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Des écrins architecturau

CONSACREES AUX DIEU

A. Des écrins architecturau

Certains bâtiments étaient construits de façon à mettre en valeur un objet qu’ils abritaient. Parmi les objets importants auxquels les Grecs étaient très attachés, se trouvaient les statues de divinités. Ces artefacts qu’ils fussent l’objet ou non d’un culte1, n’étaient pas disposés n’importe comment dans les espaces. Leur mise en espace était codifiée par des règlements religieux qui régissaient les espaces disponibles dans les sanctuaires, mais qui ne nous sont presque pas parvenus2. Les temples grecs n’étaient en effet pas indispensables au culte ; certains sanctuaires n’en comptaient pas, en particulier à l’époque archaïque. Les temples avaient généralement trois fonctions : abriter la statue cultuelle – une fonction courante –, abriter un lieu sacré, – ce que G. Roux appelle un temple-sanctuaire – ; ou abriter des offrandes faites aux divinités, ce sont alors des versions luxueuses des trésors3. Des statues, sans qu’elles fussent toujours l’objet de rituels, pouvaient être abritées, conservées ou exposées dans des bâtiments, dans lesquels elles étaient mises en scène comme dans des écrins : cette recherche dans la mise en espace servait de mise en valeur de la statue.

Certains édifices conservaient effectivement les offrandes faites aux divinités ; c’était selon la définition de S. Montel4, des constructions qui abritaient des objets et les protégeaient, mais qui avaient aussi pour fonction de présenter, de mettre en valeur une offrande.

C’est le cas à Cos selon le texte d’Hérondas5 : en remerciement de leur guérison, deux femmes offrirent un coq en sacrifice à Asclépios. À cette occasion, admirant les offrandes du

1

Pour le débat sur l’appellation statue de culte, voir la mise au point du chapitre 4 p. 149.

2

JACQUEMIN 1999, p. 103-105 ; MONTEL 2008a, p. 166.

3

ROUX 1984a ; 1984b ; ROLLEY 1999, p. 56.

4

MONTEL 2008a, p. 167. Idée présente chez RUDHARDT 2001, p. 183.

5

103 sanctuaire, elles purent voir la statue de culte, qui était mise en valeur dans un temple comme dans un écrin. En effet, certaines indications montrent que le décor du temple a été conçu pour s’organiser autour de la statue. Les deux compagnes ne mentionnent pas la statue d’Asclépios1, alors que le temple en comptait une : ni Hérondas2, ni Strabon3 ne la décrivent. Or, si le temple n’avait pas compté de statue, il est assuré que cela aurait été mentionné comme Pausanias peut le faire. On sait par l’archéologie que le temple d’Asclépios, datant en l’état actuel du début du IIIe siècle, possédait des statues d’Asclépios, d’Hygie et de Machaon, qui ont été retrouvées dans la cella4. Certes, ces trois divinités furent nommées parmi d’autres dans la prière que Cynno, l’une des deux femmes, prononce à l’entrée du sanctuaire5, mais aucun accent particulier n’y est porté.

Or, le genre littéraire de ce texte est particulier : c’est un mime, qui comprend une dimension d’imitation importante, qui utilise des images de la vie ordinaire sans action dramatique6 pour en tirer des effets comiques. Cherchant à découvrir dans la nature le trait qui sort de l’ordinaire pour le pousser à la limite sans dépasser la vraisemblance afin de s’en moquer7, il ne s’intéresse pas à la présence des statues de culte qui n’apporterait rien à sa démonstration 8. Les mots de Cynno ne servent qu’à railler une bigote attachée à tous les détails du sanctuaire, dont l’un, mentionné par Hérondas concerne la mise en scène à l’intérieur du temple : κἀνεῖθ’ ὁ παστός, « le tissu brodé déployé »9, dont l’utilisation est mal connue10. Cependant la présence de tentures pourrait servir à la mise en valeur de la statue du dieu. Ce procédé d’écrin révèlerait une présentation théâtralisée des statues à l’intérieur du temple : ces effets de décoration intérieure seront étudiés dans le chapitre suivant.

Cette utilisation du temple comme écrin de la statue du dieu est déjà en germe au Ve

siècle avec les statues chryséléphantines réalisées par Phidias. En effet, celui-ci avait reproduit exactement les dimensions de l’emplacement de la statue de Zeus qu’il édifia à Olympie dans son atelier11. Le temple spacieux laissait une cella relativement petite, encadrée

question de savoir si la scène a lieu à Cos, voir CUNNINGHAM 1966, p. 115-117, et la mise au point de SINEUX

2004, p. 36-39. PAUL 2013, p. 175, 182 le prend pour acquis.

