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ET L’EMPRISE IRRÉGULIÈRE

B- Définition de la voie de fait

1- La définition doctrinale

En France, certains auteurs des plus autorisés en la matière, ont donné des définitions à la voie de fait parfois large ou étroite, pragmatique ou académique voire même « poétique ».

M. Jean-Marie AUBY et M. Roland DRAGO68 définissent la voie de fait d’une manière

concise et précise :

« La voie de fait administrative … est une action matérielle de l’administration entachée d’une grave irrégularité et portant atteinte à certains droits fondamentaux des individus,

propriétés et libertés publiques définies par la loi. »

Le professeur Claude GOYARD69 propose une définition plus large de la voie de fait. Il

s’agit d’un « …un acte matériel ou agissement de l’administration portant atteinte aux droits individuels publics, fondamentaux, présentant manifestement un degré d’illégalité

qui donne à cet agissement le caractère d’abus du pouvoir ou d’abus de la force

intervenu dans une période non exceptionnelle. »

67

Tribunal administratif spécial, 22 novembre 1955, recueil CHIDIAC, 1957 p.35 (atteinte à une propriété privée sans suivre les procédures d’expropriation) CEL, 26 janvier 1956, AMER rec. BAZ 1957 p.39 (à propos d’une commune qui a exproprié une propriété immobilière sans suivre aucune procédure d’expropriation) et dans la même sens (Cassation 31 mai 1956 rec.BAZ p.84 n39)

68

AUBY et DRAGO op.cit p.672

69

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Une définition étroite et précise est retenue par le professeur Yves GAUDEMET70 « il y a

voie de fait lorsque dans l’accomplissement d’une activité matérielle d’exécution, l’administration commet une irrégularité grossière portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique fondamentale ».

Plus pragmatique et claire avec Eugène DESGRANGES71, la voie de fait est « …l’action

matérielle ou la décision-exécution inexistante, accomplie sans pouvoirs, soit parce que

l’auteur n’est pas agent administratif, soit parce qu’elle était interdite à l’administration en l’absence d’actes ou de fait légalement indispensable pour qu’elle ait la nature

administrative ».

Une définition académique de René GUILLIEN et Jean VINCENT72 présente la voie de fait comme « la théorie d’origine jurisprudentielle protectrice des droits des administrés en ce qu’elle entraine pour l’administration, la perte de la majeure partie de ses privilèges traditionnels. Elle est constituée si l’administration accomplit un acte matériel représentant une irrégularité manifeste, soit parce qu’elle exécute une décision ne se rattachant pas à un pouvoir qui lui appartient comme une décision grossièrement illégale

ou annulée par une juridiction, soit parce qu’elle exécute selon une procédure

grossièrement illégale, une décision même légale, et à condition que cet agissement porte atteinte à la propriété mobilière ou immobilière ou à une liberté publique. Les juges judiciaires deviennent alors compétents pour connaître de cette irrégularité à titre exclusif

en matière d’action en responsabilité et concurremment avec les juges administratifs pour

prononcer l’annulation de l’acte ».

La définition de la voie de fait a des aspects poétiques avec le professeur René CHAPUS73 lorsqu’il considère que «c’est la folle du logis, présente là où on l’attend le

moins, et perturbatrice au-delà de l’acceptable, du fait de la difficulté fréquente du diagnostic comme de l’usage aisément abusif qu’en font maints magistrats judiciaires que le Tribunal des Conflits, trop souvent sollicité, ne parvient guère ; cependant, à ramener dans le droit chemin ».

70

GAUDÈMET Y, Traité de droit administratif, tome I, 16ème édition Delta Beyrouth, 2002, p.421

71

DESGRANGES E, Essai sur la notion de voie de fait en droit administratif français, thèse Poitiers, 1937, p.234

72

GUILLION R et VINCENT J, Lexique des termes juridiques, 14ème édition, D, Paris 2003, p.596

73

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M. Maurice HAURIOU définit la voie de fait en la découpant en deux catégories : voie de fait par manque de procédure ou voie de fait par manque de droit74.

