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Une sur-représentation des qualifiés

CONTEXTE NATIONAL

III. 2 ( ) mais aussi dans l’espace

I.2 Une sur-représentation des qualifiés

L’analyse des spécificités sociales de ce flux migratoire passe également par une nécessaire description des profils professionnels des immigrants. L’Etat israélien a porté un intérêt tout particulier à cette question. Cette nouvelle immigration est communément ressentie en Israël dans la perspective d’une source de gains potentiels (à l’opposé des conceptions européennes qui la pensent plutôt en termes de coûts sociaux). Une explication à cela tient dans le fait qu’au commencement de l’aliya, l’immigration a été immédiatement présentée comme une source croissance démographique mais aussi comme l’entrée de « cerveaux » propice à l’accroissement du processus de « high-technicisation » de l’appareil productif du pays. H. Weisband souligne que réussir l’intégration professionnelle des scientifiques d’ex-URSS permettrait au pays de revenir à un taux annuel de croissance économique équivalent à celui enregistré sur la prospère période 1967-1973 [1994 :41]. Le très haut niveau de qualification des immigrants d’ex-URSS a été d’autant mis en avant qu’il constituait l’un des piliers de la « bonne intégration » telle qu’elle a pu être définie en Israël.

A la lecture du niveau de qualification des ex-Soviétiques, on comprend clairement l’éclairage tout particulier dont a fait l’objet cette question. Les premiers qualificatifs qui viennent à l’esprit sont : « diplômés » et « très qualifiés ».

194 La forte proportion de femmes divorcées au sein de la communauté juive d’ex-URSS n’a pas constitué une réelle

« surprise » pour le gouvernement israélien, car la vague migratoire d’ex-URSS des années 70-80 avait déjà souligné ce fait. Voir notamment les travaux de Natalia Damian [1985].

Chapitre cinq

En termes d’éducation, les statistiques sont éclairantes : 40% des ex-Soviétiques arrivés entre 1990 et 1995 avaient effectué 13 années et plus d’études soit 15% de plus qu’en Israël. En termes de qualifications, les données sont également remarquables. Parmi les immigrants âgés de 15 ans et plus (enregistrés fin 1993), 69% ont été recensés comme ayant occupé un emploi en ex-URSS. Comme le souligne le Tableau 27, aux premières heures de l’aliya, ces actifs étaient également répartis dans trois grandes branches sectorielles : un peu plus d’un tiers occupait une activité scientifique ou d’enseignement (39% en 1990), un autre tiers se répartissait dans les emplois de techniciens supérieurs et enfin, un dernier tiers regroupait les administrateurs, gérants et employés divers.

Tableau 27 - Secteurs d’activités en ex-URSS des immigrants âgés de 15 ans et plus (1990 et 1997)

1990 1997

Total Femmes Hommes Total

Nombres absolus Pourcentages Nombres absolus Pourcentages Nombres absolus Pourcentages Nombres absolus Pourcentages

EMPLOYES DANS L'EX-URSS - Total 95 308 100 16 017 100 15 009 100 31 026 100

Scientifiques et enseignants 37 570 39 4 121 26 4 166 28 8 287 27

dont :

Ingénieurs et architectes 24 361 26 2 039 13 3 093 21 5 132 17

Médecins et dentistes 5 947 6 544 3 364 2 908 3

Autres professionnels, techniciens et ouvriers spécialisés 32 977 35 6 099 38 3 757 25 9 856 32

dont :

Infirmières et autres professions para-médicales 4 165 4 1 259 8 118 1 1 377 4

Administrateurs, gérants et employés de bureaux 3 946 4 1 511 9 128 1 1 639 5

Commerciaux 2 097 2 893 6 200 1 1 093 4

Employés 3 965 4 799 5 329 2 1 128 4

Agriculteurs 21 0 11 0,1 15 0,1 26 0,1

Ouvriers qualifiés dans l'industrie, la construction et les

transports 12 257 13 966 6 4 143 28 5 109 16

Ouvriers non qualifiés 2 745 3 749 5 1 490 10 2 239 7

Emplois non déterminés 868 5 763 5 1 631 5

NON EMPLOYES DANS L'EX-URSS - Total 8 293 5 024 13 317

Source: The Jewish Agency and Aliyah: An Update, JAFI, 1993, Jerusalem; Statistical Abstract of Israel 1998, n°49, Central Bureau of Statistics, Jerusalem

D’autres sources viennent renforcer ce sentiment. La première des catégories citées, celles des scientifiques et enseignants, qui nous intéressent au premier plan, valide en effet l’idée d’une immigration de très qualifiés. Selon le Ministère de l’immigration, entre 1990 et 1995, ce sont plus de 68 000 ingénieurs, 30 000 enseignants, 14 000 médecins ou dentistes et 14 500 infirmières ou professionnels du paramédical195 qui sont entrés en Israël [MIA,

1996 :9]. Les projections réalisées par le Bureau Central des Statistiques, en termes d’apport potentiel de l’immigration en comparaison de la structure professionnelle du pays, n’ont fait que confirmer ces constats. Il y a été en effet démontré que le nombre d’actifs ex-soviétiques entrés depuis 1993 équivalait à 69% de l’ensemble de la force de travail préexistante pour le seul secteur des scientifiques et enseignants et que cette proportion s’élevait à 195% pour celui des ingénieurs (pour l’ensemble des secteurs, l’apport potentiel des ex-Soviétiques est de 15%, cf. Tableau 28).

