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Le juge administratif libanais, protecteur équivalent au juge judiciaire en matière de propriété privée et de liberté individuelle de propriété privée et de liberté individuelle

Il s’agit de montrer qu’il n’y a aucune origine légale ou juridique qui interdit au juge

administratif d’être gardien même naturel au droit de propriété privée et des libertés individuelles. Une comparaison avec l’état jurisprudentiel français est d’ailleurs essentielle. L’histoire en France, nous montre que le Conseil d’Etat et, par conséquent, le juge administratif, a été longtemps «suspecté de ne pas assurer une protection normale des droits et libertés des administrés ». Ceci s’explique par l’origine du Conseil d’Etat qui a succédé par delà la Révolution Française au Conseil du roi, et a été institué comme conseil au gouvernement plus que comme juridiction (constitution du 22 frimaire an VII,

13 décembre 1799, article 52). D’ailleurs dès sa création, il a été considéré « avec méfiance » dans sa fonction de juge administratif364. Donc, conçu à l’origine comme

conseil de l’empereur et conseil au gouvernement, le Conseil d’Etat français était vu

comme un juge de l’administration, proche de celle-ci plus qu’il est proche des individus. Par conséquent la protection des libertés et de la propriété contre les atteintes graves de cette même administration ne devait logiquement pas être octroyé au juge administratif,

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Certes, et comme le note le professeur CHAPUS, le Conseil d’Etat français « a retrouvé sous les régimes ultérieurs une importance qu’il a conservé de nos jours et qui fait de lui la première des grandes institutions administratives de la

république »… il se présente comme le Conseil le plus important et le plus prestigieux du gouvernement et comme la

juridiction administrative suprême, statuant souverainement sur les recours dont elle est saisie », CHAPUS R, op.cit, p.470

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premier conseiller de l’Etat; et c’est au juge judiciaire que devait revenir la garde de ces droits et libertés.

Au Liban, rien ne semble être commun avec l’histoire en France. Comme on l’a déjà noté

dans l’introduction de cette présente thèse, le Conseil d’Etat libanais, dès sa première

création en 1924, n’a jamais été conçu comme un conseiller ni de l’empire ottoman ni du mandat français, ni du gouvernement. Il a été toujours et jusqu’ à nos jours considéré comme une juridiction administrative dont ses membres sont des juges. En outre parfois ce conseil a fait partie de la Cour de Cassation en tant que chambre de cette cour pour statuer sur les litiges administratifs. Serait-il raisonnable alors de décider que le juge

administratif libanais ne peut pas être gardien d’une liberté ou d’un droit de propriété ? Et

dans l’affirmatif, sur quelle base ?

L’argument historique comme on vient de le voir ne se tient pas, puisque la méfiance

dans l’histoire du juge administratif envers la protection des droits et libertés et de la

propriété, est spécifique à la France et n’a rien à voir avec l’histoire au Liban. Existe-t-il alors une base légale justifiant cela ?

En France, le principe selon lequel le juge judiciaire est gardien de la liberté individuelle

est désormais constitutionnel. L’article 66 de la constitution française énonce que le

respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu est assuré dans les conditions prévues par la loi par l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle.

En outre, en ce qui concerne la propriété privée (toujours en droit français), le principe de

sa protection par le juge judiciaire dérive de la loi du 8 mars 1810 sur l’expropriation. Comme le note le professeur René CHAPUS365, il a été décidé que « conformément à la volonté personnelle de Napoléon, préoccupé d’atténuer l’impopularité des expropriations en aménageant l’intervention des juges qui étaient alors les plus naturellement portés à protéger les droits privés, la loi remettait aux tribunaux judiciaires la charge de prononcer

le transfert de droit et propriété … et d’évaluer les indemnités à payer aux ayants droits ». Ainsi si la protection des droits des expropriés est assurée par les tribunaux

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judiciaires, « il est normal que ces tribunaux soient également compétent en cas de dépossession privant le propriétaire de l’usage de son droit366 ».

Or aucun texte dans la constitution libanaise ne qualifie le juge judiciaire de gardien de la liberté individuelle. Le seul article relatif au pouvoir judiciaire, c’est l’article 20 de la

constitution qui décide que « le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d’un statut

établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les

conditions de l’inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l’exercice

de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du peuple libanais ».

Il résulte clairement de la lettre de cet article 20 qu’il n’y a aucune allusion explicite ou implicite à ce que le juge judiciaire soit gardien de la liberté individuelle ou de la propriété privée.

