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Une circulation orientée vers les éléments à voir

Plusieurs moyens permettaient d’orienter la circulation dans les sanctuaires. Le plus simple consistait en un chemin qui arpentait le sanctuaire depuis l’entrée jusqu’au temple, le long duquel des offrandes étaient exposées et mises en valeur.

Le cas le plus connu est celui de la voie sacrée de Delphes, qui serpentait de l’entrée au sud-est jusqu’à la terrasse du temple ; le long de chacune des portions de la voie ont été progressivement installées des offrandes de prestige, en particulier les trésors offerts par les différentes cités (fig. 20)1. Les délimitations se composaient du dallage et des élévations des édifices ou des offrandes disséminés de part et d’autre.

À Samos, à l’origine, l’entrée principale se trouvait au sud vers la mer, et une seule voie bordée d’offrandes menait au temple ; dans le courant du VIIe siècle une autre voie a été ouverte à l’intérieur du sanctuaire, par la porte nord2. Puis une dernière voie sacrée a été

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Guide de Delphes, p. 103-169 ; JACQUEMIN 1999, p. 32-33, 245-256.

2

KYRIELES, KIENAST, WEISSKAM 1985, en particulier p. 365-366 ; KIENAST 1992, p. 196-198 ; HERDA 1995, p. 133-139 (n. v.) ; GIANNISI 2006, p. 21. Voir l’exemple de Délos également : GIANNISI 2006, p. 33-37.

76 aménagée au VIe siècle, dans le prolongement de la voie sacrée menant de la ville à l’est au

sanctuaire pour conduire les visiteurs de l’entrée au temple d’Héra (fig. 21 et 22). Ces réaménagements modifièrent la circulation à l’intérieur de l’espace sacré et offrirent des axes de vision divers qui donnèrent différentes perspectives sur le sanctuaire et les temples, sur les offrandes qui le composaient : ces chemins étaient cependant tous orientés vers l’autel et le grand temple d’Héra, qui était au cœur du dispositif religieux. Parce qu’ils étaient bordés de constructions, ces voies incitaient les visiteurs à suivre des directions, mais elles ne les contraignaient pas complètement, parce qu’elles permettaient d’autres déplacements : ainsi à Samos, les pèlerins pouvaient se rendre à un portique édifié au VIIe siècle, qui se trouvait en retrait de la voie sud.

La disposition des offrandes, en très grand nombre le long des voies de circulation, guidait également les déambulations : si elles étaient offertes au dieu dans l’espace du sanctuaire, leur installation les donnait à voir aux pèlerins et devait susciter leur admiration, voire un esprit de compétition, en particulier entre citoyens d’une même cité1 dans des sanctuaires locaux et entre cités dans les grands sanctuaires panhelléniques. Nous ne savons pas toujours bien où et comment étaient disposées ces offrandes, sauf si l’installation est explicitement mentionnée par une inscription2, ou quand des bases ont été retrouvées in situ, ou que les trésors ont perduré. Les offrandes ne pouvaient pas être placées sans l’autorisation des prêtres du sanctuaire. Ainsi, à Loryma, un règlement fragmentaire du IIIe siècle, trouvé dans la Pérée de Rhodes précise :

μήτ[ε ἄλλους ἐσ-] φε[ρόντων ἄνευ] τ[οῦ ἱερέως.]

« ni d’autres [offrandes, i. e. ἀναθημάτων] sans l’accord du prêtre »3.

C’était en effet le personnel de culte qui décidait de l’endroit où les dons étaient exposés, pour les faire admirer par les visiteurs et ainsi mettre en valeur la puissance du dieu. Ainsi, dans le sanctuaire du Ptoion à Kastraki, la mise au jour de bases de trépieds indique un alignement des offrandes : elles formaient un encadrement de la voie qui conduisait le visiteur en direction de l’autel et du temple (fig. 23)4. Ces alignements d’offrandes constituaient autant

1

Voir les travaux de DUPLOUY 2006.

