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EXTRAIT D'UN DISCOURS D'ANDREI GROMYKO A L’ONU EN MAI

III. 2 1970, la communauté juive comme monnaie d’échanges : vers la réactivation du flux migratoire

II.1 L’annexion « en douce »

En Israël, la lecture de l’espace a été totalement modifiée par les conquêtes de 1967. La politique des villes de développement qui avait fait l’objet de nombreuses études et retenu l’attention des gouvernants israéliens au cours des vingt premières années d’existence de l’Etat s’est brusquement retrouvée hors d’actualité, tous les regards étant tournés vers les nouveaux territoires.

La lecture de l’espace fut avant tout stratégique. Au lendemain du conflit armé, la nécessité de s’assurer des frontières sûres primait chez les dirigeants israéliens. Pour certains, la sûreté ne s’envisageait que par la conservation de tous les territoires conquis ; pour d’autres, il ne s’agissait que de négocier, du fait de la victoire, quelques rectifications mineures du tracé des frontières [Dieckhoff, 1987 :28]. Un consensus entre ces différents points de vue, reflet de l’éventail militaro-politique du pays, a été trouvé dans le Plan Allon. La proposition d’Ygal Allon, alors ministre du Travail, visait à aménager le territoire de manière à protéger Israël d’éventuelles menaces militaires en créant une zone tampon, constituée d’implantations agricoles et de camps militaires, le long de la frontière jordanienne. Cette politique était en fait la reproduction du modèle de contrôle du territoire mis en place dans les années 1949-1951, empreint de la conception socialo-sioniste du « nécessaire retour à la terre ».

La stratégie de maîtrise du territoire mise en place par les travaillistes a reposé sur « l’insertion par l‘évitement ». William Harris a résumé cette politique en soulignant que « la colonisation israélienne dans les territoires occupés ne peut être dissociée de l’exode des réfugiés qui a accompagné et suivi la guerre de 1967 : le départ et l’arrivée de personnes sur les mêmes terres sont deux faces de la même médaille. »89. Dans le Golan, où seulement à peine

plus de 10% de la population d’avant 1967 résidaient encore (soit environ 10 000 personnes dans le nord du plateau essentiellement), le gouvernement israélien a développé une présence juive sur l’ensemble du plateau en comblant ainsi l’espace vide laissé par la fuite des Syriens. Dix-sept implantations y ont été réalisées entre 1967 et 1973, laissant ainsi transparaître l’idée que les autorités israéliennes n’envisageaient pas à court terme la restitution du plateau [Kapeliouk, 1975:23]. Cette stratégie d’insertion par évitement fut répliquée à l’identique en Cisjordanie. Les implantations, en accord avec le Plan Allon, s’égrainèrent dans la vallée du Jourdain ; dans les espaces où résidaient quelques 85 000 Palestiniens avant le début des combats, douze colonies ont été fondées.

Le Sinaï a accueilli moins d’une dizaine de colonies. La majorité d’entre elles étaient des implantations du Nahal90 (comme la majorité de celles du Golan, de la vallée du Jourdain

et de Gaza) essentiellement localisées à la limite sud de Gaza. A la veille de la Guerre de Kippour, la majorité de ces colonies étaient passées au domaine civil, ce qui témoignait du faible empressement des travaillistes à se retirer du Sinaï. La ville de Charm el-Cheikh, haut lieu stratégique car située à l’entrée du détroit de Tiran qui ouvre sur le Golfe d’Akaba, faisait même l’objet d’une implantation urbaine juive et avait été baptisée en hébreu Ophira. De plus, au début 1973, le mouvement de colonisation a marqué un temps d’arrêt du fait des préparatifs

89 Cité par A. Dieckhoff [1987:70]

90 « Le Nahal, d’après les initiales de « Jeunesse Pionnière Combattante », est une formation militaire en vue de la

Chapitre deux

nécessaires à la construction de la ville de Yamit91, au sud de Rafah à l’entrée du Sinaï, seules

deux colonies furent crées cette année-là [Kapeliouk, 1975:21-23].

La bande de Gaza constituait le seul espace où la stratégie de l’évitement était inapplicable. En effet, la très forte densité de population92 (bien souvent supérieure à

1 000hab./km²) n’a permis aux Israéliens d’établir que quatre colonies. Les sites d’implantation ont toutefois été choisis dans l’objectif de « rompre la continuité territoriale afin d’empêcher à l’avenir la réalisation d’un quelconque plan fondé sur le principe de l’autodétermination des habitants de la bande. » [Kapeliouk, 1975:21].

