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Le contentie ux des décisions relatives à l’état civil

ET L’EMPRISE IRRÉGULIÈRE

Section 3 : Le juge judiciaire gardien de l’ état des personnes

1- Le contentie ux des décisions relatives à l’état civil

On doit entendre par ce contentieux toutes les décisions qui rentrent dans l’état civil, à

l’exception de celles de la nationalité; il englobe les litiges relatifs au registre de l’état civil, au domicile, au changement de nom, et toutes les décisions émanant du directeur

général de l’état des personnes.

C’est ainsi, par une jurisprudence bien établie que le Conseil d’Etat libanais décide qu’il

revient aux seules juridictions civiles de connaître des litiges relatifs à la rectification des informations écrites dans l’état civil d’une personne244.

Le Conseil d’Etat libanais considère d’ailleurs qu’il existe en la matière un bloc de

compétence judiciaire, et qu’il lui serait interdit d’en connaître, même s’il s’agissait d’un

acte administratif proprement dit. Il a décidé ainsi que « … même s’il rentre dans le fond de la compétence du Conseil d’Etat l’appréciation de la légalité des décisions

administratives et par ailleurs l’annulation de celles contraires à la loi …, l’appréciation de la légalité d’une décision qui a barré le nom de la personne du registre de l’état civil et par

conséquent l’a annulé, aura pour effet indirectement de réintégrer à nouveau la personne

dans le registre de l’état civil … et c’est une question pour laquelle le législateur a expressément octroyé compétence au judiciaire245…. ».

244

CE, 2 juillet 1984, RJA n1 p.200

245

CEL, 21janvier 1988, SANHOURI, RJA n5 p.18 et CEL, 31 janvier 2002, HOSSEIN, RJA n16 p.416 et CEL, 12 juillet 2004, KOUSOUMJIAN, RJA n22 p.1082

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D’une manière générale, le Conseil d’Etat décline sa compétence, chaque fois qu’il y a

une décision du directeur général. Il décide que « le recours en annulation contre la décision du directeur général de l’état des personnes relatives (à la modification) des inscriptions existantes dans le registre de l’état civil sort de la compétence du Conseil

d’état246 ».

Mais dans le même domaine, il faut signaler deux arrêts importants, le premier arrêt c’est

celui rendu le 30 octobre1985 par lequel le Conseil d’Etat écarte la question de compétence et considère que le recours est devenu sans objet. Dans cet arrêt, et bien

que l’objet du recours était l’annulation du refus implicite du directeur général de l’état

des personnes, le Conseil d’Etat ordonne des mesures d’instruction, et demande le sort de l’investigation administrative déjà faite par l’administration au ministère de l’intérieur, et

par suite il examine tout le dossier et décide que « … mis à part tous les motifs de

compétence présentés par les parties, l’acceptation de la demande du requérant par l’administration par le biais d’une décision du directeur général de l’état des personnes,

rend la présente action sans objet … 247». On peut reprocher à cet arrêt d’avoir statué au fond, alors qu’il fallait examiner la question de compétence de prime abord.

En effet, le Conseil d’Etat dans cet arrêt aurait dû décliner sa compétence suivant sa

jurisprudence constante, sans s’immiscer dans la question de savoir si la requête

s’avérait sans objet ou si l’investigation administrative s’était terminée ou non. De point de vue procédural, le Conseil n’avait pas l’option de dépasser la question de compétence. D’ailleurs cette dernière est d’ordre public et doit être examinée impérativement en premier lieu, même si la requête est devenue sans objet.

Dans un autre arrêt, beaucoup plus récent le Conseil d’Etat libanais fait un revirement

partiel en la matière et accepte le recours contre une décision du directeur général de

l’état des personnes. C’est l’arrêt rendu le 13 mai 2009248 dans l’espèce suivante : un avocat présente une demande au directeur général de l’état des personnes pour obtenir

un état civil personnel et familial pour son enfant adopté, ledit directeur refuse la

246

CEF, 9 juin 1987, BADOURA, RJA n4 p.176

247

CEL, 30 octobre 1985, TABBARA, RJA n1 p.240

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demande au motif que la loi n541 du 24 juillet 1996 organise les cas des enfants naturels et adultérins sans le cas des enfants adoptés. Le père forme alors un recours devant le Conseil d’Etat contre ladite décision. Le Conseil d’Etat libanais déclare sa compétence en

l’occurrence et s’écarte du bloc de compétence judiciaire en la matière. Il pose le principe des actes détachables des questions relatives à l’état civil, et des décisions du directeur général de l’état des personnes.

