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La compétence du juge judiciaire comme conséquence directe de la voie de fait

ET L’EMPRISE IRRÉGULIÈRE

A- La compétence du juge judiciaire comme conséquence directe de la voie de fait

La compétence du juge judiciaire en cas de voie de fait est une compétence totale (1) et en principe exclusive (2).

94 1- La plénitude de compétence judiciaire

En premier lieu, la compétence totale signifie que le juge judiciaire est compétent pour statuer sur toutes les questions qui se posent devant lui ; en d’autres termes, il n’y a pas

lieu en cas de voie de fait de parler de question préjudicielle. La jurisprudence française a

connu une évolution par deux arrêts célèbres, à savoir l’arrêt « PERRIN » et l’arrêt

« BARINSTEIN156 ».

Il existe en effet des cas où le juge judiciaire a compétence pour interpréter ou même apprécier la légalité des actes administratifs. C’est la compétence par accessoire du juge

judiciaire en matière administrative157.

Les deux arrêts précités (PERRIN et BARINSTEIN) dérogent aux principes dégagés par la jurisprudence SEPTFONDS. En cas de voie de fait le juge judiciaire a pleine compétence pour apprécier la légalité de l’acte administratif. Selon la jurisprudence BARINSTEIN, « l’autorité judiciaire a qualité pour constater l’illégalité de l’acte constituant

la voie de fait et interpréter cet acte. L’acte est radicalement nul et le juge judiciaire peut

passer outre sans attendre une décision du juge administratif proclamant cette nullité 158».

En second lieu, la juridiction judiciaire jouit d’une compétence totale, en ce qui concerne

les conséquences pécuniaires résultant de l’atteinte grave de l’administration à la propriété privée ou aux libertés individuelles. D’ailleurs, l’indemnisation des dommages

causés par la voie de fait est complète et exclusive et elle comprend tous les dommages subis et certains reliés à un meuble ou immeuble, qu’il s’agisse de dommages matériels ou moraux, directs ou indirects159.

Comme son homologue libanaise, la jurisprudence française donne au juge judiciaire un véritable monopole en ce qui concerne la fixation des dommages-intérêts résultants des

156

TCF, 17 février 1947, Consorts PERRIN D.1947 p.135 et TCF, 30 octobre 1947 BARINSTEIN D.1947 p.477

157

TCF, 16 juin 1923, SEPTFONDS, S.1923-III-42 sur l’arrêt BARINSTEIN

158

RDP, 1948 Conclusions GERVAIS p.291

159

Cass lib, 3 juillet 1968, Municipalité CHOUWAIFAT rec. Baz n16 p.310 et Cass. lib 29 avril 1970, BACHIR, rec. Baz n18 p.223 et Cass lib, 10 juillet 2008 JOHA et amis revue ADEL 2009 p.1652

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effets dommageables de la voie de fait, et cette jurisprudence est constante en ce sens160.

En outre, la jurisprudence considère que le juge judiciaire peut condamner

l’administration au paiement d’une « indemnité compensatrice du préjudice » sans être liée par les règles spéciales de fond ou de procédure « édictées par la loi pour la

détermination du montant de l’indemnité161» et par conséquent l’autorité judiciaire est

compétente pour réparer intégralement l’ensemble du préjudice, « y compris la fraction de celui-ci qui découle de fautes de services accessoires à la voie de fait 162».

La Cour de Cassation libanaise juge également que les tribunaux judiciaires peuvent, en

cas d’appréciation des dommages subis, appliquer les règles du droit commun et en

l’occurrence l’article 122 du code civil, sans se référer aux lois spéciales, comme les lois

d’expropriation et les lois de réquisitions163 et il y a en la matière une plénitude de compétence qui couvre même les intérêts moratoires demandé par le requérant164.

En troisième lieu, les tribunaux judiciaires peuvent prendre toute mesure susceptible de faire disparaitre les conséquences de la voie de fait, comme faire cesser la voie de fait, ordonner la démolition et la restitution ou la remise en état165.

160

CEF, 20 novembre 1974 Dame MANROT LE GOARNIC, rec. p.572 et CEF, 20 mars 1985, LELEU RDP 1985 p.1407 et Cass. 1ère civile, 12 juin 1990, Bull. civ. I n163

161

CEF, 30 juillet 1949, Dame de PALLE, rec. p.411

162

CEF, 18 octobre 1989, Dame BROUSSE, AJDA 1990 p.54 et s

163

Cass lib, 11février 2010, CASSENDRE 2010 p.2.3

164

Cass lib, 23février 2006, revue ADEL, 2007 p.1787 et Cass. Lib. 28 janvier 2010, revue ADEL 2010 p.1675

165

Pour une jurisprudence complète voir en France (TCF, 17 juin 1948, Manufacture de velours et peluches et société VELVETIA/Etat, rec. p.513. Cet arrêt concerne une expulsion et dans le même sens 5 mars 1962 AILLAUDE /dame MAGNON rec. p.923). Au niveau de la restitution des biens saisis TCF 4 juin 1940 SCHNEIDER, rec. p.248 et CEF