Progressivement, l’argumentation politique où s’entendait la planification du territoire comme une simple sécurisation des frontières est apparue de moins en moins persuasive. Le gouvernement mettait en place une politique clairement annexionniste. Dès lors, la question du « problème démographique » entre Arabes et Juifs s’est faite de plus en plus présente. En 1973, le général Dayan a exprimé clairement ses positions, qui reflétaient en grande partie celle du gouvernement, en affirmant à ceux qui s’inquiétaient de l’incorporation de près d’un million d’Arabes supplémentaires dans la population du « Grand Israël »93 que « les Palestiniens font

partie de la Jordanie, leur avenir (physique) est ici, mais leur capitale reste Amman »94. Par cette

déclaration, comme le rappelle A. Kapeliouk, « Dayan « résolut » ainsi, à sa manière, le problème en accordant le statut de citoyens étrangers (Jordaniens), incapables d’avoir prise sur leur destin et sur la politique qui les concerne, aux habitants des territoires palestiniens qu’il envisageait d’annexer. »95 [1975 :31].

Sur la scène internationale, la Détente entre les Etats-Unis et l’URSS, au début des années 1970, a constitué un événement politique majeur dans les projets annexionnistes du gouvernement. Golda Meïr a très rapidement compris que l’ouverture de l’URSS à l’émigration juive constituait une source de population inespérée pour développer les colonies96. Ainsi, par

cet événement politique international, Israël a renoué avec la stratégie immigration/maîtrise du territoire (employée avec les villes de développement). Lors d’une réunion de nouveaux immigrants sur les hauteurs du Golan, en septembre 1971, Golda Meïr n’hésite pas à envoyer un signe fort aux nouveaux venus en déclarant : « La frontière se trouve là où habitent des juifs, et non pas sur un tracé de carte. »97.

Le déclenchement de la Guerre du Kippour est venu mettre un terme, temporairement, à la politique d’incitation à l’installation dans les territoires occupés. Fin septembre 1973, Golda Meïr dut revenir de toute urgence en Israël car ses services de renseignements lui indiquaient d’inquiétants mouvements de troupes égyptiennes et syriennes alors qu’elle était en Europe sur les lieux d’une attaque terroriste palestinienne contre un train de Juifs soviétiques qui transitait par l’Autriche afin de se rendre en Israël [Bensimon, 1989:233]. Il s’agissait des prémices de la « guerre larvée » qu’allaient se livrer Palestiniens et

91 Suite aux Accords de Camp David, cette ville fut évacuée et détruite par les Israéliens.

92 En 1967, la bande de Gaza comptait 350 000 habitants sur les quelques 362km² que constituait cette frange littorale

de 45km de long et de 5 à 12km de large.

93 Au début des années 1970, l’éventualité d’une annexion des territoires conquis sous-entendaient la présence d’une

population arabe de 1 500 000 pour 2 800 000 juifs, ce qui inquiétait bon nombre d’Israéliens.

94 Déclaration faite à la BBC citée par A. Kapeliouk [1975:31]

95 Dans son ouvrage, A. Kapeliouk raconte comment par cette déclaration, il fut envisagé de rattacher Gaza à la

Jordanie. Rachad Ech-Chawa, ancien maire de Gaza, a ainsi été autorisé à aller chercher des passeports jordaniens à Amman et à les distribuer à son retour à la population [1975:31].

96 Entre 1970 et 1979, plus de 138 000 juifs soviétiques ont émigré en Israël.

Israël : Un territoire construit sur le binôme Immigration/Geostrategie

Juifs, où à la poursuite du mouvement de colonisation, répondaient des attaques terroristes palestiniennes contre la population juive en Israël ou dans le monde.

Les trois années qui ont suivi la Guerre de Kippour ont été très agitées politiquement sur la scène israélo-palestiniene. Golda Meïr et Moshe Dayan sont sévèrement critiqués pour les défaillances qui ont permis l’attaque arabe. En 1974, le climat de protestations pousse Golda Meïr et son gouvernement à la démission tandis que Yasser Arafat est reçu triomphalement par l’Assemblée des Nations unies. La société israélienne s’interroge et gronde ; l’accession au pouvoir de Y. Rabin n’apaise en rien le mécontentement de la population. L’hostilité envers les travaillistes est grandissante et se traduit par la perte des élections législatives de mai 1977. Après des décennies de pouvoir, les travaillistes s’inclinent devant le Likoud, la coalition de droite, aux accents nationalistes, que dirige Menahem Begin : une véritable révolution dans le monde politique israélien.

Malgré une accession au pouvoir qui s’ouvre sur des événements prometteurs en termes de résolution de la question israélo-arabe avec la venue de Anouar el-Sadate à Jérusalem et les accords de Camp David qui s’ensuivirent98, le Premier ministre israélien n’a

cherché en rien à stopper le mouvement de colonisation dans les territoires occupés. Entraîné dans un processus de paix auquel il n’était pas préparé, Begin a bradé le Sinaï dans l’espoir de conserver la Cisjordanie à laquelle il était idéologiquement attaché [Barnavi, 1982:269]. Pour ce dernier, il n’était pas question de Cisjordanie mais de Judée-Samarie avec toute la charge historico-religieuse que recouvraient ces noms bibliques. Avec l’arrivée au pouvoir du Likoud, c’est donc une politique empreinte d’un fort sentiment nationalo-religieux qui va guider la colonisation juive dans ce que « l’on doit nommer dorénavant » la Judée-Samarie99.

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