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ET L’EMPRISE IRRÉGULIÈRE

A- L’origine de la théorie

En France, les origines de la théorie de la voie de fait sont très anciennes et peuvent être trouvées dans certaines décisions de la jurisprudence de l’ancien régime. Certains

auteurs60 considèrent que le terme « voie de fait » remonte à l’article 30 de l’ordonnance

du roi de France JEAN II de France connu sous le nom de Jean LE BON, en 1355, par lequel il a incité le peuple à résister contre les tyrans en déclarant « nous voulons que chacun leur puisse résister par voie de fait ».

Il nous semble que le terme « voie de fait » figurant dans l’article 30 précité n’a pas la même signification que la voie de fait administrative et se situe dans un contexte différent qui peut signifier que le peuple doit résister aux tyrans par tout moyen légal ou illégal. Par conséquent cette ordonnance ne peut pas servir comme base historique à la théorie de la voie de fait.

L’embryon de la voie de fait en France apparaît plutôt avec le discours de Louis XIV le 19 avril 1681 qui prohiba l’utilisation de la force, considérant ainsi, chaque acte contraire aux lois, commis par un fonctionnaire qui sort ainsi du champ de ses droits et obligations.

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La notion de voie de fait se manifeste encore plus clairement avec la Constitution de l’an VIII à propos de l’application de son article 75 sur la garantie des fonctionnaires qui

disposait que « les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions qu’ en vertu d’une décision du Conseil

d’Etat. En ce cas la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires. Toutefois la décision

du Conseil d’Etat n’est plus exigée si le fonctionnaire a commis des actes qui n’ont aucun lien avec l’action administrative. Le Conseil d’Etat61 a affirmé cela à plusieurs reprises62,

ainsi dans l’affaire PEILLOU, il s’agissait d’un organe du Conseil municipal de Saint-Symphorien-d’Ozon, qui a pris du sable de la propriété privée d’une personne pour

réparer certains chemins appartenant à ladite municipalité et ceci contrairement aux règlements municipaux et sans notification officielle aux propriétaires et sans qualité ou

mandat lui permettant de le faire, le Conseil d’Etat a considéré que l’autorisation figurant dans l’article 75 n’est pas nécessaire dans ce cas puisque les conseillers municipaux ne

peuvent être considérés comme agents de gouvernement . Mais le terme « voie de fait »

est apparu pour la première fois dans l’arrêt ROUSSEAU rendu le 21 septembre 182763. Donc au XIXème siècle, en France, la voie de fait s’est développée en parallèle avec d’autres théories, à savoir l’expropriation indirecte et l’emprise. Et comme on vient de le

voire, cette théorie est nettement affirmée sous le Second Empire par la jurisprudence (arrêts PEILLOU et ROUSSEAU précités) et les commissaires du gouvernement (AUCOC, DE BELLEBOUEF, DAVID et LAFERRIÈRE).

Son explication était (et en est toujours) même partiellement la dénaturation des actes

matériels de l’administration. La voie de fait est analysée comme un acte matériel de

l’administration qui a perdu sa nature administrative et qui est devenue un acte analogue à un acte accompli par un particulier64.

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CEF 23 avril 1807, DITTNER D, p.231

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CEF, 4 juin 1823, PEILLOU, rec. p405 « considérant que lesdits Conseillers municipaux ayant agi sans qualité ni

mandats, ne peuvent être considérés comme agents du gouvernement ; qu’ainsi le Sieur PEILLOU peut les traduire en

justice, s’il y croit faute, et sans qu’il soit nécessaire d’obtenir notre autorisation »

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CEF, 21 septembre 1827, ROUSSEAU, rec. p.50

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Cette compétence puise ses origines dans la doctrine surtout chez LAFERRIÈRE, HAURIOU, BONNARD et

DESGRANGES (cf. pour plus d’approfondissement DESGRANGES, Essai sur la notion de voie de fait en droit

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Toutefois, cette conception s’est trouvée « démentie » par la jurisprudence qui n’a pas fait

appel à la notion de voie de fait à propos de toutes les opérations matérielles de

l’administration entraînant une dénaturation de l’acte administratif ; elle limite l’application

aux opérations portant atteinte à certains droits fondamentaux.

Au Liban, on ne trouve pas une telle origine historique de la théorie de la voie de fait. La doctrine libanaise ne fournit aucune référence en la matière. Elle se réfère toujours à

l’évolution de la notion en France et se borne à citer les cas de voie de fait, ses conditions et ses conséquences65 sans expliquer ses origines dans la jurisprudence libanaise.

Certes, les manuels de droit administratif libanais, citent la jurisprudence libanaise en la matière. Mais au niveau de la définition et ses cas d’existence ainsi que ses effets, on

peut dire qu’il y a eu « clonage direct » de la théorie française de la voie de fait dans le système juridique libanais ; sans référence historique, sans l’existence des faits qui ont motivé sa raison d’être, la voie de fait libanaise est le résultat d’une transposition intégrale (origine, fondement, cas d’existence, conséquences) de la doctrine et de la jurisprudence

françaises.

Cette « exportation », ce « service à domicile » va à notre sens (cf. Titre 2) affecter les bases de la théorie de la voie de fait, et va même affaiblir la motivation de la compétence du juge judiciaireen la matière.

La première apparition de la notion s’est manifestée dans les matières relatives à

l’expropriation. C’est en 1939 que la Cour de Cassation libanaise a considéré qu’il y a

« voie de fait » lorsque l’administration prend une décision de main mise sur une

propriété avant l’entrée en vigueur du décret de déclaration d’utilité publique66.

L’utilisation de la notion de voie de fait dans la jurisprudence se trouve plus répandue dès les années 50 soit par le Tribunal administratif spécial compétent à cette époque pour

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BAZ J, op.cit p774 et s. EID E, op.cit p.101, EL KHOURY SAADALLAH Y, Droit administratif général, tome II p.78

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statuer sur les litiges de l’expropriation et des travaux publics, soit par le Conseil d’Etat et

la Cour de Cassation67.

L’absence de base historique de la notion de voie de fait n’a pas empêché la doctrine

libanaise de la définir clairement; à l’image de l’effort doctrinal français.