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L’annexion « par conviction »

EXTRAIT D'UN DISCOURS D'ANDREI GROMYKO A L’ONU EN MAI

III. 2 1970, la communauté juive comme monnaie d’échanges : vers la réactivation du flux migratoire

II.2 L’annexion « par conviction »

En 1977, l’artisan de la colonisation des territoires occupés est Ariel Sharon, alors ministre de l’Agriculture. Soutenue par les extrémistes religieux du Goush Emounim100 (« Bloc

de la foi »), la politique défendue par Ariel Sharon consiste non pas en une stratégie d’évitement mais bien au contraire en une stratégie qui s’est donnée pour but de rendre visible la présence juive sur tout le territoire jordanien, en allant jusqu'à pénétrer les aires d’habitations palestiniennes. Plus encore, cette politique ne se limite pas à signifier aux populations arabes que la Palestine est « le patrimoine exclusif et éternel du peuple juif », elle s’attache à fractionner les espaces de vie des Palestiniens afin d’en limiter leur extension. Le Plan directeur

98 A la Knesset, Anouar el-Sadate, le 20 novembre 1997 prononce un discours où il propose la paix à Israël en échange

notamment d’un retrait des territoires conquis en 1967. Les accords de Camp David signés le 17 septembre 1978 ont consisté en la ratification d’un traité de Paix entre les deux pays (véritablement signé le 26 mars 1979) et en celle d’un accord cadre sur la paix au Proche Orient (où sont définis de grands axes pour résoudre la question palestinienne...). En 6 octobre 1981, le Président Anouar el-Sadate a payé de sa vie ce traité de paix. Sur les négociations qui ont mené aux accords de Camp David, le lecteur pourra consulter la récente publication faite par A. Breghman et J. El-Tahri, 1998, Israël et les Arabes : la guerre de cinquante ans, Paris : Arte Editions/Mille et une nuits où sont retracés, à travers les écrits des acteurs et témoins de l’époque, les grands moments des cinquante années de conflit israélo-arabe.

99 L’expression Judée-Samarie était utilisée, notamment par la presse, avant l’arrivée au pouvoir de la droite mais c’est

véritablement avec celle-ci que le terme est officialisé. Les francophones utiliseront le terme de Cisjordanie et les anglophones celui de West Bank. Pour l’ensemble Cisjordanie et Gaza, sur la scène internationale, les dirigeants israéliens préféreront parler de Territoires administrés (Administered territories) que de Territoires occupés (Occupied territories).

100 Mouvement politique et religieux israélien, créé en 1974 comme une émanation du Parti national religieux (PNR) qui

milite activement pour une souveraineté juive jusqu’au Jourdain. Entre 1967 et 1977, les fidèles du Gouch Emounim sont responsables de la majorité des implantations qui se sont réalisées en dehors des espaces de sécurité définis dans le plan Allon.

Chapitre deux

pour le développement de la colonisation s’est attaché à développer des implantations sur les principaux axes de croissance de l’habitat palestinien afin de les sectionner. Comme l’a explicité A. Dieckhoff, dans la majorité des cas, les projets ont consisté, en premier lieu, « en la greffe d’une implantation unique à l’intérieur de l’espace palestinien » comme par exemple la

toshava de Karnei Shomron (créée en 1977) où progressivement d’autres toshavoth101 ou yichouvim

kehilatiim102 sont venus s’ajouter à proximité de l’implantation initiale, ce qui aboutit à la

constitution d’un bloc homogène, le goush, qui suivant son importance remplit avec « plus ou moins plus d’efficacité » son rôle d’obstacle, de « containment » [Dieckhoff, 1987 :75-76].

Deux grands types de colonies se dégagent de l’appareil stratégique israélien : l’un a pour objet de sectionner la continuité territoriale palestinienne, l’autre vise à contrôler, contenir, plus particulièrement, les principales villes palestiniennes de Cisjordanie.

