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Réussir à partir comment et pour où ?

EXTRAIT D'UN DISCOURS D'ANDREI GROMYKO A L’ONU EN MAI

III. 2 1970, la communauté juive comme monnaie d’échanges : vers la réactivation du flux migratoire

III.3 Réussir à partir comment et pour où ?

Au delà des considérations diplomatiques liées au « baromètre des relations américano-soviétiques, de multiples obstacles dressés par l’administration soviétique influaient sur le cours de l’émigration juive.

Le candidat au départ devait en premier lieu être en possession d’une invitation ou

vyzov. Il s’agissait d’une demande d’autorisation de sortie d’un résident juif émise par un parent

israélien dans le but d’un regroupement familial, visée par le ministère des Affaires Etrangères israélien et adressée aux autorités soviétiques. Cette démarche constituait un premier obstacle sérieux car les demandes qui devaient transiter par voie de poste furent bien souvent interceptées et retenues par les autorités. Cette pratique de la rétention des vyzov était un moyen de pression employé contre les « dissidents » qui manifestaient trop fortement leur désir de quitter le pays ou que l’on ne souhaitait pas voir partir. Afin de multiplier les obstacles et de restreindre la pression occidentale, il fut même demandé que les vyzov n’émanent que de parents en ligne directe. En cela, l’URSS bafouait les engagements qu’elle avait pris lors de la ratification des Accords d’Helsinki67 ou avait été reconnu le droit à la réunion avec « des

membres de leur famille » pour les candidats à l’émigration, sans aucune réserve sur le niveau de parenté.

67 Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) ratifié en 1975 par tous les pays

Les juifs russes et l’édification d’Israël

Un second obstacle a résidé dans l’introduction de l’obligation faite de ne pas laisser de membres de sa famille en URSS. Cette règle fut plus ou moins appliquée dans les différentes républiques et elle connut de nombreuses variantes. Pour exemple, certaines administrations autorisèrent le départ d’un ou plusieurs membres de la famille à la condition que ceux qui ne désiraient pas partir s’engagent à ne plus jamais déposer une demande de sortie [Rozenblum, 1982 : 170].

Une fois l’obstacle du vyzov passé venait celui de l’obtention du certificat de l’employeur -ou de l’université pour les étudiants-, attestant que le demandeur était en règle dans son activité. Lors de cette démarche (obligatoire), beaucoup de candidats au départ se virent signifier leur renvoi par leurs employeurs. L’administration eut très souvent recours à cette action punitive pour humilier le « traître » qui désirait quitter sa patrie. Les scientifiques furent de loin les premiers à pâtir de telles représailles. Nombreux furent les « très qualifiés » qui malgré tous les éléments nécessaires obtenus -au prix d’une exclusion de leurs institutions de recherche- se virent infliger un refus d’émigrer par l’OVIR (le service des visas de l’Office des Affaires Intérieures en charge des migrations). Les noms de ces scientifiques furent scandés par des milliers de militants juifs en Occident et ils devinrent les plus célèbres des

Refuzniks (« les refusés ») avec comme figure emblématique Nathan Charansky, aujourd’hui

leader du parti russe Israel Ba-aliya et ministre de l’Industrie du gouvernement Netanyahou. Les refus de l’administration et la perte de leurs emplois n’entamèrent jamais la foi de ces Refuzniks. En réponse à l’interdiction de poursuivre leur activité professionnelle, ils organisèrent des séminaires scientifiques dans leur propre résidence, dans la « chaleur des cuisines » comme le dira Danielle Storper Peres.

Le soutien affiché aux Refuzniks en Occident68 et la forte conviction de ces derniers

en tant que symboles de la lutte pour la liberté a très vite conduit les autorités soviétiques à des actions de répression contre l’entière communauté juive. Cette mesure collective, justifiée par « l’affiliation de tous les Juifs au sionisme », se concrétisa par l’éviction d’un grand nombre de Juifs au sein des grandes écoles et des universités. Une chute de 40% du nombre d’étudiants juifs fut enregistrée entre les années universitaires 1971-72 et 1977-78 [Jones, 1996 : 25].

Cette politique répressive n’eut pas les résultats espérés par les autorités. Une nette recrudescence des candidats à l’émigration s’opéra chez les « Juifs assimilés » des régions occidentales devant la montée incessante de l’antisémitisme. Si au début des années soixante- dix, les départs concernaient essentiellement des Juifs des républiques orientales ou des Pays Baltes, il n’en fut pas de même suite à cette campagne punitive. L’épicentre de la poussée à l’émigration s’est délocalisé à l’ouest notamment vers la Russie et l’Ukraine.

En fait, l’ouverture à l’émigration dans les années soixante-dix, cachait une stratégie de « contention » de l’opinion juive nationale et de l’opinion internationale en général. En effet, ce signe de détente revêtait une autre coloration sur la scène nationale soviétique, où il s’agissait de contenter l’opinion internationale en se délestant de « Juifs inassimilables et inutiles » au pays [Salitan, 1997 : 69]. Les Juifs de Géorgie et des Pays Baltes ont largement profité de cette stratégie, ainsi qu’une grande partie de la communauté boukhariote qui fut autorisée à émigrer en 1972 [Levin, 1988 :708]. Sur la période 1970 à 1978, mais

68 La première manifestation d’importance en faveur des juifs d’URSS s’était tenue à Bruxelles en 1971. Cette

démonstration qui rassemblait plus de 760 délégués venus de 38 pays parmi lesquels on comptait Elie Wiesel, Gershom Scholem et David Ben Gourion avait fortement impressionné les autorités soviétiques. La vague d’émigration de 1971 y est souvent associée. Une seconde Conférence de soutien fut organisée à Bruxelles en 1976.

