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Le contentieux des décisions relatives à la nationalité

ET L’EMPRISE IRRÉGULIÈRE

Section 3 : Le juge judiciaire gardien de l’ état des personnes

2- Le contentieux des décisions relatives à la nationalité

Dans le domaine du contentieux de la nationalité, le juge administratif libanais déclare sa

compétence chaque fois qu’on est en présence d’un décret relatif à la question de

nationalité.

Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que « le conseil a affirmé dans plusieurs décisions que sa compétence dans les litiges relatifs à la nationalité se limite aux actes administratifs qui prennent la forme de décret ou de décision explicite ou implicite qui concernent

l’attribution de la nationalité et le retrait de la nationalité ou celle qui rendent la nationalité caduque. Ces dits litiges sortent d’une façon absolue de la compétence du juge judiciaire qui n’a aucun pouvoir de contrôle sur les agissements et les actes du pouvoir exécutif

conformément à une règle constitutionnelle qu’est la règle de la séparation des

pouvoirs »259. Donc le Conseil d’Etat libanais pose le principe suivant : à chaque fois qu’il

y a un décret qui est en relation avec une question de nationalité, ou même pas nécessairement un décret, une décision du pouvoir exécutif, explicite ou implicite, dans le même domaine, la compétence du juge administratif est exclusive.

En revanche, en dehors de ces cas précités le Conseil d’Etat décline sa compétence et

le juge judiciaire retrouve sa compétence en la matière260. C’est ainsi que le Conseil

259

CEL, 11 janvier 2004, ASMAR, RJA n20 p.768 et CEL, 10 mai 2005, FARHA, RJA n21 p.796 et CEL, 29 mai 1995, HABLISS, RJA n9 p.427

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d’Etat déclare son incompétence lorsque le litige en cause va provoquer un changement dans les écritures du registre de l’état civil.

Dans un arrêt inédit, rendu le 12 juin 2008 « HAIDAR » où il s’agissait d’un requérant qui

avait présenté une demande, auprès du ministère de l’intérieur, tendant à l’exécution d’un

décret n5247 du 20 juin 1994 qui lui avait octroyé la nationalité libanaise et par conséquent de l’intégrer dans cette qualité dans le registre de l’état civil, le Conseil déclare alors son incompétence et décide que « les questions relatives à l’inscription les écritures dans le registre d’état des personnes ou le registre d’état civil, comme en

l’occurrence, sont des éléments d’état de personne propres aux individus qui rentrent en cette qualité dans la compétence des juridictions judiciaires ».

Dans une autre affaire, il s’agissait d’un refus de délivrance de document par le directeur général de l’état des personnes au requérant qui atteste sa nationalité libanaise. Le conseil décide que « … l’acte attaqué est pris par le directeur général de l’état des

personnes dans le champ d’application de l’article 21 du décret n8837 du 25 janvier 1932, et qui dispose que les juridictions civiles restent compétentes pour connaitre de la nationalité de la personne dont (l’administration) a marqué son état civil … que ledit acte

n’a pas la qualité d’un acte détachable261… ».

Concernant les décisions implicites de rejet relatives aux demandes de nationalité, la jurisprudence libanaise a connu une évolution récente. C’est ainsi que dans une affaire rendue le 25 mars 1982, un requérant a lié le contentieux avec le président de la république en lui demandant d’élaborer un décret pour considérer comme libanais, vu le

silence de l’administration, le requérant attaque devant le conseil la décision implicite en demandant son annulation et par conséquent la reconnaissance de son droit d’être

considéré libanais.

Le Conseil d’Etat répond en jugeant « que la présente requête a comme objet la reprise

de la nationalité libanaise, que le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour connaître de ces types de litiges262… ».

261

CEL, 25 mars 1982, ACHKOUTI, RJA n1 p.164

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Le Conseil d’Etat revient sur cette jurisprudence et considère que « la jurisprudence du

Conseil d’Etat établi et considère que sa compétence en matière de litiges relatifs aux questions de nationalité recouvrant les actes administratifs qui prend la forme des décrets et décision explicite et implicite relatifs à la nationalité comme les décrets de nationalité et

les droits de retrait de nationalité… où ces litiges sortent entièrement de la compétence

du juge judiciaire qui ne dispose aucun pouvoir de contrôle sur les actes émanant du pouvoir exécutif 263».

Enfin, mais surtout, il faut mentionner une affaire importante portée devant le Conseil

d’Etat en matière de nationalité où il s’agissait d’un recours en annulation contre le décret

de nationalité n5247/94 du 20 juin 1994 et qui a donné la nationalité à des milliers de personnes et a changé dans plusieurs régions la démographie sociale et politique. Le

premier motif exposé par l’Etat, était l’incompétence du Conseil d’Etat, puisque le décret

en cause était un acte de gouvernement échappant ainsi à la compétence du juge administratif. Le Conseil d’Etat après avoir rejeté la qualification d’acte de gouvernement

affirme que « la jurisprudence est stable à considérer que les affaires relatives à la nationalité ne rentrent pas dans la catégorie des actes de gouvernement, mais la compétence en la matière serait partagée entre les deux types de juridiction : judiciaire et administrative. Le juge judiciaire est seul compétent pour connaître les litiges relatifs à la

nationalité par application de l’article 9 de la décision n15 du 19 janvier 1925, tandis que la légalité des décrets qui permettent ou rejettent ou retirent la nationalité octroyée à une personne est soumise à la compétence du Conseil d’Etat264».

Au fond, le Conseil d’Etat statue non en rejetant la requête ni en annulant le décret

attaqué mais en renvoyant l’affaire à l’administration concernée pour étudier à nouveau les dossiers et par conséquent réviser le décret dans le but de retirer les décisions qui ont

octroyé la nationalité à des personnes qui n’y avaient pas droit ou à celles qui l’ont obtenu par fraude ou par faux et ceci sans porter atteinte aux droits des individus qui ont eu la nationalité conformément à la loi. Cet arrêt connu sous le nom « d’arrêt-renvoi » a

provoqué l’élaboration des décrets retirant à des personnes leur nationalité qui l’ont

263

CEL, 10 mai 2005, FARHA, RJA n21 p.796

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acquise contrairement aux conditions prévues par la loi et les intéressés ne cessent

d’attaquer ces décrets devant le Conseil d’Etat qui n’hésite pas à annuler les décrets en

cas d’illégalité. Ainsi le Conseil d’Etat dans un arrêt récent et inédit rendu le 4 octobre 2012265, annule le décret qui a retiré la nationalité au requérant qui a été naturalisé par le décret n5247/1914 en déclarant que « le retrait de la nationalité du requérant constitue une atteinte au principe général qui prohibe toute atteinte aux situations légales créés par les décisions administratives individuelles et à la stabilité des situations juridiques des

intéressés… ».

Si le principe sacralisé du « juge judiciaire gardien de la liberté individuelle et de la propriété privée » a donné une grande marge de compétence au juge judiciaire dans des

matières liées à la personne de l’individu, l’état actuel jurisprudentiel et législatif va dans le sens d’un partage de certaines de ces compétences avec le juge administratif qui a fait la preuve de son indépendance et de sa capacité à protéger les libertés individuelles

et d’ailleurs il n’est pas un moins bon gardien que le juge judiciaire. Au Liban, bien que la jurisprudence se trouve dans un état statu quo en la matière, il serait opportun d’octroyer

dans ce domaine un rôle beaucoup plus large au juge administratif.

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TITRE 2 : L’ECLIPSE DU PRINCIPE RECONNAISSANT AU

JUGE JUDICIAIRE LE STATUT DE GARDIEN DE LA