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Les premiers pas dans la société israélienne : « De scientifique à cantonnier 208 » Cette migration a résonné comme une véritable secousse dans la société israélienne.

CONTEXTE NATIONAL

III. 2 ( ) mais aussi dans l’espace

II.2 Les premiers pas dans la société israélienne : « De scientifique à cantonnier 208 » Cette migration a résonné comme une véritable secousse dans la société israélienne.

Les causes d’une telle déstabilisation trouvent notamment leurs origines dans un double mouvement. D’une part, au commencement de l’aliya, comme nous l’avons souligné, la politique du gouvernement Shamir était bien plus tournée vers la réalisation d’un « Grand Israël » que vers l’aide à l’intégration des nouveaux arrivants. D’autre part, l’attitude des immigrants dans leur choix de résidence a totalement déséquilibré le pays : les deux tiers des immigrants ayant élu domicile dans les seuls districts de Tel-Aviv, du Centre et de Haïfa, les capacités d’accueil ont été rapidement saturées. Ainsi, très rapidement, les gouvernants israéliens ont dû s’attacher à résoudre le problème naissant de l’emploi, déséquilibré par la sur- concentration des demandes dans les régions centrales. A Jérusalem, les murs des bureaux du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, lieux de passages de nombreux ex-Soviétiques, étaient couverts de petites annonces, les arrêts de bus et les lampadaires semblaient comme décorés par ces dizaines de petits papiers aux numéros de téléphone prédécoupés, collés là dans l’espoir d’attirer l’attention d’un éventuel employeur... L’incapacité des gouvernants à inverser la dynamique de dévalorisation sociale que connaissaient les ex-Soviétiques s’est répercutée sur la scène politique. Contre toute attente, les ex-Soviétiques, que l’on disait peu enclins à s’exprimer politiquement après des années de régime communiste, ont clairement manifesté leur mécontentement lors des élections de 1992. Les difficultés rencontrées en Israël, ont en effet poussé la moitié d’entre eux à accorder leurs voix à la gauche israélienne,

207 Parmi ces 38 600 familles étaient dénombrées : 10 110 couples âgés, 8 660 familles monoparentales, 15 600

personnes âgées seules, 2 300 familles nombreuses et 1 870 malades chroniques et handicapés.

208 Nous reprenons ici, en partie, le titre de l’ouvrage d’Allan S. Galper sur la dislocation culturelle des immigrants

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contribuant ainsi à l’élection d’Y. Rabin, alors que les sondages attribuaient majoritairement leurs voix au Likoud. Il s’agissait là du premier vote sanction exprimé par les ex-Soviétiques (Golberg, 1996 : 192).

Cependant, le problème d’intégration rencontré par les ex-Soviétiques ne se limitait pas aux insuffisances de l’Etat. Pour comprendre les difficultés du processus de « venue à communauté », deux niveaux d’analyse sont nécessaires. En premier, la migration a amené la question de la langue et il s’agit là d’un espace nécessaire d’analyse pour saisir les difficultés d’intégration ; en second lieu, la question de l’emploi et des mobilités sociales engendrées par la migration doit être considérée comme une clef de lecture permettant d’esquisser à la fois la dynamique d’intégration globale, puisqu’Israël comme l’ensemble des pays développés font de l’emploi la pierre angulaire de l’intégration des individus à la société, et le cheminement social des ex-Soviétiques dans l’espace social israélien.

II.2.1 L’hébreu, un facteur central dans l’intégration

Comme dans de nombreux pays d’immigration, la question de la langue revêt une importance toute particulière en Israël, elle ne saurait se limiter à la simple intégration linguistique. Cette langue -qui doit son renouveau à l’acharnement d’un oleh arrivé à la fin du XIXème siècle209, Eliezer Ben-Yehuda-, est pensée comme le vecteur de l’intégration sociale et

culturelle des nouveaux arrivants. Comprendre et s’interroger sur l’intégration sociale ou simplement professionnelle des immigrants requiert donc une analyse préalable des capacités linguistiques des immigrants.

Parmi les immigrants d’ex-URSS entrés entre 1989 et 1995, seule une minorité avait un niveau d’hébreu suffisant pour entrer de façon active dans la société israélienne (1 à 2%) [Damian, 1996b :30]. Le gouvernement israélien a donc développé et incité, à travers la gratuité des cours d’hébreu, les ex-Soviétiques à pratiquer avec assiduité les oulpanim210. En

cela, Israël a poursuivi la politique instaurée depuis sa création où plus de 70% des olim avaient fréquenté les bancs des oulpanim [Polani, 1991 :150].

