• Aucun résultat trouvé

L’organisation de la visibilité de la statue dans les temples : une visibilité permanente ?

CONSACRÉS AUX DIEU

A. L’organisation de la visibilité de la statue dans les temples : une visibilité permanente ?

Le plus souvent, les statues des dieux mentionnées par les sources littéraires et épigraphiques étaient visibles dans les temples, l’accès semble libre pour les populations. Ainsi, une prière pouvait être prononcée devant une statue de divinité comme le fit la nourrice d’un bébé particulièrement laid devant la statue d’Hélène à Sparte :

1

Voir BOURBON et MARCADÉ 1995 ; MORETTI 2012, p. 118.

2

D’ailleurs, certains temples ont pu être considérés comme des trésors, un édifice votif en l’honneur de la divinité : voir le cas du Parthénon d’Athènes : PREISSHOFEN 1984, p. 15-18 ; STEWART 1990, p. 152 ; BETTINETTI 2001, p. 8 ; en dernier lieu, HOLTZMANN 2003, p. 110.

3

152 ὅκως δὲ ἐνείκειε ἡ τροφός πρός τε τὤγαλμα ἱστα καί ἐλίσσετι τὴν θεὸν ἀπαλλάξαι τῆς δυσμορφίης τὸ παιδίον,

« Chaque fois qu’elle l’y avait portée, elle la présentait debout à la statue divine, priant la déesse de guérir l’enfant de sa laideur »1.

Le sanctuaire est un lieu privilégié de prière. En effet, une prière accomplie devant le dieu semblait être plus efficace qu’une prière en dehors de la vision de la divinité, cela poussait les visiteurs à s’approcher du dieu afin de donner plus de force à leur demande2.

Les sources mentionnent également des nombreuses visites de sanctuaires. Ces pèlerinages se faisaient à plus ou moins grande distance selon l’éloignement entre le sanctuaire et le lieu d’habitation de l’individu. Les voyageurs venaient parfois de loin : Parméniscos de Métaponte voyagea jusqu’à Délos εἰς τὸ Λητῷον, vers le sanctuaire de Léto. Lui qui avait perdu la faculté de rire après avoir consulté Trophonios éclata de rire en voyant la statue de la déesse3. D’où voyait-il cette statue ? La configuration du temple, datant du VIe

siècle (fig. 60), suggère que Parméniscos était entré dans le temple. En effet, si le temple actuel présente une cella avec un vestibule s’ouvrant au sud, ce ne serait qu’une modification datant de la fin de l’époque hellénistique qui a muré la porte à l’ouest ; peut-être y avait-il seulement une porte à l’ouest ou bien deux portes : une au sud et une à l’ouest. Les archéologues divergent sur les reconstitutions4. Néanmoins, il est à noter un détail architectural important : le côté droit du seuil des deux portes est usé, preuve de l’ouverture habituelle de ces battants5. Si l’entrée se faisait à l’ouest, chose surprenante par rapport au schéma classique d’un temple grec, toute vue de la statue depuis l’entrée était impossible, il était alors nécessaire d’entrer dans le temple pour voir la divinité. Les pèlerins semblent donc autorisés à pénétrer dans le temple pour admirer la statue du dieu.

De même, la présentation de nombre de descriptions de temples implique que Pausanias entrait dans les édifices, ce qui lui permettait de voir les statues et de les décrire ; s’il ne pouvait y entrer, du moins pouvait-il les voir par les portes ouvertes de la cella6. Toutefois, dans le sanctuaire de Dodone, l’étude de F. Quantin semble suggérer que dans le cas de ce sanctuaire reconstruit à la fin du IIIe siècle, l’alignement entre l’oikos de Zeus Naios

1

Hérodote, VI, 61. Voir également Iliade, VI, 380 ; 385 (prière de femmes troyennes dans le temple d’Athéna) ; Hérodote, I, 31 : la prêtresse d’Héra à Argos prie la déesse en faveur de ses fils Cléobis et Biton qui ont remplacé les bœufs pour l’amener à temps au sanctuaire ; Euripide, Andromaque, 1117.

