• Aucun résultat trouvé

Une jurisprudence libanaise faiblement argumentée

On peut affirmer de prime abord que la jurisprudence libanaise ne donne aucune

motivation lorsqu’elle applique le principe du juge judiciaire gardien de la liberté

individuelle et de la propriété privée.

Les arrêts visant ce principe commencent par le citer dans un considérant sans le justifier et sans l’expliquer. Ils le présentent ainsi comme une donnée acquise. Cette attitude de la

jurisprudence a été toujours la même depuis longtemps jusqu’ aux plus récents arrêts. On se bornera à donner l’exemple de deux arrêts récemment rendus369. L’arrêt du 3 décembre 2012 (inédit, précité) « SALEH » cite le principe en affirmant « qu’il ne peut se

prévaloir de la compétence du juge judiciaire et ainsi du principe jurisprudentiel qui considère que « le juge judiciaire est le gardien de la propriété privée et des libertés

publiques… ».

Un autre arrêt rendu le 27 octobre 2009 « KANNAN » (inédit) énonce dans un considérant principal que « considérant que les jurisprudences administrative et judiciaire

368

Je me permets à ce stade de partager mon expérience dans la fonction de magistrature administrative en déclarant le

suivant : je suis magistrat au Conseil d’Etat libanais ca fait presque douze ans, je ne me suis jamais senti faible, voir

impuissant face à une atteinte à la propriété privée ou à une liberté individuelle. Je ne suis pas allergique envers la protection de ces droits.

369

161

sont établies dans ce contexte à considérer que l’autorité compétente pour fixer

l’indemnité résultant de l’emprise irrégulière est la juridiction judiciaire puisqu’elle est le gardien de la propriété privée… ».

Il résulte clairement de ces deux arrêts que le Conseil d’Etat ne donne aucune

justification lorsqu’il applique le principe qui fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle et de la propriété privée, et il se borne à dire que le principe est applicable. En France, le Tribunal des Conflits dans son arrêt du 17 juin 2013 M.B. où il a redéfini les contours de la voie de fait cite dans ses visas la loi des 16-24 août de 1790 et le décret

du 16 fructidor an III, ainsi l’article 66 de la constitution.

De ce qui précède on peut alors poser la question suivante : comment et pourquoi la jurisprudence libanaise continue à considérer le juge judiciaire comme gardien des libertés et de la propriété privée, alors qu’elle ne dispose d’aucune base légale juridique,

qui puisse lui servir de soubassement à ce principe.

Si en France, et en dépit de l’existence d’une histoire qui remonte au XIXème siècle et

des textes constitutionnels et législatifs, la doctrine a trouvé un auteur des plus autorisés pour affirmer « que le fait que la juridiction administrative a cessé de pouvoir être suspectée de ne pas assurer une protection normale des droits et libertés des administrés est sans conséquence sur l’état de droit. Le principe de l’autorité judiciaire

gardienne de la propriété privée et des libertés fondamentales continue à être bêtement illustré par diverses solutions législatives, ainsi que par deux jurisprudences importantes370et traditionnelles relatives l’une à l’emprise irrégulière et l’autre à la voie de

fait », quel serait alors le cas de la jurisprudence libanaise où les facteurs historiques et légales font défaut ?

370

162

Conclusion de la première partie :

Résulte-t-il du contenu de cette première partie que la compétence par nature du juge judiciaire est mise en cause ?

Est-ce qu’on témoigne aujourd’hui de la naissance d’un partage de compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire dans un domaine longtemps réservé naturellement au judiciaire ?

En France, comme on l’a déjà vu, il y a eu une évolution remarquable au niveau du rôle du juge administratif dans la protection des libertés individuelles et de la propriété privée.

Elle s’est manifestée en premier lieu par l’institution du référé-liberté, qui a permis au juge administratif de prouver une efficacité considérable dans la protection des libertés contre les atteintes graves même en cas de voie de fait. L’autre évolution se situe au niveau de

la jurisprudence qui, à travers l’arrêt M.B. du 27 juin 2013, a délimité les contours de la voie de fait, en faisant du juge administratif un gardien exclusif des droits et libertés en dehors de l’atteinte à une liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de

propriété. Le juge administratif français est désormais un co-gardien de ces droits individuels.

Au Liban, même en l’absence d’un référé-liberté, rien n’empêche le Conseil d’Etat de se

déclarer protecteur des libertés individuelles et de droit de propriété. Aucune obligation légale, de fait et même morale ne lui prohibe de le faire. Pourtant il persiste toujours à considérer, sans justification pertinente, le juge judiciaire comme l’unique gardien des droits individuels.

En revanche, et dans le domaine de l’état des personnes et vu les textes législatifs français et libanais en la matière, le juge judiciaire est la seule autorité compétente et le

juge administratif n’interfère que dans des cas exceptionnels.

Si la compétence judiciaire par nature donne un rôle primordial au juge judiciaire dans les matières administratives la compétence par accessoire lui laisse par exception un rôle dans le champ du droit administratif.

163

DEUXIEME PARTIE : L’ATTRIBUTION PAR

ACCESSOIRE AU JUGE JUDICIAIRE DE LA