Progressivement, les ex-Soviétiques ont bénéficié des bienfaits de cette politique ; désormais, comme le souligne le Tableau 31, ce n’est qu’après trois années et demi passées dans le pays que la moitié des ex-Soviétiques ont une pratique courante de l’hébreu, et après cinq années que les deux tiers du groupe migrant acquièrent ce niveau de connaissance. Même si cette proportion est supérieure à celle définie chez leurs prédécesseurs des années soixante- dix, elle laisse toutefois un tiers des migrants en « marge ». Cette proportion est d’ailleurs ramenée à la moitié du groupe migrant si l’on s’intéresse à la capacité de compréhension des informations audiovisuelles nationales. De plus, l’âge à la migration constitue une variable essentielle dans la capacité à pratiquer l’hébreu. En 1992, chez les 25-34 ans, 57% des immigrants déclaraient pouvoir entretenir une « simple conversation » en hébreu et 35% lire

209 Selon J-C. Attias et E. Benbassa, « en 1916, 40% de la population juive de Palestine déclarait l’hébreu comme sa

première langue et à partir de 1948, l’hébreu redevenait la langue d’un Etat juif souverain » [1997 :120].

210 Pluriel d’oulpan, nom donné au cours intensif d’hébreu. En 1995, 2 080 classes d’hébreu pour adultes étaient ouvertes

dans 74 villes et 47 500 immigrants y participaient (soit 65% des adultes). Parmi ces classes, 53 étaient dédiées à des populations spécifiques : 1 pour les scientifiques, 9 pour les médecins et les infirmiers, 3 pour les personnes présentant des troubles mentaux, 3 pour les alcooliques, 8 pour les malentendants et malvoyants, 4 pour les immigrants du Caucase, 20 pour les Ethiopiens qui s’étaient installés dans une habitation fixe, 2 pour les ouvriers du bâtiment, 3 pour les jeunes adultes de 16 à 21 ans qui présentent un manque d’assiduité notable.

L’accueil des Juifs ex-soviétiques : « gérer l’urgence »

une « simple lettre » tandis que chez les 55-64 ans, la proportion n’était que de 7 et 3% [Naveh, 1994 :105]211.

A la lecture de ces données, l’inquiétude du gouvernement était grandissante car l’emploi constituait le seul véritable lieu d’apprentissage et d’usage de la langue (entre 53 et 60% des « espaces » de pratique, cf. Tableau 31).

Tableau 31 - La pratique de l’hébreu chez les immigrants d’ex-URSS arrivés entre 1989 et 1995 (en %)212

Durée d'installation en Israël Immigrants d'URSS

1,5-2 années 3,5 années 5 années des années 70

Capacité à parler l'hébreu (sans

difficultés ou presque): 47 53 64 55

Capacité à comprendre l'hébreu (sans difficultés ou presque):

simple conversation - - 67 65

spectacle (piéces de théâtre...) - - 43 45

programme radio ou télévisé - - 51 46

Usage de l'hébreu (seulement ou principalement):

au travail 52 56 63 82

avec les enfants 1 3 3 21

avec le conjoint 1 1 1

lors de la lecture de la presse 2 3 4

lors de l'écoute de la radio 4 8 11

Source: DAMIAN N., ROSENBAUM-TAMARI Y., 1996, The current wave of FSU Immigrants: Their absorption

process in Israel. An on-going survey (1990-1995), Jerusalem: Ministry of Immigrant Absorption, Planning and Research Division

Au début des années 90, les immigrants ont ressenti leur manque de connaissances de l’hébreu comme un véritable obstacle à leur insertion professionnelle. Plus de la moitié des ex- Soviétiques ayant passé 6 mois dans le pays, ont déclaré considérer leur méconnaissance de l’hébreu comme une cause majeure de leur non-emploi. Avec une année et demi de résidence en Israël, ce sentiment s’est amoindri mais concernait encore un tiers des femmes et plus de la moitié des hommes ex-soviétiques. Ce n’est qu’après deux années et plus que l’obstacle de la langue s’est fait moins présent dans le problème de l’emploi (cf. Figure 14).

La poursuite d’une période d’incapacité à fournir des emplois aux ex-Soviétiques avait donc pour conséquences de retarder d’autant leur intégration sociale, et à l’inverse, ne faisait que renforcer le renfermement sur eux-mêmes des nouveaux venus. Si ce risque est inhérent à tout pays confronté à d’importantes immigrations, il constituait, dans l’idéologie israélienne (voire sioniste), un réel échec qui remettait en cause la vocation d’accueil d’Israël. Certes, le pays, au cours des dernières grandes vagues d’immigration, avait été exposé à ce « risque »

211 Ces résultats sont issus d’une étude menée sur un échantillon représentatif de 1 200 immigrants (de 25 à 64 ans)

arrivés entre 1989 et 1992.