Chapitre Un

principalement au début de la décennie, ce sont plus de la moitié des Juifs de Géorgie, environ 40% de ceux de Lituanie et un quart de ceux de Lettonie qui ont émigré.

Mais à la fin des années soixante-dix, le mouvement s’inverse donc et l’Ukraine et la Russie vont fournir le plus gros du contingent des émigrants juifs. L’URSS a exploité toutes les occasions possibles pour bloquer le départ des Juifs car elle avait conscience qu’au-delà du risque d’extension à d’autres groupes ethniques69, cette émigration constituait une réelle « fuite

des cerveaux ».

Les dissidents ne profiteront guère de cette délocalisation des foyers d’émigration. Bien au contraire, les peines d’emprisonnement, les détentions en camp de travail ou en hôpitaux psychiatriques se multiplièrent à leur encontre. Ceux qui échappèrent à ces mises aux arrêts se virent néanmoins refuser leurs autorisations de départ sous le motif de plus en plus fréquemment utilisé, de la connaissance de secrets d’Etat. En 1976, une enquête sur 500 familles de Refuzniks avait montré que 42% des refus étaient motivés par le « secret d’Etat » et 32% par les « fonctions passées tenues dans l’Armée » [Levin, 1988 :728]. Comme nous l’avons souligné plus haut, ce dernier obstacle à l’émigration fut progressivement levé par Mikhaël Gorbatchev.

L’homme qui symbolisa cette lutte pour l’émigration des « refuzniks », Nathan Tcharansky, ne fut autorisé à émigrer en Israël qu’en 1986. Cet événement qui fit la une de milliers de journaux dans le monde annonçait le dénouement prochain de la question juive en URSS.

A la fin des années quatre-vingt, la perspective d’une libéralisation de l’émigration juive d’ex-URSS est d’autant plus importante qu’elle constitue le seul moyen de poursuivre la ligne géostratégique que s’est donnée l’Etat en conférant une valeur cardinale à la relation immigration-géostratégie.

69 Au cours de la période 1948-1985, un peu plus de 450 000 personnes ont quitté l’URSS parmi lesquelles les juifs

constituèrent plus des deux tiers du groupe migrant, les Allemands près d’un quart (105 000 personnes) et les Arméniens environ un huitième (52 000 personnes). La majorité des Allemands se dirigèrent vers ce qui était la RFA, les Arméniens trouvèrent refuge en France au début des années 50 puis essentiellement aux Etats-Unis. Voir notamment l’article de S. Heitman, « Jewish, German, and Armenian Emigration from USSR : Parallels and Differences », in Freedman R. (ed.), 1989, Soviet Jewry in the 1980s. The politics of anti-semitism and emigration and the dynamics of resettlement, Durham : Duke University Press, p.113-138.

C H A P I T R E D E U X - I S R A Ë L : U N T E R R I T O I R E

C O N S T R U I T S U R L E B I N O M E I M M I G R A T I O N / G E O S T R A T E G I E

Dans la partie que consacre Michel Ragon à Israël, dans son Histoire de l’architecture et

de l’urbanisme modernes, il écrit « Israël est évidemment l’un des pays du monde où l’on a le plus

bâti depuis la fin de la Seconde guerre mondiale puisque les Israéliens ont dû construire le pays lui-même. (...) » [1986 : 190]. En ces quelques lignes, M. Ragon souligne le formidable effort qu’a dû fournir Israël dans les premières années de sa création et la question centrale qu’a été, pour les décideurs et aménageurs israéliens, l’orientation à donner à la construction de la nation israélienne. Quel plan de répartition spatiale de la population fallait-il privilégier, quelles priorités devaient être définies dans un pays qui se construisait dans un climat de guerre ? Diverses options ont été tentées en regard de la situation héritée de la Palestine mandataire et de la configuration territoriale issue de la guerre d’Indépendance.

Aux premières heures de l’Etat, aux logiques d’aménagements est venue se greffer une pensée géostratégique où une ligne politique définissant un lien fort entre immigration et organisation de l’espace a été définie. Dès 1949, Ben Gourion avait clairement énoncé la relation dialectique entre aliya et Etat en déclarant « l’avenir de l’Etat dépend de l’immigration » [Segev, 1998 :121]

I OCCUPER L’ESPACE :DES MA’ABAROTH AUX VILLES DE DEVELOPPEMENT

Entre mai 1948 et décembre 1951, en premier lieu, il s’est agi de trouver un accueil pour les quelques 680 000 Juifs qui ont immigré en Israël. L’urgence de la situation n’a pas permis une véritable planification de l’accueil des nouveaux arrivants. Ceux-ci se sont répartis selon les opportunités que présentait le yichouv.

I.1 L’espace palestinien, l’armature de la politique d’organisation du territoire

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