2

Position opposée de GERNET et BOULANGER [1928] 1970, p. 195-196 ; AUBRIOT 1992, p. 87-98. Cela ne dit toutefois pas que toutes les prières s’accomplissaient devant les statues ou dans les temples. Lieu sacré propice à l’accomplissement et au succès des rites : RUDHARDT 2001, p. 181-182.

3

Démos de Délos, apud Athénée, XIV, 1. Voir le voyage de Lycinus jusqu’à Cnide : Lucien, Les amours, 13-17 ; Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXVI, 20.

4

Selon VALLOIS 1929, p. 213, l’entrée sud remplace l’entrée ouest. GALLETDE SANTERRE 1959, p. 41-43, 68-72 (orientation des portes liée à l’organisation du sanctuaire) ; BRUNEAU 1970, p. 208-212 ; 1987, p. 319-331 ; BRUNEAU et DUCAT 20054, p. 222-224.

5

GALLET DE SANTERRE 1959, p. 41-42.

6

153 et l’enceinte du péribole permettait peut-être de voir la statue de culte depuis l’extérieur du péribole1, encore fallait-il que les portes fussent ouvertes et que la statue fût alignée sur le deuxième entrecolonnement du portique d’entrée, distant d’une vingtaine de mètres.

Le plus souvent, les pèlerinages se faisaient sur de plus courtes distances. Hérondas en offre un exemple : à Cos2, deux femmes viennent remercier Asclépios pour une guérison. À cette occasion, elles admirent la statue de culte, même si celle-ci n’est pas mentionnée dans la description de la cella3. Le temple était ouvert, ce qui permettait aux deux amies d’admirer tout ce qu’il y avait à l’intérieur4

La divinité pouvait même parfois être totalement visible, rien n’en gênant la vue. Ainsi, Lucien mentionne l’Aphrodite de Cnide que les pèlerins pouvaient admirer dans son temple5 : la déesse se dressait au milieu du temple comme dans un écrin. Mais détail important : une ἀμφίθυρος, une porte des deux côtés, c’est-à-dire à l’avant et à l’arrière du temple, permettait de voir la déesse de face et de dos. Cette porte secondaire était contrôlée, car elle était fermée. Une κλειδοφύλαξ devait ouvrir la porte6 pour que le visiteur puisse accéder par ce côté.

D’après le texte de Lucien, on ne faisait pas le tour de la déesse, mais on pouvait faire le tour du temple par l’extérieur pour voir de la statue de dos. Cette mise en espace particulière permettait au visiteur de voir deux côtés de la statue, et sans doute d’admirer sa beauté, d’appuyer son invocation à la divinité sur une représentation qui se matérialisait devant ses yeux. Il devait néanmoins y exister des éléments architecturaux empêchant d’atteindre la statue, obligeant à faire le tour par l’extérieur. Cependant, ce temple n’ayant pas été identifié lors des fouilles du site, rien ne peut être précisé.

Toutefois, cette statue n’était visible dans le temple que dans la limite des horaires d’ouverture. En effet, c’est ce qu’évoque le texte d’Hérondas en ce qui concerne le temple d’Asclépios : les visiteurs pouvaient voir la statue dans le cadre de ces horaires. Encore faut-il percevoir l’amplitude de ces horaires pour comprendre la fréquence d’ouverture et par conséquent l’importance de la possibilité de voir la statue. Une inscription de l’Hécatompédon d’Athènes, très fragmentaire, contient deux décrets votés la même année par les Athéniens, 1 QUANTIN 2008, p. 20. 2 Voir chapitre 2, p. 102 3

Sur l’absence de mention de la statue de culte, car n’entrant pas dans le projet littéraire d’Hérondas et les découvertes des statues dans la celle, voir chapitre 2, p. 103.

4

Hérondas, Mimes, IV, 55-56 : ἡ θύρη γὰρ ὤικται κἀνεῖθ’ ὁ παστός, « la porte est ouverte, le tissu brodé est déployé » [trad. GD].

5

Lucien, Les amours, 13-14. Voir Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXVI, 21. SPIVEY 1996, chapitre 8 « Revealing Aphrodite ». Pour les détails archéologiques, voir chapitre 2, p. 122.

