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Un rang de faible importance numérique au sein des minorités nationales

CONTEXTE NATIONAL

I.3 Un rang de faible importance numérique au sein des minorités nationales

Malgré cette importance dans la diaspora juive, à l’échelle nationale le poids de cette minorité doit être relativisé. Au recensement soviétique de 1989, vingt-deux nationalités dépassaient le million de personnes. Parmi ces dernières les Juifs se positionnaient en dix- neuvième position avec 1 378 000 personnes151. Les Juifs constituent un groupe de faible

importance numérique dans le cadre des ethnies millionnaires. Toutefois, ramenés à l’ensemble des groupes ethniques qui étaient reconnus en ex-URSS (plus d’une centaine), les Juifs constituaient un « groupe émergeant » de la mosaïque ethnique soviétique. Comme le souligne le Tableau 20, l’importance du groupe majoritaire -dominant-, les Russes, avec plus de 145

150 cf. l’article de Ph. Farine, « Planète globale, planète nomade... », Migrations Société, vol.10, n°56, 1998, pp.35-40.

151 Pour 1989, les données du recensement donnent en général le chiffre de 1 449 000, la différence notée ici est due à

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millions de personnes ne permet guère les comparaisons. On remarquera néanmoins que les Allemands, groupe qui sera un des premiers à émigrer en 1989 avec les Juifs, occupaient la quinzième place (plus de 2 millions de personnes).

En termes de variation intercensitaire (1979-1989), les Juifs apparaissent comme un groupe au profil démographique en forte décroissance (-21%). Cette dynamique trouve une explication premièrement dans le fait que de nombreux mariages se sont réalisés hors de la communauté. La judéité, perçue comme un obstacle à l’insertion dans la société soviétique - notamment du fait de « l’antisémitisme étatique »- ou ressentie bien plus comme une « origine fossile » que comme une obligation religieuse, associée au fait que la nationalité des enfants ait été enregistrée conformément à la volonté des parents, est une voie d’analyse de cette décroissance. Deuxièmement, l’émigration des années soixante-dix vient accroître cette chute numérique du groupe juif [cf. supra]. Le fait que les Juifs occupent le dernier rang des groupes où la langue maternelle et la nationalité coïncident vient renforcer l’idée d’assimilation de ce groupe au(x) dominant(s) (cf. Tableau 20) [Kolossov et al., 1994 : 162].

Tableau 20 - Population de l’URSS par principales nationalités (1989)

Population en 1989

Rang Nationalité en milliers % de la

population totale

% des personnes dont la langue maternelle et la nationalité coïncident Variation intercensitaire (1979-1989) 1 Russes 145 155 50,8 99,8 5,6 2 Ukrainiens 44 186 15,5 81,1 4,3 3 Ouzbeks 16 698 5,8 98,3 34,1 4 Biélorusses 10 036 3,5 70,9 6,1 5 Kazakhs 8 136 2,8 97,0 24,1 6 Azerbaidjanais 6 770 2,4 97,7 23,6 7 Tatars 6 649 2,3 83,2 7,5 8 Arméniens 4 623 1,6 91,7 11,4 9 Tadjiks 4 215 1,5 97,7 45,5 10 Géorgiens 3 981 1,4 98,2 11,5 11 Moldaves 3 352 1,2 91,6 12,9 12 Lituaniens 3 067 1,1 97,7 7,6 13 Turkmènes 2 729 1,0 98,5 34,6 14 Kirghizes 2 529 0,9 97,8 32,7 15 Allemands 2 039 0,7 48,7 5,3 16 Tchouvaches 1 842 0,6 76,4 5,2 17 Lettons 1 459 0,5 94,7 1,4 18 Bachkirs 1 449 0,5 72,3 5,7 19 Juifs 1 378 0,5 11,1 -21,8 20 Mordves 1 154 0,4 67,1 -3,2 21 Polonais 1 126 0,4 30,5 -2,1 22 Estoniens 1 027 0,4 95,5 0,7 Autres 12 143 4,2 18,9 Population totale 285 743 100 92,7 9,0

Source: Slouka N., "Les traits généraux de la composition nationale de la population de l'URSS