1

Hérondas, Mimes, IV, 1-11. Pour HOLLINSHEAD 1999, p. 207, aucune statue n’est explicitement mentionnée comme la statue de culte, même si la première citée pourrait l’être.

2

La présence des statues de culte n’apporterait rien à sa critique envers une bigote, il n’en parle pas.

3

Strabon, XIV, 2, 19. PUCHNER 1993, p. 21-24.

4

HERZOG 1903, p. 5-6 ; SHERWIN-WHITE 1978, p. 342-345 ; BOSNAKIS 2006, p. 340-351, en particulier 345-346.

5

Hérondas, Mimes, IV, 1-11.

6

LALOY 1928, p. 15-16.

7Ibid

., p. 29-30.

8

SINEUX 2004, p. 39, arrive à la même conclusion sur la sélection opérée par Hérondas selon son projet littéraire.

9

Hérondas, Mines, IV, 55-56 [trad. GD]. VATIN 1970, p. 215-216 montre que la traduction de LALOY dans l’édition CUF est erronée.

10

Voir p. 139.

11

104 par deux colonnades. La statue de Zeus avait été prévue pour l’espace disponible, le temple ayant été construit quarante ans plus tôt1. La statue du dieu qui trônait au centre du temple, donnait par ses dimensions gigantesques une impression d’écrasement, que les sources rappellent dès l’époque de Strabon. Cependant, cet effet était voulu par Phidias pour traduire la puissance supposée de Zeus2. Cette statue fut ainsi créée en fonction de l’écrin qui devait l’abriter, dans le but de susciter chez les visiteurs une impression visuelle particulière.

Phidias tira profit des expérimentations précédentes pour la conception du Parthénon d’Athènes (fig. 40) : plus grand que le temple de Zeus à Olympie (30,88 sur 69,5 m contre 27,7 sur 64,1 m) avec 8 colonnes (au lieu de 6) plus fines, le temple d’Athéna répond par ses dimensions aux besoins d’un espace plus grand, apte à accueillir la statue chryséléphantine de la déesse. On ne sait pas, en effet, si la statue de Zeus à Olympie était antérieure ou non à la statue d’Athéna Parthénos. Les fouilles de l’atelier de Phidias à Olympie n’ont pas permis d’apporter de réponse3. D’autre part, le plan du Parthénon montre qu’il n’était pas une nouvelle construction, mais une transformation du plan et des matériaux du Pré-parthénon pour créer un espace intérieur adapté à la statue de Phidias. La plate-forme du Pré-parthénon fut élargie, en particulier au nord et à l’est, ce qui permit de gagner 7 m en largeur et 3 m en longueur (fig. 41)4. La réduction de la largeur de la colonnade extérieure a entraîné l’élargissement de la cella. Ces changements ont été opérés sans doute en présence de Phidias, ami de Périclès qui dirigeait le projet de l’Acropole et fit adopter le nouveau plan ; il s’agissait de créer un espace intérieur important, adapté à l’ampleur de la statue chryséléphantine, tout en ménageant l’impression que la déesse était confortablement installée dans un temple spacieux qui lui était dédié5. La colonnade en Π de la cella encadre la statue en la mettant en valeur d’une façon nouvelle par rapport à la double colonnade traditionnelle6. Le temple fut donc adapté au projet de statue de Phidias, dont il devint l’écrin. Le Parthénon était un temple-écrin, construit dans ce but de mise en valeur de la statue.

Ainsi, les temples pouvaient être des écrins pour des statues des divinités, créant un décor pensé pour donner aux visiteurs une impression visuelle plaisante. Dans la mesure où les temples pouvaient être fermés à certains moments pour protéger les offrandes conservées à l’intérieur, mais aussi pour créer une attente, cette fermeture jouait son rôle dans la découverte

1

Date de construction : 470-456. Voir BERVE et GRUBEN 1965, p. 123-126.

2

Strabon, VIII, 353 ; Pausanias, V, 11, 9. Voir BERVE et GRUBEN 1965, p. 126 ; EMERSON 2007, p. 57-60.

3

BUNGAARD 1976, p. 67-70 ; HOLTZMANN 2003, p. 110. Pour STEWART 1990, p. 151, la statue d’Athéna est plus tardive.

