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Les effets du référé sur la compétence par nature du juge judiciaire

Section 2 : Le juge du référé administratif au Liban

II- Les effets du référé sur la compétence par nature du juge judiciaire

La lettre de l’article 66 permet à première vue de déduire que le juge des référés libanais

peut prendre n’importe quelle mesure nécessaire, possible, temporaire et préservatrice, quelle que soit sa nature, qui est susceptible de conserver des droits et d’empêcher des préjudices. Mais, en cas d’une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté

individuelle, le référé-conservatoire reste-t-il disponible pour prendre toute mesure sur le fondement de l’article66 du statut du Conseil d’état ? On peut répondre par l’affirmative si

l’atteinte grave rentre dans les pouvoirs reconnus à l’administration même si cette atteinte

serait manifestement illégale. Par ailleurs le juge des référés peut ordonner toutes mesures pour conserver les droits en cause. La question serait plus délicate si on est en

présence d’une atteinte grave ou manifeste à un droit ou une propriété qui serait manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration. Autrement

dit, le juge du référé-conservatoire peut-il en vertu de l’article 66 prendre toute mesure lorsque l’atteinte est une voie de fait proprement dite ?

En France, la jurisprudence a considéré que le juge des référés administratif ne peut pas être considéré comme compétent pour statuer sur une demande qui ne pourrait pas se rattacher à un litige actuel ou éventuel relevant de la compétence de la juridiction administrative de droit commun338.

Mais cette même jurisprudence connaît deux tempéraments : le premier est qu’au stade

du référé, la règle de compétence est affirmée comme une simple potentialité339, et par

conséquent pour que le juge soit compétent il suffit qu’ « il existe une possibilité que le

litige principal entre … dans les conditions des installations classées ou dans celui des

338

CEF, 16 octobre 1981, rec. p.313 et CEF, 3 avril 1987 RDP 1987 p.1379

339

HUGLO C, La pratique des référés administratifs devant le Tribunal administratif, la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat, LITEC édition 1993, p.28 et s

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travaux publics ou du domaine public, ou encore qu’il se rapporte à une décision

administrative ou à un contrat de droit public 340».

Par contre « si le litige est manifestement insusceptible de se rattacher à un litige entrant dans la compétence administrative le juge des référés doit se déclarer incompétent341».

Le second tempérament apporté à la règle est que le juge des référés peut être

compétent dans l’hypothèse où seule une mesure d’instruction est sollicitée dès lors que

le litige principal ne relève au moins pour partie de la compétence de l’ordre juridictionnel

auquel se rattache le juge des référés342 ».

En dehors de ces cas, au niveau des référés, la juridiction administrative reste

incompétente chaque fois qu’un litige ne relève pas de sa compétence. En d’autres

termes, le juge des référés ne peut intervenir que dans le cadre de la compétence administrative sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs. Il s’agit d’une règle d’ordre public. Au Liban, il semble que le Conseil d’Etat libanais a suivi son homologue français en affirmant que « le juge des référés ne peut ordonner des mesures nécessaires, possibles, temporaires et préservatrices … que dans les affaires, qui rentrent dès l’origine dans la compétence de la juridiction administrative et il sort de sa compétence de connaître des affaires qui ne rentrent pas dans les litiges qui relèvent de sa compétence343 ».

A notre sens, donner la compétence au juge des référés libanais d’ordonner une mesure dans le cas d’atteinte à une propriété privée ou à un droit fondamental ne peut s’admettre

que dans deux hypothèses. La première serait lorsque le Conseil d’Etat libanais se

déclare compétent comme gardien de la propriété privée et des droits individuels et partenariat avec le juge judiciaire dans la protection des droits et libertés. A ce stade, le juge des référés serait compétent pour prendre toute mesure unissant à préserver une

propriété ou une liberté individuelle, lorsqu’une atteinte à celles-ci est grave et manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration.

340

CEF, 14 février 1964, SA PECHINEY SAINT-GOBAIN cité par HUGLO C, précité, p.28 rec. p.112

341

CEF, 31 octobre 1986, ROLAND, JCP 1982, 4ème partie p.123

342

CEF, 23juin 1989, Consorts KINTZ, rec. p.845

343

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La seconde hypothèse, ce serait d’instituer un référé-liberté, propriété semblable au droit français. Le juge aurait la compétence, en cas d’urgence, de prendre toute mesure nécessaire pour sauvegarder un droit fondamental ou une propriété privée en cas

d’atteinte grave et manifestement illégale et constitutive d’une voie de fait. Il est en effet

clair qu’en cas d’urgence en France, le juge administratif est par le biais du référé-liberté, un protecteur des libertés individuelles, domaine longtemps préservé à la seule compétence du juge judiciaire.

Mais en temps normal, hors la procédure d’urgence, le juge judiciaire reste-t-il l’unique

acteur dans la protection des libertés individuelles et de la propriété privée. La voie de fait, qui est la pierre angulaire de la compétence judiciaire, a-t-elle toujours sa raison

d’être. N’est-il pas temps d’octroyer au juge administratif la mission de protéger les individus contre les atteintes graves à la propriété privée et aux droits et libertés individuels.

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CHAPITRE 2 : JUGE ADMINISTRATIF GARDIEN DE LA PROPRIÉTÉ