Une immigration massive à l’identité plurielle

Lors du recensement de 1989, à l’échelle des républiques, les Juifs n’apparaissaient qu’en Moldavie, Biélorussie et Ukraine parmi les nationalités principales (en % de la population) et seulement à hauteur d’un pour cent [Radvanyi, 1997 : 56, 70, 82 ; Slouka, 1992 : 238]. Une fois encore, c’est au niveau des grandes agglomérations soviétiques -les capitales des ex-républiques fédérées- qu’émerge la nationalité juive. C’est dans les villes de Kiev (3,9% de la population totale), Léningrad (2,1%) et Moscou (2%) que leur présence est visibilisée par les résultats du recensement152. Au sein des autres capitales comme celles d’Asie Centrale, les Juifs

représentent moins d’1% -ex : 0,7% à Alma-Ata, soit le huitième rang derrière les Coréens et devant les Ouzbeks [Khazanov, 1995 : 266].

II ANALYSE GEOCULTURELLE DES JUIFS D’EX-URSS

Briser le monolithe que constitue le terme générique « Juifs d’ex-URSS » est le but poursuivi dans cette partie avec comme objectif premier de nous conduire à une lecture plus approfondie du groupe juif afin de mieux comprendre les mobilités qu’ils ont opérées depuis 1989. Dans une seconde démarche, l’effort cartographique produit dans les pages suivantes se veut être un « témoignage post-migratoire, un acte de mémoire », des lieux de vie des communautés juives, aujourd’hui en train de s’estomper153.

Il n’est certes pas si aisé de catégoriser les Juifs car « le séfarade d’aujourd’hui est peut-être un ashkénaze d’hier » et réciproquement. Pour exemple si nous observons les mobilités juives au cours de l’histoire, on notera qu’avec la colonisation, les Juifs d’Europe sont entrés dans une nouvelle ère, dans un rôle de « société intermédiaire ». Bon nombre d’entre eux ont pris en main le commerce des denrées coloniales et ont européanisé les colonies telle l’Egypte. Au milieu du XIXème s., seuls 6 000 Juifs résidaient en Egypte, chiffre

qui est passé, avec l’immigration de marchands affluant notamment de Pologne et de Russie, la communauté juive d’Egypte est passée de 6 000 membres au milieu de XIXème s. à 30 000 en

1890, 60 000 en 1919 et 75 000 en 1930 [Planhol, 1997 : 307]. Ainsi, l’immigrant fuyant le Maghreb lors de la guerre israélo-arabe de 1948, que nous qualifierons aisément de séfarade, l’est-il vraiment quant on sait que ses grands-parents ou parents étaient des commerçants venus de Pologne ou de Russie...

Néanmoins par souci de clarté dans notre exposé nous avons opté pour une présentation identifiant deux groupes juifs : les ashkénazes et ceux qui n’appartiennent pas à ce groupe. La typologie dans l’opposition ashkénaze/non-ashkénaze repose avant tout sur un critère géographique. Le terme même d’ashkénaze reflète l’identification à un espace de vie car dès le XIème siècle, Ashkénaz (qui dans la Bible est le fils de Gomer - Gn 10, 1-3) désigne la

Lotharingie [Attias, 1997 : 29].

Ainsi notre but est ici de présenter la diversité de la « communauté juive » d’URSS en choisissant comme entrée la localisation géographique des divers groupes la constituant. Toutefois, l’immensité de la tâche que représente un tel projet nous a conduit à une présentation qui s’attache à mettre l’accent sur les groupes juifs non-ashkénazes. Géographiquement, ceux-ci se définissent ici comme les Juifs implantés dans les marges orientales de l’actuelle CEI avant la conquête de ces espaces par l’empire russe à partir du

152 . En 1897, les trois villes précitées comptaient respectivement 12,1%, 1% et 0,5% de Juifs dans leur population

[Kappeler, 1994 : 340].

153 Toutes les cartes qui sont produites ci-après sont réalisées à partir des données fournies par l’Agence juive pour

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XIXème. Le choix de focaliser notre regard sur ces derniers se justifie d’une part par la

proximité culturelle des Ashkénazes d’ex-URSS avec ceux d’Europe de l’ouest, ce qui fait d’eux un groupe qui ne nous est pas inconnu ; et d’autre part, par la préservation d’une culture juive traditionnelle chez les non-ashkénazes qui oriente fortement les logiques migratoires et d’intégration de ce groupe. En effet, la définition des contours de l’histoire et de l’identité de ces derniers s’avère être nécessaire pour qui veut décrypter et comprendre les pratiques de l’espace et les blocages dans l’intégration rencontrés en Israël par ces communautés.

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