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Des rituels visibles selon les catégories de personnes

CONSACRÉS AUX DIEU

B. Des rituels visibles selon les catégories de personnes

En effet, les personnes extérieures voyaient peu les rituels familiaux qui se déroulaient dans les maisons, même si elles étaient prévenues par des objets accrochés devant ou à la porte comme un rameau d’olivier ou un morceau de laine à Athènes lors d’une naissance1 ou un ardanion, un vase annonçant un décès2 ; les parents étaient plus à-même d’observer ces rituels par leur participation. Néanmoins, des nuances sont à apporter, puisque le degré de parenté entre en jeu.

Lors des rituels quotidiens autour du foyer et de l’autel, seuls les membres permanents de l’oikos étaient présents et pouvaient voir les libations sur le foyer par exemple, même si nous avons peu de sources sur le sujet3. Ainsi, le serviteur qui décrit les circonstances de la folie d’Héraclès dans la pièce éponyme d’Euripide mentionne les personnes présentes autour de l’autel de Zeus : Héraclès, ses fils, son père et Mégara. Il s’agit vraisemblablement de Zeus Herkeios, « de l’enclos », comme l’indique le traducteur L. Parmentier4. Cette épiclèse fait de Zeus un protecteur de la propriété de l’oikos5, puis par extension un protecteur du contenu l’oikos : la cour, la maison et la famille6.

Cependant, Isée mentionne lors d’un sacrifice offert par Kiron en l’honneur de Zeus Ktésios la présence de ses petits-enfants7. Zeus Ktésios est le dieu qui protège les acquisitions8, il est un symbole de santé et d’abondance1. Il s’agit vraisemblablement d’un

1

Hésychius, s. v. στέφανον ἐκφέρειν. GHERCHANOC 2012, p. 138.

2

Euripide, Alceste, 98-100 ; scholie à Euripide, Alceste, 98 ; Aristophane, Assemblée des femmes, 1033 ; Hésychius, s. v. ἀρδάνια ; Souda, s. v. ᾿Αρδάνιον.GARLAND 1985, p. 43 ; GHERCHANOC 2012, p. 140.

3

Voir en dernier lieu, MORGAN 2007b, p. 301-303.

4

C.U.F., n. 1 p. 56. Voir VIAN 1970, p. 516 ; BRUIT-ZAIDMAN et SCHMITT-PANTEL 19993, p. 64. Cf. Euripide,

Alexandre, frg. 38 ; Euripide, Les Troyennes, 16-17 : Poséidon nous apprend que Priam est égorgé sur les marches de l’autel de Zeus domestique : Ζηνὸς ῾Ερκείου.

5

Cf. Harpocration, s. v. ἕρκειος Ζεύς; Hésychius, s. v. ἑρκείου Διος ; Souda, s. v. ῾Ερκεῖος Ζεύς ; Dinarque, frg. 32, 2 ; Athénée, Les Deipnosophistes, II, 2, 2, 51 ; V, 15, 33-45; XI, 4 ; scholie à Iliade, XVI, 231-233. Le problème de ces sources est qu’elles font soit référence à l’Iliade comme Athénée, soit à la docimasie comme Dinarque ; nous ne savons donc pas dans quel cadre le culte avait lieu. La scholie à Platon, Euthydème, 302d parle d’oikos où Zeus Herkeios serait la sentinelle. Voir DA, s. v. domus, p. 344a (Paul MONCEAUX) ; NILSSON

1955, p. 111 ; VIAN 1970, p. 516 ; DE SCHUTTER 1987, p. 118-119.

6

Voir NILSSON 1954, p. 79 ; 1955, p. 112 ; VIAN 1970, p. 516 ; RE, s. v. Herkeios, col. 687 (O. JESSEN) :

metonymisch für ¸die ganze Familie’, « métonymie pour “toute la famille” » ; BRUIT ZAIDMAN 2005, p. 6-7. Voir PARKER 2005, p. 16-17.

7

Cf. Isée, VIII Sur la succession de Kiron, 15. Cf. Antiphon, I Accusation d’empoisonnement contre une belle- mère, 16.