4

HILL 1952, p. 535-558 ; HOLTZMANN 2003, p. 114 ; GRECO 2010, p. 102. Voir KORRES 1994a ; 1994b, p. 46 ; 1994c, p. 56.

5

Début de la construction en 447. Voir BERVE et GRUBEN 1965, p. 175-181 ; EMERSON 2007, p. 83-86, 97.

6

105 visuelle de la statue et dans la vision que tout visiteur pouvait en avoir quand elle se trouvait offerte à la vue dans son écrin.

Parfois, ces écrins étaient multiples. On trouve en effet dans quelques cas plusieurs temples en l’honneur d’un dieu se juxtaposant côte à côte, ce qui peut sembler étrange. Or, ces édifices étaient utilisés à des fins différentes, dont les Grecs en connaissaient le sens. Ces temples étaient généralement assez différents dans leur composition. Prenons le cas de la cité de Poséidonia, qui comptait deux temples consacrés à Héra : un vieux temple avec une colonnade axiale, et un second avec une double colonnade intérieure (fig. 42). Le premier, datant du milieu du VIe siècle, possède un naos séparé en deux parties distinctes par sa

colonnade centrale, ce qui a imposé l’existence de deux entrées : cette disposition des lieux suggère l’existence d’un culte double. Cette colonnade axiale était un élément architectural archaïque, qui ne favorisait pas la mise en valeur de la statue de la déesse1. Au contraire, le second temple, datant du milieu du Ve siècle, était semblable au temple de Zeus à Olympie, il comptait deux rangées de colonnes dans la cella avec une double colonnade intérieure2. Les archéologues Berve et Gruben sont d’avis que ce temple devait remplacer le premier, mais comme la place ne manquait pas, les Poséidoniates ne se sentirent pas obligés de détruire l’ancien temple pour en construire un nouveau. G. Roux souligne au contraire que ces deux temples étaient en service en même temps, qu’ils avaient tous les deux pour fonction de mettre en valeur la beauté de la statue de la déesse. En effet, la double colonnade intérieure du nouveau temple créait un espace central destiné à présenter un objet exposé au fond3. Peut- être comme à Athènes, y avait-il une « statue de culte » conservée dans un vieux temple et une autre statue dans le nouveau où elle était exposée et rehaussée par le décor.

De même, le sanctuaire de Delphes offrait simultanément à la déesse Athéna trois temples, chacun ayant sa fonction propre. Le plus ancien abritait une statue archaïque en marbre ; la tholos servait de temple-trésor pour abriter des offrandes ; le temple de calcaire comportait une cella fermée seulement par une claire-voie, qui était probablement destinée à la ventilation probablement d’un foyer (fig. 43)4. La configuration est identique à Délos où les trois temples d’Apollon servaient d’écrins à des statues. En effet, un dispositif a été trouvé dans le troisième temple, construit par les Athéniens entre 421 et 415, typique des bases de statues chryséléphantines5. Les trois temples, qui servaient à conserver des offrandes tout en

1

BERVE et GRUBEN 1965, p. 208-210 ; GRECO, D’AMBROSIO et THEODORESCU 1996, p. 80-84 ; MERTENS 1993, p. 95-98. 2 BERVE et GRUBEN 1965, p. 213-215. 3 ROUX 1984a, p. 161. 4

ROUX 1965 ; 1984a, p. 161 ; Guide de Delphes, p. 56-71.

5

106 les exposant aux yeux des visiteurs, traduisaient les diverses dominations des cités sur l’île ainsi que les moments d’indépendance dont elle pouvait bénéficier : tel ou tel temple était ainsi privilégié.

La multiplication des espaces construits pour un même dieu conduisit à des spécialisations et une différenciation des bâtiments. La construction d’un nouvel édifice, plus adapté pour mettre en avant la puissance de la divinité par son installation dans un écrin, pouvait correspondre à un changement politique au sein de la cité ou à une emprise d’une cité sur un sanctuaire, mais offrait aussi aux visiteurs une impression visuelle exceptionnelle.

Les écrins architecturaux permettaient aux visiteurs d’admirer la statue de divinité, ainsi que des offrandes mises en valeur par l’architecture. Ils contribuaient à la belle vision que les pèlerins gardaient de leurs visites dans les sanctuaires ; les aménagements visaient à créer une atmosphère particulière, propre à faire sentir et voir le dieu dans toute sa puissance. Néanmoins, la fermeture de ces édifices pendant la nuit notamment, ou pour des périodes plus longues, limitait le temps de vision que les visiteurs pouvaient avoir des offrandes et des statues.