6

154 datés entre 508/507 et 485/484, voire 460/4591. Le second décret stipule qu’un trésorier (tamias) du sanctuaire doit chaque jour assurer une permanence sur place et que

τὰ ο ἰκέματα

[․․․․ το ι ℎεκατ]ομπέδοι ⋮ ἀνοίγεν ⋮ [τὸς] τ αμίας ⋮ μὲ ὄ- [λειζον τρὶς τ]ο μενὸ[ς] θ εᾶσθαι ⋮ τὰ[ς ℎέν]α ς ⋮ ἑμέρ ας 20 [τὰς πρὸ τε ς νο]μενία[ς καὶ τ]ε ι [δεκάτει κα]ὶ τε ι εἰ-

[κάδι ℎυπὲρ ℎέμ]ι συ ⋮ πα[ρ]ό ντα[ς·

« Les trésoriers devront ouvrir à la visite les locaux de l’hécatompédon au moins trois fois par mois : le premier jour avant la nouvelle lune ainsi que le dixième jour et le vingtième jour, en leur présence »2.

Il est difficile de savoir ce que sont les oikémata mentionnés. S. Montel propose d’y voir des locaux, sans doute semblables aux trésors archaïques, abritant des objets sacrés que le pèlerin pouvait contempler trois fois dans le mois. Elle se demande si les pèlerins pouvaient entrer pour voir, si la porte restait ouverte afin de permettre à ceux-ci d’apercevoir quelque chose3. B. Holtzmann voit le neutre τὸ ℎ εκατόμπ[εδ]ον comme un espace et non comme un bâtiment, qui serait au masculin4. Le mot ne fait vraisemblablement pas référence au temple. Néanmoins, cette inscription indique l’existence de prescriptions concernant l’ouverture des édifices, prescriptions qui devaient exister pour d’autres sanctuaires, comme l’indiquent quelques inscriptions5. Dans l’exemple cité, l’ouverture trois jours dans le mois est relativement faible, ce qui reviendrait à signifier une quasi-fermeture du sanctuaire ; mais cette restriction du calendrier pourrait être en lien direct avec la période de travaux sur l’Acropole, ce qui justifierait une ouverture peu importante, mais régulière, tous les dix jours, pour permettre les dévotions des Athéniens, sans compromettre les travaux et sans risquer la vie des pèlerins. L’inscription règlemente la vie quotidienne du sanctuaire à un moment à un moment où ce sanctuaire semble connaître une crise de croissance selon l’expression de B. Holtzmann6. Seuls les trésoriers en charge de l’ouverture et le personnel de culte avaient un large accès à la statue à l’intérieur du temple, en dehors des heures d’ouverture au public. Il faut néanmoins prendre en compte la fermeture des sanctuaires dans la possibilité de voir la statue de culte, les visiteurs étant contraints par les horaires d’ouverture et parfois par les travaux dans leur possibilité de voir la statue du dieu et de lui rendre hommage.

1

Voir NEMETH 1993 et la présentation des débats par HOLTZMAN 2003, p. 86.

2

Athènes, Musée épigraphique 6794 ; IG, I3, 4, l. 17-21, trad. HOLTZMANN 2003, p. 85. Voir NEMETH 1993, p. 76-81. 3 MONTEL 2008a, p. 167. 4 HOLTZMANN 2003, p. 86. 5

Par exemple : Polybe, XVI, 25, 7 (Attale à Athènes) ; LSAM 5, l. 23-24 ; 15, l. 42 ; 28, l. 9-11; IG, II², 1315, l.14-16 ; Syll² 365, l. 19-20 ; Syll3 694, 40 (Pergame) ; IMT Kaikos 818, l. 42-43 (Pergame) ; Teos 46, l. 9 ; OGI

222, 36 ; 332, 28 (Pergame) ; Milet 21, l. 7-8 ; Inschr von Magnesia 73b, l. 14-15; 79 + 80, l. 13-14 ; IMT Kyz Kapu Dağ 1439, l. 19-20 ; SEG 33, 679, l. 73 (Paros). ROBERT 1927, p. 117, n. 3 ; 1933b, p. 520 ; SOKOLOWSKI

1935, p. 387.

6

155 De même, certains sacrifices pouvaient avoir lieu dans le temple devant la statue de la divinité comme nous l’avons vu au chapitre 2 par plusieurs exemples1, ils permettaient aux fidèles d’entrer dans le temple et de voir au plus près la statue de culte.