Les colonies de Ariel et de Ma’aleh Adoumim dont les buts sont respectivement de sectionner la Samarie, d’ouest en est, et l’axe Judée-Samarie ont été pensées à la fois comme élément de contrôle de la Cisjordanie mais aussi comme des centres urbains périphériques vers lesquels la croissance juive des centralités urbaines d’Israël pourra être délestée. La ville de Ariel, comme nous le verrons dans le Chapitre Six, tend à devenir une banlieue-dortoir de Tel- Aviv. La relation entre Jérusalem et Ma’aleh Adoumim se pose dans les mêmes termes. Ainsi, par cette double fonction -« périurbano-stratégique- caractéristique des yichouvim kehilatiim, le gouvernement Begin à tenté de concilier aménagement et maîtrise « politique » du territoire.

La force de cette stratégie résidait essentiellement dans les yichouvim kehilatiim créés dans un rayon de trente à quarante kilomètres des grands centres urbains d’Israël. Ces implantations avaient un fort pouvoir attractif car il y était offert des logements spacieux à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués dans les couronnes les plus éloignées de la conurbation de Tel Aviv, et une qualité de vie supérieure, auxquels s’ajoutaient les encouragements financiers de l’Etat (crédits préférentiels, etc...)103.

Globalement dans les quatre premières années d’exercice du pouvoir par le Likoud, la Cisjordanie a vu l’établissement de 50 nouvelles colonies, soit une augmentation du nombre de résidents juifs supérieure à 10 000 personnes [Newman, 1992 :29]. Les sources statistiques israéliennes (et palestiniennes) ne nous permettent pas de définir avec exactitude, quelle a été la part des immigrants soviétiques dans cette croissance. Il semble qu’elle ait été relativement faible. L’analyse des mobilités internes des soviétiques arrivés entre 1970 et 1974 fait état de la présence de 100 ménages installés en Cisjordanie et à Gaza en 1978104.

Entre 1981 et 1984, malgré l’intervention militaire israélienne au Liban105, le

mouvement de colonisation est poursuivi. Trente nouvelles implantations sont créées et le

101 Centre résidentiel

102 « Villages-dortoirs » situées dans un faible rayon des grandes agglomérations comme Tel Aviv et Jérusalem.

103 Pour exemple, Michel Foucher note qu’à Nofim l’achat d’une villa donnait droit à un cadeau, une fiat 127 [Foucher,

1987 :11].

104 Source : Immigrants from USSR 1970-1983, Jerusalem : CBS, 1989, p.103. Les familles installées dans la partie orientale

de Jérusalem ne sont pas comptabilisées dans cette donnée.

105 Avec le but de contrôler le Sud-Liban, où les feddayin avaient installé d’importantes bases armées depuis lesquelles

ils attaquaient et bombardaient la Galilée, l’armée israélienne pénètre au Liban en juin 1982. Sous les ordres d’Ariel Sharon, devenu ministre de la défense, l’intervention militaire, nommée « Paix en Galilée », dépasse très rapidement son but initial. C’est une véritable prise de Beyrouth qu’ordonne le Général Sharon. Dans Beyrouth assiégée par les Israéliens, les différents groupes armées s’affrontent ; dans la nuit du 16 au 17 septembre, sous l’œil des troupes israéliennes, des miliciens phalangistes pénètrent dans le camp des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila et massacrent plusieurs milliers de personnes. Au lendemain de ce massacre, des milliers d’Israéliens descendent dans

Israël : Un territoire construit sur le binôme Immigration/Geostrategie

nombre de colons s’élève à 44 000 en Cisjordanie. Gaza connaît également un net développement du nombre de colonies en réaction à l’abandon de Yamit (suite aux accords de Camp David106). Cette politique effrénée de conquête des territoires occupés par la

multiplication des colonies juives s’est fortement ralentie après 1984. La mise en place d’un gouvernement d’Union nationale, dirigé dans un premier temps par Shimon Pérès, au lendemain du désastre et de l’horreur que fut l’intervention militaire israélienne au Liban, a eu pour effet de limiter la création de colonies. Une réorientation de stratégie s’est opérée107.