8

184 sacrifice familial, uniquement devant les membres de la famille proche, car Kiron οὔτε δούλους προσῆγεν οὔτε ἐλευθέρους ὀθνείους, « n’acceptait ni esclaves, ni homme libre étranger à la famille »2 ; mais, ayant perdu ses fils, il conviait pour l’occasion ses petits- enfants par la fille qu’il a eu d’un premier mariage, dans un rite lié au patrimoine, et donc à l’héritage, les définissant ainsi comme héritier.

Pour les fêtes plus exceptionnelles, les parents invités étaient plus nombreux. Nous nous appuierons dans ces remarques sur le livre récent de F. Gherchanoc, L’oikos en fête, dont nous résumerons les analyses, ne développant que les aspects qu’elle a peu abordés. Si, dans le cadre de la fête des Amphidromies, les invités étaient en petit nombre - F. Gherchanoc parle d’un « repas fermé »3, seuls les membres de la maisonnée assistaient à cette fête dans tout son déroulement -, les autres fêtes familiales comptaient de nombreux convives. Lors de la fête de la dekatè, les parents plus éloignés étaient présents, en particulier au repas4. Les deux branches de la famille étaient invitées afin de montrer la filiation à toute la famille, mais aussi aux amis. Ils pouvaient facilement voir les rituels célébrés en l’honneur du nouveau-né dans la maison, dont ils pourraient témoigner plus tard en cas de besoin5.

Pour les fêtes plus exceptionnelles, les parents invités étaient plus nombreux : les mariages étaient célébrés par un repas qui avait lieu le jour appelé gamos6. De nombreuses personnes étaient invitées parmi la famille et les proches, selon le terme employé par Démosthène (τοὺς ἀναγκαιοτάτους)7. Plutarque a abordé cette question dans ses Questions aux convives : le banquet de mariage est celui qui compte le plus de convives ; il s’interroge alors sur les raisons (περὶ τῆ<ς αἰτί>ας, δι’ ἣν πλεῖστοι τῶν ἄλλων ἐπὶ τὰ γαμικὰ δεῖπνα

ROSE 1957, p. 101 ; GERNET et BOULANGER 1970, p. 243 ; VIAN 1970, p. 517 ; JOST 1992b, p. 247; BRUIT

ZAIDMAN 2005, p. 8-9; LAMBRINOUDAKIS 2012, p. 20. Dans la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, les Danaïdes le définissent ainsi : Καὶ χρημέτων μὲν δόμων πορθουμένων, ἄτης γε μείζω καὶ μετεμπλῆσαι γόμον, γένοιτ’ ἄν ἂλλα κτησίου Δίος χάριν, « que des richesses soient arrachées à une maison, d’autres y peuvent rentrer, d’une valeur qui dépasse la perte, jusqu’à faire le plein de la cargaison, par la faveur de Zeus protecteur des biens » (443-445).

1

Voir VERNANT [1965], 1996, p. 142.

2

Isée, VIII Sur la succession de Kiron, 15. Toufefois, BOEDEKER 2008, p. 230-231 repousse ce point de vue en s’appuyant sur l’insistance d’Isée, destinée à convaincre les membres du jury de ce côté strictement familial.

3

GHERCHANOC 2012, p. 42-44. Voir WILGAUX 2009, p. 235-236. Les proches parents (οἱ προσήκοντες, οἰκείων) et les amis (φίλων) étaient absents, mais ils envoyaient des cadeaux : Souda, s. v. ᾿Αμφιδρόμια : δῶρα πέμπουσιν οἱ προσήκοντες ; Hésychius, s. v. ᾿Αμφιδρόμια : ὑπὸ τῶν οἰκείων καὶ φίλων δῶρα ἐπέμπετο ; Harpocration, s. v.

᾿Αμφιδρόμια : ὑπὸ τῶν οἰκείων καὶ φίλων πουλύποδας καὶ σηπίας ἐλάμβανον.

4

Cf. Isée, III La succession de Pyrrhos, 30, 70 ; Démosthène, XL Contre Boeotos II, 28, 59 ; Souda, s. v.

Δεκατεύειν : τὴν δεκάτην γὰρ εἱστίων ἐπὶ τοῖς τικτομένοις, καὶ ἐν αὐτῇ τὰ ὀνόματα ἐτίθεντο τοῖς παισίν ; s. v.