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mais, cette fois, l’importance du volume migratoire amplifiait l’inquiétude213. La rumeur

publique se faisait d’ailleurs l’écho de ces problèmes d’acquisition de l’hébreu chez les ex- Soviétiques. Comme nous l’avons dit, le pays était sous le coup de cette forte immigration et dans la population, une vague de protestation se faisait grandissante contre les nouveaux venus. Il leur était souvent attribué tous les maux d’alors et le chômage auquel ils étaient confrontés se voyait souvent expliqué par leur faible empressement à apprendre l’hébreu. Loin d’être exacte, cette rumeur cristallisait toute la tension qui parcourait la société israélienne. Figure 14 - La perception de la méconnaissance de l'hébreu par les ex-Soviétiques comme un obstacle à l'obtention d'un emploi, par sexe et durée de résidence en Israël

0 10 20 30 40 50 60

de 6 mois à un an d'un an à 18 mois de 18 mois à deux ans deux ans et plus

durée de résidence

(%

)

hommes femmes

G. NAVEH (et al.), 1994, The employment and economic situation of immigrants from the former Soviet Union : selected

findings from a national employment survey , Jerusalem: Brookdale Institute, p.108

II.2.2 L’emploi, « une véritable traversée du désert » pour les immigrants d’ex-URSS

La faible capacité à procurer un emploi aux immigrants et la lenteur des ajustements linguistiques nécessaires aux immigrants a eu pour effet de voir le taux de chômage des ex- Soviétiques atteindre des niveaux fort élevés.

Aux premières heures de l’aliya d’ex-URSS, le chômage a touché plus d’un tiers des ex-Soviétiques en âge de travailler. En 1991, la proportion d’actifs sans emploi parmi les ex- Soviétiques était de 38,5% et de 28,6% en 1992 [MIA, 1996 :17], proportion qui s’est répercutée sur le taux général de chômage en Israël : entre le premier et le dernier semestre de 1989, avec seulement 12 000 immigrants d’ex-URSS, le taux s’est accru d’un point, atteignant ainsi 9,2%. Celui-ci n’a cessé de croître jusqu’en 1993 passant de 9,7% en 1991 à 11,3% en 1992. En 1993, avec l’amoindrissement du flux migratoire et la stabilisation de la situation socio-économique israélienne, ce taux est redescendu à 10%.

213 Barry Chiswick a notamment montré dans ses travaux que la pratique de l’hébreu comme première langue était un

processus lent : passant de 24% chez les immigrants installés depuis moins de 5 ans en Israël à près de 45% après 6 à 10 ans et à plus de 90% après 26 années [1997 :11-12].

L’accueil des Juifs ex-soviétiques : « gérer l’urgence »

La population féminine venue d’ex-URSS a eu le plus à souffrir du non-emploi [Lipshitz, 1998]214. En 1992, la classe des 55-64 ans présentait un taux de chômage supérieur à

40% chez les femmes tandis que celui-ci était inférieur de moitié chez les hommes. Pour ce dernier groupe de population, le plus fort taux de chômage concernait la classe des 55-64 ans en 1992. La structure démographique de l’immigration explique l’importance de ces taux : comme souligné précédemment, la forte proportion d’adultes a accentué le chômage. Dans le cas des femmes de 55 à 64 ans, le fort taux de chômage était d’autant plus dramatique que cette classe rassemblait un nombre conséquent de femmes seules (le sex ratio était pour cette classe d’âges de 74 hommes pour 100 femmes).

La situation face à l’emploi des immigrants d’ex-URSS présente également de notables variations à l’intérieur même du flux migratoire du fait de la variété des groupes juifs qui le constituent. Selon l’étude réalisée par Y. Haberfeld, M. Semyonov et R. Virtzer [1997], la diversité des aires géo-culturelles des immigrants d’ex-URSS a généré une hétérogénéité d’intégration au tissu professionnel israélien. Après quatre années passées en Israël, la participation professionnelle des immigrants venus des républiques asiatiques se révèle être plus élevée que celle des Juifs issus des régions occidentales de l’ex-URSS (respectivement 90 et 86,5%) tandis que les femmes issues de ces dernières régions tendent à intégrer plus facilement le marché du travail que celles venues des régions asiatiques. Comme nous l’avons souligné dans notre description des populations juives, ces différences s’expliquent certainement par le fait que, d’une part, les professions occupées par les Juifs des républiques asiatiques permettent une insertion plus aisée car moins qualifiés, et que d’autre part, la cellule familiale des immigrants venus des régions orientales de l’ex-URSS tend à maintenir les femmes dans un rôle de mère au foyer.