La politique mise en place à cette période, avec le recul que nous possédons aujourd’hui, apparaît véritablement comme l’application méthodique d’un plan préconçu. Certes, comme l’a souligné A. Dieckhoff, souscrire à la théorie de la conspiration semble être une erreur mais au regard de la stratégie déployée au début des années quatre-vingt, le sentiment du déroulement d’un implacable plan est plus que présent.

Le gouvernement israélien limite, comme convenu, le nombre de nouvelles colonies mais, parallèlement, décide de consolider et d’accroître les banlieues-dortoirs de Cisjordanie. Ainsi, face à la congestion démographique de la conurbation de Tel Aviv108, qui rassemblait

encore près de la moitié des Israéliens, le gouvernement mène une politique d’incitation à l’installation dans les yichouvim kehilatiim. Bloqué au nord et au « sud » pour redistribuer sa population, Israël cherche à procurer à la zone urbaine saturée de Tel Aviv, une profondeur territoriale en accroissant la population des blocs comme ceux formés autour de Ariel, El Kana et Emmanuel.

Ce qui « choque » le plus dans cette politique réside dans l’ordonnancement de la stratégie territoriale d’Israël. Après avoir mis sur pied une stratégie de sectionnement de la continuité territoriale palestinienne, le gouvernement israélien va poursuivre son action en cherchant à se tisser une propre continuité territoriale dans l’espace palestinien qu’il s’est évertué à fragmenter. Par cette politique, le but recherché était d’obtenir une profondeur territoriale maximale, qui en franchissant la dorsale cisjordanienne, pouvait atteindre les collines de la vallée du Jourdain comme Ma’aleh Ephraïm (via Shilo). La poursuite de cet objectif s’est fait au prix de la négation des espaces de vie, de mémoire, des Palestiniens. Au début des années quatre-vingt, plus d’un tiers de la superficie de la Cisjordanie était passée sous contrôle israélien [Foucher, 1987 :11]

La persistance dans cette stratégie des gouvernements qui se sont succédés depuis 1977, a totalement déstabilisé la politique d’aménagement du territoire élaborée avant la Guerre des Six-jours. Ceci n’a pas été sans conséquences sur la structuration de l’espace israélien à l’aube du déclenchement de la grande vague migratoire d’ex-URSS.

les rues de Tel Aviv pour exprimer leur « honte ». En février 1983, Ariel Sharon quitte son poste, le 15 septembre,

Menahem Begin démissionne. Le retrait total des troupes israéliennes s’achèvent le 10 juin 1985. Israël soutient néanmoins les milices chrétiennes du Liban-Sud, connues sous le nom d’Armée du Liban-Sud (ALS).

106 En avril 1982, les Israéliens se sont retirés définitivement du Sinaï et ont détruit la ville de Yamit construite au début

des années 70.

107 Les travaillistes avaient mis comme préalable à leur participation au gouvernement d’Union nationale, le

ralentissement de la politique d’implantations. Le Likoud avait accepté de limiter le nombre de fondations à 6.

108 Au recensement de 1983, la conurbation de Tel Aviv (qui couvre une large partie de la région centre) compte plus de

Chapitre deux

III L’ETAT D’ISRAËL A LA VEILLE DES EVENEMENTS DE 1989, UNE ARCHITECTURE

SOCIO-SPATIALE COMPLEXE

En 1989, après quarante années d’existence, l’Etat d’Israël présente une organisation de l’espace héritée de cette conception de l’aménagement du territoire, souvent stratégique, qui tout au long de ces décennies a cherché à accroître la présence juive dans tous les espaces d’Israël. Sans entrer dans le détail d’une analyse complète de la répartition spatiale de la population en Israël à la veille de l’immigration des Juifs soviétiques, il est nécessaire de brièvement en définir les traits afin de mieux mesurer l’impact, notamment en termes stratégiques, du mouvement migratoire qui nous intéresse.

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