Certains auteurs libanais367 donnent comme exemple de l’application de ce principe l’ancien article 103 du code de procédure pénale libanais qui dispose que « la détention

d’une personne … plus que vingt quatre heures sans l’interroger et sans la soumettre devant le procureur général, sera considéré comme un agissement arbitraire et le

fonctionnaire sera responsable du crime de la détention de la liberté individuelle… ». On ne voit dans cet article aucun lien avec la règle du juge judiciaire gardien de la liberté individuelle. Ce texte parle strictement de la sanction du fonctionnaire et de la nature de

son crime en cas d’une détention arbitraire de l’inculpé. D’ailleurs, ledit texte n’a rien en commun avec l’article 136 du code de procédure pénale français qui précise que les tribunaux judiciaires sont « toujours exclusivement compétent pour statuer des instances

civiles, fondées sur des faits constitutifs d’atteinte à la liberté individuelle.

Il n’existe pas non plus dans la législation libanaise une loi semblable à la loi française du 8 mars 1810 dont a dérivé le principe du juge judiciaire gardien de la propriété privée.

L’histoire de l’expropriation et de la dépossession d’un droit au Liban, ne montre aucune

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Ibid. p.840

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volonté impériale, royale ou gouvernementale de remettre aux tribunaux judiciaires la charge de protéger la propriété privée. Donc, après cette comparaison entre les deux

systèmes juridiques français et libanais, on peut affirmer qu’il n’existe aucune origine

historique, ni une base légale ancienne ou contemporaine, qui justifie de déclarer le juge judiciaire gardien de la propriété privée et de la liberté individuelle.

On peut alors affirmer que ledit principe a été transposé de la France comme tel et

incorporé dans l’état du droit libanais. Certes, on peut comprendre aisément un transport

d’une jurisprudence, d’un texte législatif ou d’un règlement. Mais en revanche ce qu’on

peut mal concevoir et juger inacceptable, c’est la transposition de l’histoire d’un pays à un

autre et l’application des mêmes principes qui ont été les conséquences directes de cette

histoire. D’ailleurs, on peut copier un texte à la limite une jurisprudence, mais jamais une histoire d’un pays qui a été constitué par des faits et parfois par une révolution contre un

arbitraire de l’administration à un moment donné. En d’autres termes, le mimétisme

juridique ne peut s’appuyer sur des histoires nationales différentes. Le juge judiciaire

français n’a obtenu le privilège d’être gardien naturel de la liberté individuelle et de la

propriété privée que parce que l’histoire en France a voulu que le Conseil d’Etat soit le

conseil de l’empire et le conseiller de l’administration. Au Liban, cette réalité n’a jamais existé et l’histoire a fait du Conseil d’Etat dès sa création une vraie juridiction, constituée

par des vrais magistrats et non par des fonctionnaires de l’Etat.

Au niveau du statut des juges judiciaires et des juges administratifs, la comparaison ne fournit aucun élément de nature à justifier l’octroi de la protection des libertés individuelles et de la propriété privée au seul juge judiciaire.

Le tableau ci-dessous du statut des juges libanais en témoigne :

JUGE ADMINISTRATIF JUGE JUDICIAIRE Recrutement à travers

l’institut de la magistrature

Par un concours d’entrée à l’institut de la magistrature

Par un concours d’entrée à l’institut de la magistrature

159 Stage

Le juge administratif accomplit un stage pour

trois ans à l’école de la

magistrature

Le juge judiciaire accomplit un stage pour trois ans à

l’école de la magistrature

Serment

Après la déclaration

d’aptitude à la fin des trois

ans à l’institut de la magistrature, le juge administratif prête le serment suivant (article 12 du statut du Conseil

d’Etat) : « je jure au nom de

Dieu d’accomplir mes fonctions avec toute confiance et impartialité et à garder absolument le secret de délibération et à avoir dans toutes mes affaires le comportement

d’un juge intègre et noble ».

Après la déclaration

d’aptitude à la fin des trois

ans à l’institut de la magistrature, le juge judiciaire prête le serment suivant (article 46 du décret-loi n150 du 16 septembre 1983) : « je jure

au nom de Dieu d’accomplir mes fonctions judiciaires avec toute confiance et

impartialité et d’être

équitable parmi les gens, respectant de leurs droits et de garder le secret de délibération et à avoir dans toutes mes affaires le

comportement d’un juge

intègre et noble ».

Retraite

L’âge de retraite du juge

administratif est à soixante-huit ans

L’âge de retraite du juge

judiciaire est à soixante-huit ans

L’analyse de ce qui précède montre qu’il ne ressort du tableau comparatif aucune

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des libertés individuelles et de la propriété privée. Les deux juges judiciaire et administratif intégrant l’institut de la magistrature, effectuent leurs trois ans de stage, et prêtent presque le même serment (à quelques réserves prés, vu la nature de leurs fonctions respectives), prennent la retraite au même âge. Pourquoi alors la doctrine et la jurisprudence libanaise persistent à appliquer ce principe, en l’absence d’une histoire, d’une base légale etd’une différence statutaire qui justifieraient son application ?368

Au vu de ces remarques, la jurisprudence libanaise sur l’application dudit principe mérite

l’analyse.