D’après l’éminent auteur la voie de fait par manque de procédure s’observe lorsque

l’administration procède à l’exécution forcée par la voie administrative d’un acte unilatéral

hors des cas où cette exécution forcée est permise.

Il y a en revanche voie de fait par manque de droit dans l’hypothèse constitutive d’une irrégularité totale, où l’administration exécute une opération matérielle dépourvue de tout fondement juridique ; en effet, elle use de la contrainte matérielle à l’encontre d’un particulier pour assurer l’exécution d’une de ses volontés, alors qu’aucun texte, aucun

principe de droit, ou aucun acte juridique pris en vertu d’un texte ne lui permettait de constituer cette volonté en un titre juridique. Il y a alors ici non seulement irrégularité de la voie de fait par manque de procédure mais s’y ajoutel’absence même de droit sur le plan

du fond. A l’exception de la définition épique du professeur René CHAPUS, on peut dire que cette succession de définitions souvent très proches, contient presque les mêmes composants de la notion de voie de fait : une irrégularité grave, manifeste, commise par

l’administration et dépourvue de tout lien avec les pouvoirs reconnus à l’administration et

qui porte atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique.

La doctrine libanaise à son tour définit la voie de fait à plusieurs reprises, et les définitions

qu’elle donne sont similaires et proches.

Jean BAZ75 donne à la voie de fait une définition classique vague mais pas suffisante : « il y a voie de fait lorsque l’administration commet une irrégularité grave de la loi, accompagnée d’incompétence proche de l’usurpation du pouvoir ».

On voit nettement que cette définition ne détermine pas le domaine où cette irrégularité et cette incompétence ou usurpation du pouvoir sont intervenus, à savoir la propriété privée et les libertés individuelles.

74

HAURIOU M, Précis de droit administratif et de droit public, 11ème édition, Sirey, Paris 1927, p.30

75

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Dans une définition plus précise et complète de M. Edward EID considère qu’il y a voie

de fait « lorsque l’administration se met hors du pouvoir qui lui est reconnu et fait un acte

matériel comportant un vice grave résultant d’irrégularités grossières des textes de la loi

et des règlements ou des principes généraux du droit, rendant cet acte hors de

l’application de la fonction administrative, et qui constitue une atteinte aux droits fondamentaux des individus relatifs à leurs propriétés privées et leurs libertés publiques76».

M. Saad-Allah EL-KHOURY77 donne une définition très proche de celle de M. Jean BAZ : « la voie de fait est lorsque l’administration commet une irrégularité grave de la loi

accompagnée d’une incompétence claire de façon que son agissement ne peut être relié à aucun fondement légal, ce qui rend cet acte dépourvu de toute qualité administrative et le transforme en acte personnel ». Dans cette définition, le comportement matériel de

l’administration, ainsi que l’atteinte à la propriété privée et aux libertés individuelles font

défaut.

M. Mohammad ABDEL WAHAB78 définit en revanche la voie de fait comme « un acte administratif exécutoire et matériel où une activité administrative exécutoire qui est

contraire à la loi d’une façon grave et grossière non une simple contrariété à la loi, et qui

porte atteinte à la propriété privée ou à une liberté de celle des libertés individuelles ».

Bien qu’elle soit complexe, cette définition englobe en principe tous les caractères de la voie de fait, elle est générale et comporte les deux piliers de la théorie de la voie de fait, à savoir : l’atteinte à la propriété privée et l’atteinte à une liberté individuelle

Ceci dit on peut après cette succession de définitions doctrinales françaises et libanaises, proposer la définition suivante : la voie de fait existe, lorsque l’administration commet par

un agissement matériel, une irrégularité flagrante contraire aux lois, règlements et principes généraux de droit, étrange à tout pouvoir lui appartenant et qui affecte sévèrement un droit de propriété mobilier ou immobilier ou une liberté individuelle.

76

EID E, op. cit p.408

77

EL KHOURY S., op.cit p.79

78

67

Après avoir déterminé les différentes définitions doctrinales françaises et libanaises, il est opportun de voir les définitions jurisprudentielles des deux systèmes juridiques.