2

Voir IG, II², 450, b l. 11-12 : installation d’une statue en bronze sur l’agora partout πλὴν παρ’ Ἁρμόδιον καὶ Ἀριστογείτον[α], « sauf à côté des statues d’Harmodios et Aristogiton » [trad. GD] ; IG, II², 1009, l. 58 installation d’une image en bronze où le dédicant le souhaite πλὴ]ν οὗ οἱ νόμοι ἀπαγορεύουσιν, « sauf là où la loi l’interdit » ; idem IG, II², 1039, l. 39 restitué ; IG, II², 1011, l. 72 : érection là où il est approprié (ἐπιτήδειον εἶναι).

3

LSAM 74, l. 8-10 : IIIe siècle [trad. GD]. Voir BE, 1948, p. 183, no 172, l. 9sq. Interdiction : IG, II², 1177, l. 4-5.

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77 de points de fuite qui orientaient le regard vers les constructions essentielles du sanctuaire : l’autel et parfois le temple, mais ils avaient aussi pour fonction d’offrir à la vue de tous les dons faits par tout un chacun, sur lesquels nous reviendrons dans le chapitre 8.

Il existait des moyens utilisés temporairement pour diriger les flux de pèlerins : ce sont des barrières, dont les traces ont rarement été retrouvées ou identifiées comme telles. Ces barrières étaient constituées de matériaux qui n’ont pas résisté au temps, comme le bois, et il s’avère difficile d’en évaluer l’impact sur la vue : des barrières constituées de quelques planches arrêtent la circulation des gens, mais ne gênaient que partiellement le regard. Ainsi, à Thasos, l’organisation des bâtiments orientait la circulation du public dans le sanctuaire d’Héraclès, qui se situait sur une terrasse et dont l’entrée principale était placée du côté sud : large de 31,53 m, elle comprenait un perron de 6,63 m de large, encadré par deux portions d’escaliers de 12,25 et 12,65 m (cf. fig. 16) dont les degrés présentaient différents types de traces : outre des traces de graffiti, ont été mis au jour des trous d’implantation de stèles et des emplacements de bases, ces monuments ayant pour fonction de canaliser les déambulations. À cela s’ajoute la découverte de trous destinés à encastrer des tiges métalliques : elles étaient adaptées à une clôture légère de bois ou une barrière de cordes qui servait dans les deux cas de balustrade. L’entrée normale du sanctuaire utilisait le perron et se faisait à cet endroit par des propylées, vraisemblablement construits à l’époque hellénistique ; cependant lors des fêtes, l’affluence était telle que cette entrée ne suffisait plus, et les barrières qui fermaient l’accès au perron étaient enlevées, ce qui libérait l’accès par les escaliers monumentaux et ouvrait une nouvelle voie d’accès au sanctuaire1. On cherchait alors moins à guider la circulation qu’à accueillir le plus grand nombre de visiteurs possible : l’afflux des foules ne permettait sans doute pas à tous de bien voir le rituel. Comptait avant tout la présence à la cérémonie.

Dans les sanctuaires importants, et donc riches, les voies étaient bien dessinées, souvent dallées et avaient pour fonction de guider les visiteurs vers les parties du sanctuaire qui méritaient leurs regards et leur visite. Dans ces sanctuaires, les offrandes importantes par leur taille et leur nombre attiraient les regards puisqu’elles bordaient, parfois même sur une certaine profondeur le cheminement des pèlerins, et témoignaient des hommages à la divinité : les artefacts pouvaient devenir une façon de gérer la circulation des pèlerins à l’intérieur du sanctuaire.

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78 Cependant nombreux étaient les sanctuaires, dont l’aménagement était moins élaboré et qui ne comptaient sans doute que des chemins de terre, le tracé des chemins pouvant s’être dessiné avec le temps par le passage des foules. Il n’y avait sans doute pas non plus toujours de règle très précise pour organiser les dépôts d’offrandes, et les espaces laissés vacants donnaient une certaine liberté de déplacements : une certaine vacuité de l’espace pouvait aussi permettre d’avoir un point de vue assez large sur l’ensemble du sanctuaire.

Une autre manière d’orienter les cheminements était d’interdire l’accès de certaines portions d’espace à certaines catégories de visiteurs et de réserver l’accès total à ceux qui disposaient de ce droit.