Vu l’importance de cet arrêt on peut citer littéralement ses considérants principaux : «… considérant que l’Etat demande le rejet de la requête au motif que le Conseil d’état est

incompétent dans tous les litiges relatifs à l’état des personnes… Considérant qu’il faut en premier lieu déterminer l’étendue de la compétence judiciaire en matière d’Etat des

personnes en s’appuyant sur les textes en vigueur…Considérant que l’article 21 du décret n8837 du 15 janvier 1933 prévoit que l’on ne peut rectifier une notification dans le

registre des personnes que par un jugement de la juridiction compétente…Considérant que l’article 86 du code de procédure civile donne au juge unique la compétence de

connaitre des actions d’état des personnes…Considérant que la jurisprudence est établie au niveau de l’incompétence du Conseil d’Etat en ce qui concerne la rectification des écritures de l’état civil…Considérant que si la rectification des mentions existantes

dans le registre de l’état civil ne peut être faite que par un jugement de la juridiction compétente qui est le juge unique civil, les litiges relatifs aux décisions émanant des autorités administratives responsables des statuts personnels, et qui ne concernent pas

le refus ou l’acceptation d’une rectification le registre de l’état civil, ne rentrent pas dans

les matières que l’article 21 précité a attribué à la compétence judiciaire…Considérant que la décision en cours ne concerne pas une rectification dans le registre de l’Etat civil…Considérant que la décision en cours est une décision administrative dont il revient

à l’autorité de justice compétente d’en connaitre la légalité qui serait le Conseil d’Etat et particulièrement parce qu’elle sort (la décision) du domaine reconnu aux juridictions

judiciaires en la matière…Considérant qu’il revient au Conseil d’Etat et non à la juridiction judiciaire de voir si l’autorité administrative s’est conformée ou non à la loi lorsqu’elle a pris la décision en cause…Considérant que dire autrement, cela rendrait les juridictions

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n’est pas relative à des questions de rectification du registre de l’état des

personnes…Considérant qu’il y a lieu à rejeter le motif d’incompétence du Conseil… ». En conséquence, le Conseil d’Etat examine la requête au fond et annule la décision du

directeur général de l’état des personnes.

Une analyse de cet arrêt novateur montre qu’il pose le principe selon lequel le juge judiciaire est exclusivement compétent lorsque le litige en cause concerne une rectification ou un changement dans le contenu du registre de l’état civil. En dehors de ce cas, les actes pris, même concernant l’état des personnes, constituent des actes détachables susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat. Manifestement, cet arrêt dépasse les principes législatifs et jurisprudentiels posés depuis longtemps en la matière. Limiter la compétence du juge judiciaire au seul cas de rectification contredit les textes législatifs expressément. En effet, l’article 86 précité du code de procédure civile précise

clairement que le juge unique civil est compétent pour toutes les actions reliées à l’état des personnes. Au regard de la clarté de ce texte, on est fondé à affirmer qu’il n’y a lieu à aucune interprétation. D’ailleurs, cet article 86 ne distinguera pas entre les litiges relatifs à la rectification dans le contenu du registre de l’état civil et les autres litiges. En outre et

plus surprenant, c’est que l’arrêt part de l’article 86 et se termine par une déclaration de

sa compétence en l’occurrence !!

Pourtant au niveau de la jurisprudence, les arrêts depuis les années soixante du siècle dernier jusqu'à présent249 considèrent qu’il existe un bloc de compétence en matière d’état de personnes. On peut comprendre le souci de cet arrêt de limiter au minimum la

compétence judiciaire à chaque fois qu’on est en présence d’un acte ou d’une décision

administrative. Mais nous pensons que lorsqu’un texte législatif est parfaitement clair comme dans le cas présent, la possibilité de le dépasser et de faire un revirement de jurisprudence n’existe pas. En d’autres termes, ce texte fait obstacle et fait écran à toute

initiative d’un revirement. Il faut alors dans ce cas, chercher la solution ailleurs et particulièrement dans la modification du texte législatif et pas dans les arrêts de la jurisprudence.

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Néanmoins, cet arrêt est resté isolé et le Conseil d’Etat après deux mois, le 14 juillet 2009250 revient sur ce revirement dans un considérant principal dans lequel il déclare que « …dans tous ces cas, la doctrine et la jurisprudence sont établies en la considération

que la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître des requêtes d’état

des personnes et tout ce qui en dérive comme décision, et n’est pas compétente pour

statuer sur les litiges naissant de l’activité du service public relatif à l’état des

personnes… ».

Cet arrêt revient à la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat dont la compétence reste fixée par les règles et textes posés par la législation toujours en vigueur.