Δεκάτην ἑστιάσαι : τοὺς πρὸς πατρὸς καὶ μητρὸς οἰκείους καὶ τοὺς ἐγγυτάτω φίλους, « les proches du côté du père et du côté de la mère, ainsi que les amis les plus proches » [trad. GD].GHERCHANOC 2012, p. 44-47, 119- 121.

5

Isée, III La succession de Pyrrhos, 30, 70 ; Démosthène, XL Contre Boeotos II, 28, 59. Voir GHERCHANOC

2012, p. 44-47, 119-121.

6

Cf. Hésychius, s. v. γάμοι.

7

185 παραλαμβάνονται 666d). Comme souvent dans la rhétorique de Plutarque, les réponses sont multiples. Un convive présente l’argument suivant :

ἡ δ γαμήλιος τράπεζα κατήγορον ἔχει τὸν ὑμέναιον /μέγα βοῶντα καὶ τὴν δᾳδα καὶ τὸν αὐλόν, ἅ φησιν ῞Ομηρος (Σ 495) καὶ τὰς γυναῖκας ἱσταμένας ἐπὶ ταῖς θύραις θαυμάζειν καὶ θεᾶσθαι. Διὸ μηδενὸς ἀγνοοῦντος τὴν ὑποδοχὴν καὶ τὴν κλῆσιν, αἰσχυνόμενοι παραλιπεῖν πάντας τοὺς συνήθεις καὶ οἰκείους καὶ ἁμωσγέπως προσήκοντας αὑτοῖς παραλαμβάνουσιν.

« mais la table nuptiale trouve son dénonciateur dans l’hyménée – un dénonciateur qui se fait entendre ! –, ainsi que dans la torche et dans la flûte, et les femmes mêmes, au dire d’Homère, debout sur le pas des portes, admirent et contemplent le spectacle. Aussi, comme personne n’ignore cette fête et ces invitations, on fait venir, par crainte d’en omettre, la totalité de ses parents, de ses familiers et de ceux avec qui l’on a la moindre attention »1.

La première raison avancée d’une grande présence d’invités serait en liaison avec la publicité faite autour du mariage : chants d’hyménée, torche, flûte. En raison de toute cette publicité, tout le monde aurait été invité. Cet argument est peu convaincant : le projet de fête ne suffisait pas pour inviter tout le voisinage, toute la famille. Cet argument est d’autant plus spécieux que les chants et les torches se plaçaient principalement lors du cortège qui transférait la mariée vers son nouveau domicile, c’est-à-dire le soir, après le repas de noces précisément. Pendant le banquet, de la musique pouvait accompagner les convives. Cela rendait donc perceptible l’existence d’un mariage pour le voisinage, tout comme les préparatifs et la sociabilité de quartier avaient dû l’apprendre aux voisins. Cela montre bien que de l’époque archaïque à l’époque impériale, un mariage était un spectacle bruyant2, qui s’entendait de l’extérieur et dont se voyaient les préparatifs. Mais seuls les invités conviés dans la maison étaient à même de voir l’intégralité du rituel.

Un autre convive de Plutarque, Théon, explique le nombre des invités par l’alliance de deux familles :

ὃ δ τούτου μεῖζόν ἐστιν, οἲκων εἰς τὸ αὐτὸ συνι῀οντων δυοῖν ὅ τε λαμβάνων τοὺς τοῦ διδόντος οἰκείους καὶ φίλους ὅ τε διδοὺς τοὺς τοῦ λαμβάνοντος οἰόμενοι δεῖν φιλοφρονεῖσθαι διπλασιάζουσιν τὴν ὑποδοχήν,

« Et ce qui est encore plus important, c’est quand deux maisons s’unissent, celle qui accueille se fait un devoir de témoigner sa bienveillance aux amis et aux familiers de celle qui donne, et celle qui donne, à ceux de celle qui accueille ; ainsi doublent-elle la liste des convives »3.

Le repas de noces qui représente l’alliance de deux familles accueillait effectivement les membres de chacune d’elle, ce qui explique le nombre important d’invités aux festivités.

1

Plutarque, Questions aux convives, 666F-667A.

2

Voir MAGNIEN 1936, p. 118 qui s’appuie sur Musée, Héro et Cléandre, 272-281.

3

Plutarque, Questions aux convives, 667ab. Cf. Euangelus, Anakalyptoménée, apud Athénée, VI, 644d-f ; Lucien, Le banquet ou les Lapithes, 8.