Une fois encore, le temps a constitué le premier renfort à la lutte contre ces obstacles à l’intégration au monde du travail. Pour exemple, début 1994, 10% des femmes de 35-44 ans, immigrées entre octobre et décembre 1990, étaient sans emploi alors que ce taux s’élevait à 30% en 1992 (18% à la mi-1993). L’affaissement du chômage a été perceptible dans la situation financière des foyers d’ex-soviétiques puisque leur revenu moyen est passé de 2 770Sh par mois à 3 030Sh pour ceux ayant résidé deux ans et plus en Israël. Cette situation cachait toutefois quelques problèmes d’intégration socioprofessionnelle [Lipshitz, 1998 :120].

En effet, si, en 1992, 64% des ex-Soviétiques résidant en Israël depuis six mois à un an déclaraient ne pas être satisfaits de leur emploi, ils étaient encore 44% à être mécontents de leur position professionnelle après deux ans et plus dans le pays [Naveh, 1994 :99]. Le gouvernement avait certes réussi à maîtriser la courbe du chômage mais il l’avait fait au prix d’un développement du sous-emploi.

Le maintien d’un niveau élevé de mécontentement face à l’emploi chez les ex- Soviétiques s’expliquait par la perte de statut social caractéristique de leur entrée dans le monde du travail en Israël. Selon une étude menée par R. Raijman and M. Semyonov, pour 80% des ex-Soviétiques arrivés en 1990, l’entrée sur le marché du travail s’est accompagnée d’un changement d’activité (cette proportion était de 56% chez ceux venus en 1980) et, pour les deux tiers d’entre eux, elle a signifié une perte de statut social. Cette mobilité professionnelle à la baisse a plus particulièrement touché les femmes 74% ont trouvé une

214 Sur ce thème, voir également l’article de Moshe Semyonov [1997] sur « le coût social que représente le statut

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activité d’un niveau inférieur à celle occupée avant la migration contre 63,7% chez les hommes [1998 :297]. Le plus fort coût, en termes de perte socio-économique dans la migration, a été payée par les immigrantes et plus particulièrement par celles venues des républiques asiatiques [Haberfeld, 1997].

Les ingénieurs et les médecins ont été les plus touchés par cette perte de statut professionnel. Une enquête sur les ingénieurs entrés entre 1989 et 1994, a montré que seulement 21% d’entre eux ont trouvé un emploi équivalent au leur et que la très grande majorité a dû opter pour des emplois inférieurs, principalement d’ouvriers qualifiés (dans des industries notamment) et non-qualifiés (balayeurs, plongeurs...) pour les hommes et majoritairement des emplois de services (agent d’entretien, aide à domicile, serveuse) pour les femmes. Ce report vers de telles professions est nettement perceptible : les secteurs des services et d’ouvriers non-qualifiés ont connu une nette augmentation de leurs effectifs en regard des proportions antérieures à l’émigration (la branche des services a été décuplée chez les femmes en 1992 tandis que celle des scientifiques connaissait une dynamique proportionnellement inverse). Les médecins ont dû affronter les mêmes difficultés. Des différentes études menées sur cette profession, il est ressorti que près de la moitié d’entre eux ont retrouvé un emploi dont 70 à 80% comme médecins [Flug, 1996 :120-121, Lipshitz, 1998 :120]215. Ainsi, pour ces professions, il semble qu’un phénomène d’autorégulation se soit

mis en place. La prise de conscience des difficultés rencontrées par ces corps de métier a certainement fait renoncer de nombreux Juifs d’ex-URSS à l’émigration. Comme le laissait supposer notre précédente analyse de la répartition par corps de métier, un phénomène de « feed back » s’est opéré : la part globale des très qualifiés (ingénieurs et médecins principalement) a connu une décroissance de 12% dans l’ensemble des professions représentées sur la période 1990-1997 (cf. Tableau 32).