13 mars 1964 BAYON rec. p.860. OPHLM d’Ivry-sur-Seine, gazette du palais 1991 I-S. Pour une jurisprudence

récente sur le cas d’un ouvrage public mal planté voir TCF 6 mai 2002, BINNET c/EDF, rec. 2002 p.544 et AJDA

2002, p.1229. En ce qui concerne la démolition des ouvrages publics établis sur les propriétés privées voire TCF, 12 mai 1949, Epoux DARIES rec. p.599 et 22 janvier 1955 RIVAL c/ Etat rec. p.613 a contrario et comme application de l’adage « un ouvrage public mal planté ne se détruit pas » voir TCF, 6 février 1956, SAUVY, il faut fort signaler que cette jurisprudence a bien évolué depuis 1956. Désormais, le juge se réfère à une balance coûts-avantages, pour voir si cette balance d’intérêt peut justifier la destruction de l’ouvrage public, cf. dans le même sens CEF, 29 janvier 2003 (publié sur légifrance .gov.fr), Commune de CLAUS, il s’agissait dans cet arrêt d’un pylône qui avait été installé de

manière irrégulière. Le juge a considéré que la démolition pouvait être engagée sans condition, qu’il faut tout d’abord

vérifier si la destruction de l’ouvrage répond bien à un intérêt général, puis établir un bilan coûts-avantages. Mais

force est de signaler que les tentatives d’une évolution en la matière, est apparue dans l’arrêt du Conseil d’état, époux

DENARD, du 19 avril 1991, RFDA 1992 p.65, où le juge administratif a décidé qu’il y a absence d’erreur manifeste d’appréciation et le refus de destruction de l’ouvrage public qui était en l’espèce une base légale, ce qui signifiait a

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Ainsi le Conseil d’Etat libanais décide dans un arrêt rendu le 23 avril 2003166,

implicitement mais nécessairement que l’élimination de la voie de fait doit être effectuée

en vue de garantir les droits des ayants cause « considérant que, en ce qui concerne la

demande d’élimination de la voie de fait … cette question rentre dans la compétence des

juridictions judiciaires gardienne de la propriété individuelle (dont il revient de décider son

existence) et dans l’affirmative elles décident la garantie des droits des ayants cause ». Dans un autre arrêt du 3 novembre 2005, le Conseil d’Etat libanais juge que le juge

judiciaire dispose d’une compétence en cas de voie de fait, qui lui permet de déterminer

les conséquences de l’atteinte à la propriété individuelle, suivant les cas en cause167. A son tour, la Cour de Cassation libanaise a déclaré dans son arrêt rendu le 20 mai 2008168 que les juridictions judiciaires ont le droit d’ordonner l’expulsion de

l’administration d’une propriété qu’elle occupe en cas de voie de fait.

2- L’exclusivité de la compétence judiciaire

La seule autorité compétente pour tirer les conséquences de l’existence de la voie de fait

est la juridiction judiciaire. Cette exclusivité de compétence puise son origine dans le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives. Il n’y a aucun partage

de compétence des deux autorités. Ce principe remonte à une jurisprudence ancienne169 et le juge administratif ne cesse de déclarer son incompétence pour connaître une action en indemnité en cas de voie de fait170.

contrario que le juge avait pu décider d’une démolition en cas d’erreur manifeste d’appréciation. Egalement, dans l’arrêt BENET du 26 mai 2002, précité, il a été jugé que le juge judiciaire peut décider d’une démolition lorsque l’ouvrage est établi par une voie de fait. Cette évolution jurisprudentielle a été confirmé par un arrêt du Conseil d’état

rendu le 24 octobre 2011 (publié sur legifrance.gov.fr) où le juge administratif confirme l’annulation d’un permis de

construire d’un parc de stationnement et réclame la démolition des parties du bâtiment déjà réalisées

166

CEL, 23avril 2003, SALÈMEH, RJA n19, II, p.837

167

CEL, 4 octobre 2005, SAADE RJA n222,I, p.10

168

Cass. Lib. 20 mai 2008, CASSENDRE 2008, p.1117

169

TCF, 13 mars 1875 LACOMBE rec. p.896, 23 novembre 1894 rec. p.625 et CEF 18 mai1949 CARLIER précité et CEF, 30 juillet 1949, Dame DEPALLE précité rec. p.411

170

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Dans le même sens, le Conseil d’Etat libanais déclare qu’il n’a même pas compétence

pour renvoyer le litige devant les juridictions judiciaires et il n’a qu’à déclarer son incompétence lorsqu’il se trouve devant un cas de voie de fait171.

Cette compétence exclusive du juge judiciaire lui donne plein pouvoir en la matière.

Mais quelle que soit la plénitude du pouvoir judiciaire, la compétence du juge administratif

n’est pas exclue totalement en cas de voie de fait.