une faible participation des Juifs soviétiques qui avaient pourtant fortement contribué à son émergence. C’est dans l’évolution de la politique soviétique et du contexte international de la guerre froide que doivent se chercher les explications.

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