Tableau 32 - Variation des secteurs d’activités chez les immigrants d’ex-URSS âgés de 15 ans et plus (arrivés en 1990 et en1997)

-10,00 -8,00 -6,00 -4,00 -2,00 0,00 2,00 Ingénieurs et archit ect e s M édecins et dent ist e s Au tre s prof essionnels, te chniciens et ouvriers In fi rmi è re s e t aut res prof

essions para- médicales

A d m inist rat eurs, gérant s et em ployés de bureaux C o mme rci a u x E m ployés A g ricult eurs

professions occupées en ex-URSS

variation de chaque profession (%

Source: The Jewish Agency and Aliyah: An Update, JAFI, 1993, Jerusalem; Statistical Abstract of Israel 1998, n° 49, Central Bureau of Statistics, Jerusalem

215 La majorité des médecins ex-soviétiques qui exercent en Israël sont employés dans le secteur public. Sur la question

L’accueil des Juifs ex-soviétiques : « gérer l’urgence »

Les difficultés d’intégration des qualifiés s’expliquent, en partie, par leur manque de connaissance des technologies informatiques utilisées en Israël ainsi que de la langue anglaise. Le Ministère de l’intégration a ainsi fait paraître régulièrement dans la presse en hébreu, en russe et en anglais des offres de formation et de remise à niveau destinées aux nouveaux immigrants.

Le paradoxe de l’intégration de cette vague migratoire a donc été l’obstacle qu’a constitué la surqualification des migrants. L’intégration professionnelle des ex-Soviétiques était d’autant plus difficile à réaliser qu’il existait une réelle inadéquation entre l’offre et la demande liée, d’une part, à l’inutilité des qualifications possédées tels les ingénieurs en pétrochimie ou métallurgie, et d’autre part, à une saturation des secteurs très qualifiés comme celui de la médecine notamment. Le contexte post-industriel dans lequel s’est opérée cette immigration constitue vraisemblablement un élément de compréhension de ces pertes de statut professionnel chez les ex-Soviétiques.

Ainsi, très rapidement, il est apparu aux ex-Soviétiques que la recherche d’un emploi se ferait hors de leur champ de compétences et, devant le nombre de demandes, dans des secteurs peu valorisés. L’étude menée par Allan Galper -sous le titre de « From Bolshoï to Be’er

Sheva, Scientists to Streetsweepers »- souligne cette phase de l’intégration des Soviétiques. Que cela

soit à travers la presse, qui a éclairé de ses feux le sous-emploi des migrants avec des faits divers -comme celui d’un responsable ministériel sauvé de la crise cardiaque par une femme de ménage qui se trouvait être un médecin moscovite, ou avec l’interview d’un ingénieur nucléaire balayeur dans une ville de développement-, ou à travers les travaux des anthropologues et autres chercheurs, la réelle dislocation culturelle que constitue cette dépréciation de la condition sociale des migrants a été maintes fois montrée.

Le cabinet de Y. Rabin lutta contre ces problèmes d’intégration, mais la politique menée (basée principalement sur l’assistanat) se révéla davantage comme « un calmant que comme un véritable remède ». Les immigrants ont ressenti très durement cette perte de statut comme le souligne ce témoignage rapporté par A. Galper (1995 :50) :

« Il n’y a pas de mots assez forts pour dire combien travailler est important. Ce n’est pas simplement pour l’argent. Sans travail, il n’y a pas de statut, pas de vie. Peut-être aurons-nous de quoi nous nourrir, mais s’il n’y a pas de travail, vous n’avez pas besoin de nourriture. S’il n’y a pas de travail pourquoi dois-je vivre ? Ce n’est pas la vie. C’est essentiel d’avoir ne serait ce qu’un « petit job » car vous avez alors l’espoir. Sans travail, c’est pire »[un informaticien d’une quarantaine d’années venant de Minsk, résidant à Haïfa]

La durée d’installation dans le pays et la mobilisation des migrants ont été de sérieux atouts pour (re)positiver cette épreuve de l’émigration. Ce déracinement, certes volontaire, a néanmoins été insupportable pour de trop nombreux migrants. Les joies de cette immigration ont été malheureusement endeuillées par des détresses extrêmes qui ont poussé parfois jusqu’au suicide de nouveaux immigrants. Par rapport au reste de la population israélienne, le taux de suicide chez les ex-Soviétiques est de 60% plus élevé chez les hommes et de 40% chez les femmes216. Les difficultés d’intégration professionnelle, aggravées par la forte dépréciation

du statut social entre l’ex-URSS et Israël, ajoutées à des clivages culturels importants sont,

216 Données fournies par le Bureau Central des Statistiques d’Israël et publiées dans le Jerusalem Report du 5 Mars

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selon les experts, la source de ces terribles décisions. La tragédie de tels actes dépasse

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