186 Le banquet était généralement offert par le père de la mariée chez lui1, mais parfois le marié ou son père en offrait un second2. Le nombre important de convives permettait aux deux familles de montrer réciproquement leur rang, leur réseau d’influence qui s’affichait par le nombre de personnes présentes. Dans la mesure où le mariage se déroulait pour cette partie-là dans le cadre privé de la maison, l’affichage se faisait au sein des deux familles et de leur réseau relationnel, et non à destination de l’extérieur, qu’il s’agisse du quartier, voire de la cité : le mariage reste un acte privé dans lequel l’autorité publique n’intervient ni au moment de sa conclusion, ni pour sa rupture.

Parmi ces invités, se trouvaient des hommes comme des femmes, car, poursuit ce convive :

ἔτι πολλὰ τῶν γαμικῶν ἢ τὰ πλεῖστα δρᾶται διὰ γυναικῶν· ὅπου δ γυναῖκες πάρεισι, καὶ τοὺς ἄνδρας ἀναγκαῖόν ἐστι παραλαμβάνεσθαι,

« beaucoup d’obligations relatives aux noces, sinon la plupart d’entre elles, sont exécutées par des femmes ; et là où des femmes sont présentes, il faut bien que des maris soient conviés également »3.

En effet, les femmes étaient présentes, parfois séparées des hommes. Dans Iphigénie à Aulis, Clytemnestre discute avec Agamemnon des modalités du banquet nuptial de leur fille Iphigénie lors de son pseudo-mariage avec Achille, mobile utilisé pour faire venir Iphigénie sans qu’elle se doute de la véritable raison – qu’elle soit sacrifiée à Artémis dans le but d’apaiser la déesse et d’obtenir des vents favorables pour accéder aux rivages de Troie. Elle fait mention d’un δαίσεις τοὺς γάμους, « festin nuptial » et d’un θοίνην γυναιξὶ, « banquet pour les femmes »4, ce qui est l’indication d’une séparation du banquet entre hommes et femmes. De même, une attestation de Lucien témoigne de la séparation des tables des hommes et des femmes même si elles se trouvent dans la même pièce5. Dans les familles très aisées, possédant de grandes maisons, il était possible de faire deux repas séparés non pas dans un même espace, mais dans des pièces différentes, ce qui rendait partielle pour chacun des convives la vision de cette partie du rituel ; chaque convive voyait uniquement le banquet auquel il assistait, l’autre partie ne devait probablement pas être vue. Cependant, dans la majorité des cas, comme les maisons étaient modestes, surtout à l’époque archaïque, et un seul banquet devait réunir tous les invités, ce qui permettait à chacun d’observer à loisir le déroulement du rite.

1

VATIN 1970, p. 210.

2

ERDMANN [1934], 1979, p. 255-256, 261. Il semble qu’il y ait une variation selon les cités et les époques.

3

Plutarque, Questions aux convives, 667b.

4

Euripide, Iphigénie à Aulis, 720, 722.

5

Lucien, Le banquet ou les Lapithes, 8. Cf. Euangelus, Anakalyptoménée, apud Athénée, Deipnosophistes, XIV, 644d-f.

187 Toutefois, il existe quelques cas très rares de mariages qui ont intégré parmi les participants une grande partie de la cité : une mention épigraphique présente le cas assez exceptionnel d’un gigantesque banquet de noces réunissant [τοὺς π]ολίτ[α]ς [πάντας καὶ τοὺς ξένους], « tous les citoyens et les étrangers » de la cité de Téos au IIe siècle à l’occasion du

mariage de Souniadès et de Philippè, la fille de Mèdeios, deux citoyens éminents1. Dans ce cas, il est certain que le banquet débordait, dépassait le cadre de la maison, des tentes devaient être dressées à l’extérieur de la maison. De même, Antisthène à Syracuse a invité tous les citoyens au mariage de sa fille :

᾿Αντισθένης γοῦν ὁ ἐπικαλούμενος ῾Ρόδος γάμους ἐπιτελῶν τῆς θυγατρὸς εἱστίασε τοὺς πολίτας ἐπὶ τῶν στενωπῶν ὧν ᾤκουν ἕκαστοι,

« Antisthène, appelé Rhodos, comme il célébrait le mariage de sa fille, invita tous les citoyens à un banquet dans les rues étroites où ils résidaient »2.

