• Aucun résultat trouvé

Une lente érosion de la communauté juive

CONTEXTE NATIONAL

I.2 Une lente érosion de la communauté juive

Selon certaines estimations, la communauté juive de Russie est évaluée, au début du XIXème s., aux alentours d’un million de personnes [Rozenblum, 1982:43]. A partir de cette

période, cette population ne cesse de s’accroître jusqu’à la Seconde guerre mondiale qui a vu l’extermination massive du peuple juif.

La communauté dépasse dès 1840 un million et demi de personnes avec notamment l’incorporation de centaines de milliers de Juifs suite aux successifs partages de la Pologne (1772, 1793, 1795). Par la suite cette communauté russo-polonaise s’accroît naturellement : 3 000 000 en 1860, 3 500 000 en 1880 et 5 200 000 en 1897 (4,1% de la population totale), date du premier recensement général de population (Figure 11).

La répartition géographique des Juifs au cours de cette période révèle une évidente sur-représentation de la communauté à l’Ouest de la Russie (environ cinq millions de personnes) puisque cette région circonscrit la Zone de résidence148 et une dispersion du reste

de la communauté sur tout le territoire russe.

147 Il semble qu'au début du siècle la règle était de déclarer l'enfant suivant la nationalité de la mère.

148 Instituée par Catherine II et maintenue jusqu’en 1917, la Zone de résidence formait un espace où

les Juifs étaient assignés à résidence. L’absorption de territoires polonais où vivaient de nombreuses populations juives a, comme le souligne Simon Doubnov, rapidement fait apparaître « une nouvelle complication dans la politique intérieure russe : la question juive ». Il s’est agi de fermer l’accès à l’intérieur de l’empire aux populations juives en les fixant principalement à la zone annexée mais aussi de limiter leurs activités économiques. La demande de l’assignation à résidence des Juifs émanait principalement des marchands russes qui voyaient en eux de dangereux concurrents [sur la question de

Chapitre quatre

Des pôles urbains à forte densité juive se dégageaient au sein de la Zone de résidence comme Vilno (surnommée la Jérusalem de Lituanie, cf. Minczeles, 1993), Bialystok, Varsovie, Lodz, Berditchev, Kichinev, Odessa, Yekaterinoslav et dans le reste de l’empire russe avec notamment en 1880, Saint-Pétersbourg avec 21 000 personnes, Kharkov 14 000, Moscou 10 000, Bakou 12 000, Tbilissi 10 000, Irkoutsk 8 500 [Challiand, 1991 : 43].

Figure 11 - Evolution de la population juive (1800-1989)

0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 1800 1840 1860 1880 1897 1926 1939 1940 1946 1959 1970 1979 1989 années millions de pe rs onn e 1815 : Congrès de Vienne période de fort accroissement démographique mouvement d' émigration Shoah mouvement d' émigration

ROZENBLUM S-A., Etre Juif en U.R.S.S., PUF, Paris (coll. Revue politique et parlementaire), 1982, pp.43-45; KOLOSSOV Vl. (et al.), La géographie des diasporas et les communautés arménienne, juive grecque de l'ex- URSS, L'espace Géographique, n° 2, 1994, p.161.

La communauté juive est fortement urbanisée. A la fin du siècle dernier, elle possédait le niveau d’urbanisation le plus élevé de l’empire russe avec 49% de population urbaine, soit loin devant le second groupe constitué par les Tadjiks avec 29,5% [Kappeler, 1994 :339]. Une telle position dans la société russe lui valut d’être la cible d’oukazes limitant sa présence dans les villes. En 1891, un arrêté ordonna notamment l’expulsion des Juifs de Moscou et de sa région urbaine. Selon les estimations, ils furent 20 000 à vendre précipitamment leurs biens et à être réintégrés dans la Zone de résidence.

De 1897 au premier conflit mondial, l’importance de la communauté ne cesse de décroître. La multiplication des exactions et autres pogroms anti-juifs, incitée par le régime tsariste comme le moyen de « noyer [la menace d’] une révolution dans le sang des Juifs149 »,

associés à une très forte paupérisation de la communauté provoquent le départ de milliers de Juifs. La très grande majorité de ces émigrants s’est dirigée vers les Etats-Unis et dans une moindre mesure en direction de la Palestine. Cette émigration outre-Atlantique est d’autant plus aisée que l’Europe entre dans l’ère de la navigation à vapeur -The Age of Steam-, premier

la formation de la « zone de résidence », cf. Doubnov, 1994 : chapitre VI, §44., 350-356]. Cette haine

des marchands juifs sera toujours très prégnante dans ces régions. A la fin des années 1880, le mouvement antisémite se focalise sur la question de l’immigration des Juifs lituaniens et russes blancs en Pologne (surnommés « Litvaks ») afin d’assurer le relais entre l’industrie polonaise et les marchés russes, vue comme une russification du pays [Weinstock, 1984 : 51].

Une immigration massive à l’identité plurielle

facteur push des grandes migrations « d’un monde en voie de mondialisation »150 [Morawska,

1995].

La Figure 11 souligne qu’après la Shoah, la population juive n’a cessé de diminuer aux rythmes du solde naturel, de l’assimilation dans la population totale et de l’émigration vers l’Ouest. Avant 1970, ce déclin trouve une explication dans un processus interne lié essentiellement aux deux premiers facteurs précités, et après 1970, le dernier facteur -à savoir l’émigration- entre en jeu, mais sa part dans ce mouvement à la baisse de la communauté juive n’excédera jamais un cinquième du phénomène, comme en témoigne le cas de la Russie présenté par Mark Tolts [1993 : 101] (cf. Tableau 19).

Tableau 19 - Dynamiques de la population juive en Russie, 1959-1989

Taux annuel moyen de

variation dû à :

Années Population juive En janvier

Variation

intercensitaire Taux annuel moyen de variation sur la période intercensitaire (%)

Processus

internes (c) Emigration d’URSS

1959 875 307 (a)

1970 807 915 (a) - 67 392 -0.7 -0.7 0.0

1979 700 651 (a) - 107 264 -1.6 -1.3 -0.3

1989 551 047 (a) - 149 604 -2.4 -2.0 -0.4

(a) Données du recensement (b) Inclus migrations entre la Russie et les autres républiques de l’ex- Union

Source : TOLTS M., « Jews in the Russian republic since the Second World War : the dynamics of demographic erosion », in IUSSP, International Population Conference, Montreal 1993, vol.3, p.100.

Entre 1970 et 1979, c’est effectivement à hauteur de 19% que le courant d’émigration contribue à la décroissance globale qui s’élevait à plus de 140 000 personnes. Malgré cette érosion, la communauté juive d’URSS a constitué -et constitue encore-, un des établissements majeurs de la diaspora juive.

Outline

Documents relatifs