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Une atteinte grave et manifestement illégale

CHAPITRE 1 : LE RÉFÉRÉ ADMINISTRATIF

C- Une atteinte grave et manifestement illégale

Une double condition doit exister dans la demande de référé, celle de gravité et

d’illégalité manifeste prévue par la loi. 1- La gravité de l’atteinte

Un certain degré de gravité de l’atteinte à une liberté doit figurer dans l’affaire soumise au juge des référés pour démontrer que l’exercice de cette liberté a été manifestement

altéré. Une atteinte même illégale ne suffit pas à mettre en œuvre l’article L521-2 du CJA.

Pour le juge des référés c’est au cas par cas. Il apprécie in concreto l’existence d’une

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CEF, ord. réf, 2 avril 2001, Ministre de l’intérieur/Consorts MARCEL, précité

287

CEF, 25 mars 2003, Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales/M et Mme.

SULAIMANOV, rec, p.146

288

CEF, sect., 28 février 2001, CASANOVA, RFDA, p.399

289

CEF, ord. réf, 24 février 2001, TIBERI, RFDA 2001 p.629 et CEF 11 janvier 2007, Mme. LEPAGE, rec, tables p.1013 et 1014

290

CEF, ord. réf, 16 septembre 2002, Société EURL « la cour des miracles », rec, p.314

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atteinte grave. Ainsi, la prise en compte des données de chaque espèce conduit le juge à reconnaître que la condition de gravité était remplie pour un refus de délivrance ou de

renouvellement d’un passeport 292 ou un refus de délivrer un récépissé de demande de statut de refugié293 ou de restituer un titre de séjour valide294 ».

En revanche, ne peut être qualifiée d’atteinte grave à une liberté, une atteinte partielle concernant l’activité d’un médecin295.

Egalement, il a été jugé qu’une décision préfectorale imposant le pays de destination d’un

ressortissant étranger sans avoir respecté la procédure contradictoire prévue par la loi ne porte pas une atteinte grave à une liberté dans la mesure où « l’atteinte à la liberté d’aller et de venir découlait du prononcé par le juge pénal de la peine d’interdiction du territoire,

laquelle emporte de plein droit la reconduite du condamné à la frontière et non de la

décision du préfet qui se bornait à renvoyer l’intéressé dans son pays d’origine à partir duquel il pouvait gagner d’autres destinations296 ». Il est clair de ce qui précède que le juge du référé-liberté ne qualifie pas automatiquement une atteinte de grave. Cette considération est casuistique et le juge administratif français reste prudent chaque fois

qu’il se trouve devant une atteinte à une liberté.

Certains juristes considèrent que « la position du juge administratif qui n’est pas d’ailleurs en contrariété avec le texte, sert à préserver l’institution du référé-liberté qui ne peut être employé pour protéger les libertés fondamentales de toute atteinte quelle que soit la gravité parce que cela conduit à rendre ce référé inapplicable, ineffectif et par trop gênant297 ». Tout en adhérant à cette opinion, on peut croire que le juge administratif doit en contrepartie adopter une position équilibrée lorsqu’il convient d’apprécier la gravité

d’une atteinte à une liberté publique, et qu’il doit être attentif dans « l’application et l’interprétation de la condition de gravité de l’atteinte298 ». Cela doit jouer dans les deux sens. En d’autres termes parallèlement à une interprétation restrictive d’une atteinte

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CEF, ord. réf, 9 janvier 2001, DEPERTHES n228928

293

CEF, ord réf, 12 novembre 2001, Ministre de l’intérieur/Mme. FARCHAUD, rec. CE tables

294

CEF, ord réf, 8 novembre 2001, KAIGISIZ, rec. p.545

295

Cass. civ, 11 décembre 1979, PREYVAL, JCP 1981 n19501

296

BACHELIER G, op cit. p.265

297

KERKATLY Y, Le juge administratif et les libertés publiques en droit libanais et français, thèse Grenoble 2013 p.203

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grave, une interprétation extensive est nécessaire aussi dans certains cas et si cet

équilibre d’interprétation fait défaut cela va conduire aussi inévitablement à « rendre le référé ineffectif ».

La gravité de l’atteinte doit, selon l’article L21-2 du CJA, être accompagnée d’une

illégalité manifeste.

2- Le caractère manifestement illégal de l’atteinte

Au regard du libellé de cette condition, l’illégalité n’est pas suffisante à elle seule pour

saisir le juge du référé-liberté. Cette atteinte même grave doit être manifestement illégale.

Cette exigence donne par ailleurs à l’administration une grande marge pour ne pas

satisfaire la condition d’illégalité manifeste, puisque la jurisprudence montre que cette

condition ne serait pas satisfaite « chaque fois que l’administration peut fournir un motif juridique soutenant sa position même si ce motif ne peut pas à lui seul justifier la prise de

la décision ou le comportement à l’origine de l’atteinte portée aux libertés

fondamentales299 ».