Antisthène a annexé les rues de la cité à sa maison pour organiser le banquet de noces. Ce citoyen, dont la place est prépondérante au sein de la cité, et qui dispose d’une immense richesse, s’est approprié l’espace public le temps de ce rituel, mais hormis les participants les plus proches des mariés, des familles qui avaient la possibilité de voir de près l’ensemble du rituel, tous les autres étaient trop éloignés en raison de leur nombre, de leur dispersion dans les rues pour suivre directement du regard toutes les étapes de la cérémonie : pour ceux-ci, l’important était de participer.

Qu’il s’agisse de mariages réduits à quelques participants, ou dans lesquels toute la cité était invitée, la présence de ces invités remplissait une fonction importante : les participants devaient voir et servir de garants de l’événement. Plutarque fait part de la position d’Hécatée d’Abdère :

Λέγει δ τοὺς ἀγομένους γυναῖκας πολλοὺς παρακαλεῖν ἐπὶ τὴν ἑστίασιν, ἵνα πολλοὶ συνειδῶσι καὶ μαρτυρῶσιν ἐλευθέροις οὖσι καὶ παρ’ ἐλευθέρων γαμοῦσι. « il prétend que ceux qui prennent femme invitent au festin beaucoup de personnes afin que beaucoup puissent voir et témoignent qu’ils sont libres et qu’ils épousent une femme de condition libre »3.

Il s’agit de témoigner de la condition libre des époux, mais aussi d’être des garants de l’acte par leur mémoire. En effet, Isée montre que les invités du banquet servaient de témoins : dans La Succession de Kiron, les petits-fils font la preuve du mariage légitime de leurs parents par le fait que leur père a offert γάμους εἱστίασε καὶ ἐκάλεσε τρεῖς αὑτου φίλους

1

IG, XII, 5-2, 863, l. 6. VATIN 1970, p. 210.

2

Timée, FGrHist 566 F26 = Diodore de Sicile, XIII, 84, 1 [trad. BRODER 2008, p. 25 modifiée]. Un décret de Ténos du IIe siècle (IG, XII, 5-2, 863, l. 4-7) présente Médeios et son gendre Souniadès qui régalent tous les citoyens et les étrangers à l’occasion de la noce. Il n’est toutefois pas fait mention du cortège de la mariée vers sa nouvelle demeure. Nous ne savons pas précisément qui participait à ce transfert, voir VATIN 1970, p. 210.

3

188 μετὰ τῶν αὑτοῦ προσηκόντων, « un repas de noces et y invita trois de ses amis en même temps que ses proches »1. Les invités de ce repas servent de témoins de la légitimité du mariage.

Ce témoignage pouvait passer par le fait de voir la jeune épouse, présente parmi les femmes et voilée comme l’indique Lucien2. Et peut-être au moment particulier des anakalypteria. On ne sait pas bien quand cette étape avait lieu3, ni en quoi elle consistait exactement ; les Anakalypteria semblent comporter deux dimensions comme l’a étudié F. Gherchanoc4 : ce sont à la fois des objets (les cadeaux remis à la mariée5) et un geste ou un moment de dévoilement de la mariée6. Le moment et le sens de cette cérémonie font débat chez les historiens7 : certains chercheurs soutiennent que le dévoilement avait lieu à la fin du banquet chez le père de la mariée8, d’autres pensent qu’il avait lieu dans la chambre nuptiale9 et un troisième groupe pensent à un rite double10. Chacune de ces positions a un impact différent sur ce que les convives pouvaient voir lors du banquet : si la mariée était dévoilée lors du banquet, c’était probablement un moment important que les convives pouvaient observer et qui scellait l’union par un échange de regards comme l’a montré F. Gherchanoc11. En effet, les noms par lesquels cette étape est également désignée ὀπτήρια12, θεώρετρα13 orientent la compréhension de cette étape vers un aspect visuel. Ce sont les regards échangés qui fondent l’union et l’observation par les convives qui pourront ultérieurement témoigner. Si le dévoilement avait lieu dans la chambre nuptiale, les convives avaient vraisemblablement pu voir la mariée, du moins sa silhouette, mais sans véritablement la connaître visuellement, ils ne pouvaient guère lui accorder par la vue son nouveau statut d’épouse.