Ces constats sont le reflet de l’instruction prolongée des immigrants : les ex- Soviétiques ont effectué en moyenne 12,5 années d’étude et pour 43% d’entre eux, plus de 13 années (dont 7% plus de 16 années). En comparaison, en 1985, seulement 8,5% de la population juive âgée de 14 ans et plus possédaient un niveau d’instruction post-secondaire.

L’accueil des Juifs ex-soviétiques : « gérer l’urgence »

Ainsi, si l’on change de point vue d’observation, c’est à dire si l’on se place du coté du pays de départ, immanquablement cette émigration ne peut être ressentie que comme un véritable exode de compétences196.

Tableau 28 - Secteurs d’activités des ex-Soviétiques et ajout potentiel à la population active israélienne

1989 Ex-soviétiques immigrés entre 1990 et 1993

Ajout potentiel à l'effectif d'actifs

israéliens Actifs israéliens Total % % Tous secteurs d'activités 1 603 300 242 600 100 15 Scientifiques et enseignants 124 400 85 600 35 69 dont :

Ingénieurs et architectes 28 000 54 500 22 195 Médecins et dentistes 15 500 11 700 5 76 Autres professionnels, techniciens et ouvriers spécialisés 231 300 80 800 33 35 Autres secteurs d'activités 1 247 600 76 200 31 6

Source: Paltiel A. (et al.), 1997, "Immigrants from the former USSR in Israel since the 1990s: Demographic Characteristics and Socio-Economic Absorption" in LEWIN-EPSTEIN N. (et al.) (ed.), Russian Jews on Three Continents: Migration and Resettlement , London: Frank Cass (The Cummings Center Series), p.298

La « perte » de qualifiés pour l’ex-URSS est d’autant plus importante que parmi les migrants se trouve un nombre important de jeunes scientifiques qui poursuivent et terminent aujourd’hui leur cursus universitaire en Israël. Dans leur grande majorité, les étudiants venus d’ex-URSS ont intégré les départements de sciences physiques et de mathématiques. Avec plus de 40% des étudiants d’ex-URSS inscrits dans des disciplines de Sciences exactes et 18% dans des écoles d’ingénieurs, le sentiment d’un exode de cerveaux s’en trouve renforcé.

Ainsi, au fil de l’aliya, le contingent de qualifiés s’est accru de façon considérable en Israël et nul n’a pu l’ignorer. Chaque Israélien a vu s’installer dans son quartier, ou a eu comme voisin de bus, ces scientifiques de haut niveau venus d’ex-URSS. Lors de nos entretiens avec les nouveaux immigrants, réalisés dans les centres d’accueil pour olim, ou au hasard d’une rencontre, nous avons été frappé par le nombre de personnes qui occupaient des postes de physicien, mathématicien ou bien encore d’ingénieur hydro-électrique. Très rapidement, comme nous le verrons plus en avant, ce haut niveau de qualification est devenu une source d’inquiétudes chez les immigrants car ils ont très vite perçu que celui-ci pourrait être un véritable handicap. Avec une pointe d’humour, un ingénieur en pétrochimie venu de Russie nous a déclaré qu’à moins de poser des derricks en biais, il ne voyait pas comment il pourrait poursuivre son métier dans son nouveau pays.

En Israël, les scientifiques n’ont pas été les seuls à interroger les responsables gouvernementaux en charge de l’intégration. De très nombreux musiciens et artistes sont

196 Sur cette question voir l’article de Eli Weinerman, « Does the country Gain or Lose from the Exodus of Jews? The

Discussion in Russian Society » in LEWIN-EPSTEIN N. (1997). Dans cet article E. Weinerman souligne que la question de la perte de connaissances suite au départ des Juifs d’ex-URSS a toujours été très présente dans le débat sur l’attitude à adopter face au désir d’émigration de cette population et rappelle notamment qu’à la fin des années 60, lors d’une réunion du Comité Central du Parti communiste, à la question « Quand sera-t-il possible de se débarrasser des Juifs dans le milieu scientifique soviétique », le président de l’Académie des Sciences avait répondu : « Nous avons besoin d’au moins 15 ans » ; témoignant par là même de l’importance des Juifs dans le milieu scientifique d’alors.

Chapitre cinq

également venus grossir les rangs de l’immigration. Sur la période 1990-1995, ils ont été plus de 14 000 à s’installer en Israël [Hirshberg, 1993, MIA, 1996 :9].