C’est ainsi qu’il n’y a pas illégalité manifeste pour une décision administrative interdisant

à titre permanent à une personne de participer à la direction ou à l’encadrement d’organes ou d’institutions hébergeant des mineurs en raison de témoignages répétés et d’éléments graves et concordants la mettant en cause pour des gestes « à caractère sexuels » à l’égard des mineurs placés sous son autorité même si la plainte a été classée sans suite par le procureur de la République du fait que l’infraction n’était pas

suffisamment caractérisée300. Egalement, l’illégalité est simple et non manifeste dans le

cas du choix fait par la chaîne « Canal Plus » d’organiser un débat télévisé entre deux candidats têtes de liste aux élections municipales à Paris à l’exclusion des autres et

notamment du maire sortant301. L’illégalité n’est pas non plus manifeste dans le cas de

l’éloignement d’une étrangère dès lors qu’au regard de son droit à mener une vie familiale

299

KERKATLY Y, op.cit, p.204

300

CEF, ord réf, 1 août 2001, Médiéval rec., table p.1127

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normale, il n’est pas justifié d’une atteinte manifestement disproportionnée au regard des buts en vue desquels la mesure contestée a été prise302.

En revanche, est manifeste l’illégalité de l’atteinte portée aux libertés fondamentales dans

le cas du refus de restituer son titre de séjour à un étranger303, ou de délivrer un récépissé à un demandeur d’asile territorial304.

Si les conditions du référé-liberté sont réunies, quels sont les pouvoirs du juge ?

II- Pouvoirs du juge de référé-liberté

Partant de la lettre du texte de l’article 521-2 du CJA, le juge administratif des référés peut édicter toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Le juge dispose donc d’un large pouvoir lui permettant de prendre n’importe quelle mesure sans aucune restriction pour sauvegarder un droit fondamental en cause. En d’autres

termes, il a non seulement le pouvoir de suspendre les effets de l’acte comme dans le

référé-suspension mais il peut ordonner en outre toute mesure de sauvegarde d’une liberté fondamentale.

La procédure même du référé-liberté renforce l’efficacité de l’institution. En effet, le juge

dispose d’un délai de quarante huit heures pour rendre le jugement. Ainsi la rapidité de la procédure la rend la plus accessible par les justiciables et par conséquent la plus efficace dans le domaine des référés. En outre, et dans le même ordre d’idées, les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif sont susceptibles d’appel et non de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat et ceci dans les quinze jours suivant leur édiction (article 523-1 du CJA). Les appels sont jugés dans le délai indicatif de quarante huit heures par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un Conseiller d’état délégué à cet effet. Même au niveau de l’appel devant le Conseil d’Etat, la

procédure de référé-liberté garde son efficacité par le biais de la rapidité du délai de

302

CEF, sect., 30 octobre 2001, Ministre de l’intérieur/Mme TLIBA, précité

303

CEF, ord réf, 8 novembre 2001, KAIGINZ, rec, p.545 304

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jugement devant ledit conseil. Il faut ainsi ajouter que le référé-liberté s’applique aussi bien à des agissements qu’à des décisions.

Enfin, et surtout, le Conseil d’Etat français, ne limite pas la procédure du référé-liberté au seul requérant lésé. Il avait admis que toute personne qui s’estime intéressée par ce procès puisse intervenir. C’est l’affaire dite « Mme. LEPAGE305» où il s’agissait de

l’élection présidentielle. La requérante demandait au Conseil d’Etat d’enjoindre au conseil

supérieur de l’audiovisuel d’édicter dans un délai de quarante huit heures à compter de la notification de l’ordonnance, une recommandation conforme au principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinions. Le Conseil d’Etat décide qu’il y a lieu d’admettre que la requérante avait intérêt à la suspension de la recommandation contestée. Cette efficacité de l’institution, ces pouvoirs larges du juge

des référés-libertés ont conduit la doctrine ainsi que la jurisprudence à mettre en cause la théorie toute entière dite de la voie de fait et par conséquent ont bouleversé la conception même du juge judiciaire gardien naturel des libertés fondamentales.

III- L’impact du référé-liberté sur la compétence naturelle du juge judiciaire en matière de liberté fondamentale

On rappelle par cet intitulé que le noyau dur du principe selon lequel le juge judiciaire gardien de la liberté individuelle et de la propriété privée est la voie de fait. Par conséquent tout affaiblissement de cette dernière, toute réduction de son champ

d’application affectera ipso facto ledit principe.

Partant de là, l’institution du référé-liberté a eu sans doute un effet direct sur la compétence traditionnelle du juge judiciaire en matière de voie de fait. Si cela a été

confirmé par la doctrine (A), la jurisprudence à son tour l’a progressivement affirmé (B).

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