1

Isée, VIII Sur la Succession de Kiron, 18. Voir également Athénée, V, 185B.

2

Lucien, Le banquet ou les Lapithes, 8.

3

Voir OAKLEY 1982, p. 113.

4

GHERCHANOC 2006 ; 2012, p. 111-113.

5

Phérécyde de Syros, frg. 2 ; Lysias, frg. 331 ; Harpocration, Souda, Photius, s. v. ᾿Ανακαλυπτήρια ; Photius, Ηésychius, Moeris Atticus, s. v. ᾿Οπτήρια ; Pollux, II, 59 ; III, 36. GHERCHANOC 2012, p. 111.

6

Phérécyde de Syros, frg. 2 ; Hésychius, s. v. ᾿Ανακαλυπτήριον. Voir FERRARI 2002b, p. 186 ; GHERCHANOC

2012, p. 111.

7

FERRARI 2002b, n. 47.

8

Voir DA, s. v. Matrimonium, III, p. 1650 (M. COLLIGNON) ; DA, s. v. anakalypteria, I, p. 261 (E. CAILLEMER) ; RE, s. v. Anakalypteria, I, col. 2031-2032 (H. VON GAERTRINGEN) ; DEUBNER 1900, p. 149 ; ERDMAN [1934], 1979, p. 256 ; HALLERAN 1988, p. 127 ; SUTTON 1981, p. 192 ; REDFIELD 1982, p. 192 ; BRULÉ 1987, p. 141- 142 ; 2001a, p. 187 ; PATTERSON 1991, p. 68, n. 40 ; OAKLEY et SINOS 1993, p. 25 ; CAIRNS 1996, p. 80 ; FERRARI 2002b, p. 187.

9

Voir ROUSSEL 1940, p. 349 ; SISSA 1987, p. 119 ; BUXTON 1987, p. 167 ; HAGUE 1988, p. 35 ; REHM 1994, p. 141-142 ; GARLAND 1990, p. 221 ; VÉRILHAC et VIAL 1998, p. 312.

10

Voir REHM 1994, p. 142 (rite privé devant le mari et rite public associé aux épaulia). LLEWELLYN-JONES 2003, p. 230-238 voit même un triple rite.

11

GHERCHANOC 2006, p. 239-267.

12

Pollux, II, 59 ; III, 36. Voir Photius, Hésychius, Harporation, Moeris Atticus, Souda, s. v. ὀπτήρια ; Harpocration, s. v. ᾿Ανακαλυπτήρια.

13

189 Ainsi, plus on était un membre de la famille proche, plus on pouvait observer les rituels familiaux, qui étaient assez peu visibles de l’extérieur de la maison. Néanmoins, lorsque la famille s’ouvrait, la fête comptait de nombreuses personnes, des bruits, de la musique, qui rendaient perceptibles de l’extérieur ces rituels. D’ailleurs, certains moments des rituels familiaux empruntaient également l’espace civique.

II. Marquer la ville par les rituels familiaux

Les rituels familiaux marquaient l’espace de plusieurs façons. Nous prendrons en compte essentiellement l’impact visuel dans les centres urbains des cités ou dans les villages de la chôra. Les rituels qui avaient lieu dans des espaces éloignés, peu peuplés, ne devaient pas être vus par beaucoup de personnes en dehors des participants, même s’ils offraient vraisemblablement un aspect assez proche. Ces rituels pouvaient marquer la ville par des cortèges, de deux types : ceux qui avaient lieu lors des unions matrimoniales, et ceux qui défilaient lors des enterrements. Ce sont deux cortèges différents dans l’image qu’ils donnaient de la famille, mais tous deux empruntaient l’espace civique et cherchaient à marquer visuellement cet espace. Par ailleurs, les tombes des morts marquaient l’espace : elles offrirent une vision différente selon les époques.

Nous commencerons par montrer comment les cortèges matrimoniaux parcouraient les espaces de la ville : il s’agit pour les familles à la fois de se montrer aux dieux et d’affirmer leur puissance dans la cité ; au contraire, les cortèges funéraires ont pour fonction de rappeler le statut du mort dans la cité, de témoigner de la peine et du respect des vivants.