Globalement, Israël s’est retrouvé confronté à une double tâche, la politique d’intégration devant répondre, à la fois, aux besoins en aide sociale d’une population immigrante regroupant une part importante de familles monoparentales ou âgées, et à une demande d’emplois dans des secteurs de pointe à un niveau hors du commun. Ces deux éléments constituent l’une des caractéristiques de cette migration car, peu d’immigration au monde, hormis celles des Aussiedler d’ex-URSS, nécessite la mise en place d’un tel plan d’intégration. Le défi que doit relever Israël est d’autant plus grand que les motivations à l’aliya des immigrants d’ex-URSS viennent ajouter à la dimension sociale de la politique d’intégration. Les travaux réalisés par Natalia Damian et Yehudit Rosenbaum-Tamari [1996] ainsi que ceux de Robert Brym [1994 :79-82] ont montré que le premier des critères qui a motivé l’aliya proprement dite, a été pour les ex-Soviétiques le souci d’assurer le bien-être de leurs enfants (cf. Tableau 29197). Le gouvernement s’est vu ainsi confirmé l’étendue de la tâche

d’intégration amenée par cette immigration. A cette première motivation venaient ensuite des motifs d’attraction concernant le bien-être familial comme « le désir d’élever ses enfants en Israël » et « la volonté de vivre en tant que Juif dans un environnement juif ». En filigrane à ces motivations premières que résument la recherche d’un ailleurs où les conditions de vie seraient meilleures, transparaît le désir de fuir l’antisémitisme « quotidien », très présent en ex-URSS (cf. Chapitre Sept). Des enquêtes menées à Moscou ont montré que 18% de l’ensemble de la population moscovite partageaient l’idée de l’existence d’un complot « sioniste » contre la Russie et, toujours à Moscou mais aussi à Kiev et Minsk, que 30,5% des interrogés indiquaient ne pas aimer devoir travailler avec des Juifs, 51% préféraient ne pas avoir un Juif parmi les membres de leur famille, et que 64,5% étaient contre l’accession d’un Juif à la tête de leur république (en ex-URSS, « la force de l’antisémitisme » s’amplifie selon un gradient nord- ouest/sud-est où l’Estonie présente un minimum de 20% et l’Ouzbékistan, 43%).

A l’analyse des motivations, se dégagent néanmoins une forte appréhension face à l’émigration en Israël, notamment en termes d’emplois : seuls 46% des hommes estimaient avoir des chances moyennes d’obtenir un emploi dans leur spécialité et 41% des femmes et respectivement, 23% et 36% les évaluaient extrêmement mauvaises [Kostisky, 1997:203]198.

197 Soulignons que les résultats fournis dans ce tableau sont une partie de ceux obtenus par une enquête lourde (du

Ministère de l’intégration) menée grâce à des entrevues personnelles portant sur trois échantillons d'individus de niveaux socio-économiques différents comptant environ 1 100 chefs de familles chacun et représentant toutes les familles immigrantes arrivées en novembre 1989, juillet 1990 et septembre 1991. Les données furent rassemblées grâce à des entretiens personnels menés dans la langue maternelle des immigrants.

198 Enquête réalisée principalement dans un oulpan de Moscou en 1993. La connaissance des difficultés rencontrées par

L’accueil des Juifs ex-soviétiques : « gérer l’urgence »

Tableau 29 - Les motivations de l'émigration selon leur degré d'importance évalué par les immigrants eux-mêmes*

Motifs de l'émigration** Moyenne des

points*** Motifs particuliers à l’aliya Motifs de "répulsion" - Antisémistisme en URSS Motifs d'"attraction"

- Souci du bien-être de ses enfants - Désir d'élever ses enfants en Israël - Forte volonté de vivre en tant que Juif dans un environnement juif

- Désir d'être proche de ses parents/amis habitant en Israël 2,81 3,51 2,87 3,00 2,30 Motifs en faveur de quelque émigration que ce soit Motifs de "répulsion"

- Situation politique en URSS - Situation économique en URSS

Motifs d'"attraction"

- Absence de possibilité pour émigrer ailleurs qu'en Israël

- Forte volonté de vivre dans une démocratie occidentale

- Espoir d'améliorer son niveau de vie

2,75 2,70

1,60 2,83 2,20 * Immigrants arrivés en septembre 1991. ** Questions sélectionnées. *** On demanda aux personnes interrogées de spécifier le degré d'importance de chaque motif accordé au moment où la décision d'émigrer était prise. Chaque item fut noté de 1 à 4 selon son degré d'importance pour les personnes enquêtées; "4" signifiant "très important" et "1" "pas important du tout".

Source : Damian N., Rosenbaum-Tamari Y., 1996, « Identité juive et immigration en Israël : une enquête en cours sur l’actuelle vague d’immigrants russes », REMI, vol.12, n°3, p.127

Chapitre cinq

II DE L’ASSISTANAT A L’AUTONOMIE, PARCOURS D’INSERTION DES IMMIGRANTS EX-

SOVIETIQUES

En Israël, au cours de ces dernières années, ces milliers d’immigrants ont apporté une source de croissance et de connaissances d’une réelle importance mais ils ont également replongé le pays dans un passé, certes proche, qu’il avait quelque peu oublié. Face au gigantisme de la vague migratoire d’ex-URSS, Israël a, en effet, dû renouer avec des préoccupations d’intégration qui étaient celles des premières heures de l’Etat.

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