Dans le même ordre d’idées, sont également de la compétence du Conseil d’Etat les

décisions du procureur général ordonnant l’élimination d’une écriture ou d’une mention existante dans le registre de l’état civil251. Ainsi l’exécution des décisions étrangères relatives à l’état des personnes sort de la compétence exclusive du juge judiciaire

conformément à l’article 86 du code de procédure civile252. Le Conseil d’Etat retient sa

compétence lorsque l’objet de la requête est de mettre en cause la responsabilité de l’Etat à cause de ses fonctionnaires chargés du service public relatif à l’état des personnes253. Le conseil recourt dans ce cas aux principes déjà dégagés par la jurisprudence en la matière (faute, dommage, et lien de causalité entre les deux).

Enfin, mais surtout, il faut souligner l’existence de deux types de litiges qui sont de

l’exclusivité libanaise et qui rentrent peut-on dire dans le « folklore » libanais. Le premier

type, c’est le changement de confession ou de religion. Vu sa nature confessionnelle, le Liban témoigne souvent des cas de changement de religion. En effet, certaines religions au Liban appliquent leur propre statut personnel dans les matières de l’état des personnes254. Pour échapper à certaines de ces règles, les individus choisissent de

250

CEL, 14 juillet 2009, VARTANE OUAKIANE, inédit

251

CEL, 4 novembre 1994, FARAH, RJA n16 p.167

252

CEL, 13 mai 1996, ZAGHRINI, RJA n10 p.627

253

CEL, 28 juin 2001, DANEDANE, RJA n16 p.868

254

La loi du 2 avril 1951 qui donne compétence aux juridictions confessionnelles pour statuer sur les questions de fiançailles et de mariage, de parenté et d’ adoption de pouvoir parental et de garde des enfants, d’élévation jusqu'à l’âge de majorité. La loi du 16 juillet 1962 relative aux juridictions chariite qui donne compétence de statuer sur les questions susmentionnées dans la loi du 2 avril 1951.

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changer leur confession et leur religion pour se trouver dans des conditions qui leur sont plus favorables.

Donc pour des raisons moins idéologiques que pragmatiques, des personnes décident de changer leur confession déjà inscrite dès leur naissance dans le registre d’état civil et

c’est à ce stade et en cas de refus que les litiges surviennent entre l’administration de l’état civil et les intéressés. Le Conseil d’Etat libanais est catégorique en la matière, sa jurisprudence est constante. Il considère que toute demande ou litige concernant un changement de confession ou de religion sort de la compétence du juge administratif et relève de la compétence exclusive du juge judiciaire255. Ainsi le Conseil d’Etat déclare

que « la question de la modification du registre de l’état civil du requérant et l’inscription de l’abandon de sa confession sans appartenir à une autre sort de la compétence de ce

conseil et rentre dans la compétence du judiciaire256 ».

L’autre type de litige, fréquent au Liban, c’est celui relatif au changement de domicile. A

première vue, la question ne paraît pas étrangère au droit français, où les litiges concernant le changement de domicile sont communs. Mais l’originalité au Liban réside dans le mobile du changement du domicile et qui est dans la plupart des cas, non pour des raisons pratiques (trajet par exemple) mais pour des raisons purement politiques ! En effet, à quelque mois des élections législatives ou municipales, un grand nombre de citoyens commence à présenter des demandes de changement de domicile, afin de pouvoir voter pour les candidats d’une circonscription ou d’une autre qui sont rattachés à tel ou tel parti politique. Mais quel que soit le but, le Conseil d’Etat libanais refuse de se reconnaitre compétence chaque fois qu’il y a litige relatif à un changement de domicile257. Dans un arrêt récent rendu le 9 juillet 2008 (inédit) le Conseil d’Etat confirme sa

jurisprudence traditionnelle en la matière en affirmant que « contrairement aux motifs exposés par le requérant, les modifications relatives au lieu de naissance, comme dans le cas présent258 sont semblables à celles relatives au nom, mariage et décès, et ce sont

255

CEL, 28 juin 2001, DANEDANE, précité et CEL 14 juillet 2009, précité

256

CEL, 19 février 2007, CHOUKAIR, RJA n23 p.645

257

CEL, 14 février 1967, rec. CHIDIAC p.95

258

Il s’agissait dans cet arrêt d’une personne qui demandait l’annulation des décisions du ministre de l’intérieur qui

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des informations écrites dans le registre de l’état civil et qui en cas de modification vont provoquer un changement dans le numéro du registre de l’état civil de la personne

concernée, … que le conseil n’est pas compétent pour connaître les litiges relatifs à l’état

des personnes… ».

Une autre catégorie de litiges se pose fréquemment devant le juge administratif en

matière d’état de personnes, c’est le cas des litiges relatifs à la nationalité.