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CONSACRÉS AUX DIEU

B. Bancs et gradins

Cette révélation passait par la vue ; à cette fin, des aménagements particuliers étaient présents dans les bâtiments à usage rituel : des bancs ou des gradins1. Ces aménagements ont pour fonction de faciliter la vue. C’est le cas en particulier dans des édifices destinés aux cultes à mystères, comme au Télestérion d’Éleusis dans presque toutes les phases de l’édifice (cf. fig. 59)2. Le premier Télestérion, datant de la fin du VIIe ou du début du VIe siècle, ne

comportait aucune trace de gradins, mais, dès la seconde moitié du VIe siècle, le temple de

l’époque de Solon disparut au profit d’un bâtiment comprenant des gradins le long des murs, probablement destinés aux fidèles. Le Télestérion du deuxième quart du Ve siècle possédait huit rangs de gradins le long du bâtiment, pouvant accueillir environ 3 000 personnes3. Des bancs ont été découverts dans de nombreux sites : au Télestérion du Cabireion de Lemnos4 ; à Samothrace, le long des murs nord, est, et probablement sud de l’Anaktoron, dans le Hall des danseuses, et dans le Hiéron5. Ce schéma de gradin le long des murs reste exceptionnel pour l’architecture religieuse. En effet, ce type de plan est souvent considéré comme plus adapté à des réunions civiques6 comme le montrent les plans de bouleutérion du monde grec. La caractéristique de ce genre de plan en hémicycle est de donner à chacun la possibilité de voir ce qui se passait au centre.

Ce type de structure permettant la vue déborde parfois de l’édifice : des gradins ont été découverts à l’extérieur de bâtiments d’initiation. Ainsi, à Ilion, une tribune fut construite entre le temple A et l’autel romain7. On ne sait cependant pas bien comment ni où se

1

LEYPOLD 2008 ne mentionne pas ces bancs, elle ne s’intéresse qu’aux édifices contenant des banquettes servant pour les banquets dans les édifices sacrés.

2

MYLONAS 1961, fig. 4, no 29, 53 ; HELLMANN 2006, p. 241.

3

FOUCART 1900, p. 136 ; KERÉNYI 1967, p. 89.

4

LEVI 1966, p. 119-120 ; BESCHI 1998-1999, p. 11-25 ; HELLMANN 2006, p. 244-245.

5

Anaktoron : LEHMANN 1939, p. 138 ; 1955, p. 32; COLE 1975, p. 35-36 ; HELLMANN 2006, p. 242-244.

Temenos/Hall des danseuses : LEHMANN 1983, p. 65. Hiéron : LEHMAN 1951, p. 21 ; Samothrace, 3-1, p. 117, 124-126 ; LEHMANN 1969, p. 4, 21 ; 1998, p. 83; COLE 1975, p. 35-36, 56. Voir COLE 1989, p. 1574.

6

HELLMANN 2006, p. 241.

7

133 déroulaient les mystères d’Ilion, ni à quoi servaient ces gradins. Les cas de Thèbes et de Samothrace peuvent nous permettre de comprendre la fonction de cet élément.

À Samothrace, un des premiers éléments que voyait le futur initié en entrant dans le sanctuaire était une structure ronde de 9 m de diamètre entourée de 5 marches. Cet espace datant du Ve siècle était utilisé peut-être pour la thronosis1, un rituel au cours duquel l’initié

assis les yeux bandés était entouré par un groupe de danseurs accomplissant une danse extatique. Les marches étaient des gradins pour d’autres spectateurs2. Ces aménagements spatiaux offraient la possibilité d’assister au premier rituel qui était collectif.

Au Cabireion de Thèbes, l’interprétation est quelque peu différente. Dans la mesure où il n’existait pas de Télestérion fermé, l’initiation se déroulait à l’extérieur dans un amphithéâtre à ciel ouvert, autour des rochers qui émergeaient du sol. Cet espace perdura durant toute la période d’activité du sanctuaire et s’agrandit en se monumentalisant3. C’est ainsi qu’au IIIe siècle, un podium rectangulaire fut construit dans la cavea qui fut agrandie (cf.

no 5, fig. 18), ce qui permit probablement aux participants de mieux voir ce qui s’y déroulait4. Ce nouveau dispositif mettait au cœur du culte à mystères le sens de la vue chez les initiés.

Selon Mylonas, à Éleusis, toute l’initiation n’avait pas lieu dans le Télestérion : le drame sacré prenait place dans et hors du bâtiment autour des marques laissées par la présence de Déméter5. Des escaliers ou gradins existaient de part et d’autre du Télestérion au flanc de l’acropole, vers le temple L d’époque romaine au nord-ouest du Télestérion et au sud-ouest vers la terrasse supérieure. Ces aménagements sont tardifs : pas avant le IIIe siècle (fig. 54)6. Si Mylonas interprète la cour sud comme un θέατρον, place à partir de laquelle une foule pouvait suivre une performance, il pense cependant que les dromena qui se déroulaient hors du Télestérion devaient avoir lieu dans la partie nord, et non dans la partie sud du sanctuaire. Par ailleurs, l’escalier menant au temple L est trop étroit pour convenir à une foule. Ce lieu pourrait être utilisé pour une autre performance dont on ne sait rien7.

L’usage de gradins fait l’objet de débats dans d’autres situations : ainsi à Lykosoura, le sanctuaire de Despoina possède des gradins au sud du temple sur le versant nord de la colline Terzi8. Orlandos9, architecte sur le site, les a interprétés comme un élément de support vis-à- vis de la colline. Au contraire, G. A. Orlandini les analyse comme une « aire théâtrale » pour

1

NOCK 1941, p. 577-581.

2

MCCREDIE 1965, p. 122-124 ; 1968, p. 216-219, fig. 3, pl. 64-65 ; 1979, p. 1-44 ; CLINTON 2003, p. 64-65.

3

BURNS 1967, en particulier p. 273 ; SCHACHTER 1986, p. 73-88, 97 ; 2003, p. 116.

4

SCHACHTER 2003, p. 103.

5

MYLONAS 1961, p. 262-263.

6

KOUROUNIOTIS, TRAVLOS 1933-35, p. 91-98 ; MYLONAS 1961, p. 122-123, 137-143 ; BESCHI 1973, p. 295 ; LIPPOLIS 2006, p. 203-205, 218, fig. 76-77, 83. 7 MYLONAS 1961, p. 137-143 ; LIPPOLIS 2006, p. 220-221. 8 LEONARDOS 1896, p. 115-116 ; 1897, p. 28 ; JOST 1985,p. 176 ;2003, p. 149 ; 2008, p. 104-105. 9 ΟΡΛΑΝΔΟΥ 1967-1968, p. 44-45.

134 la télétè1. M. Jost a réfuté cette interprétation contestant que des gradins à ciel ouvert puissent être considérés comme appropriés pour les cérémonies ayant lieu dans le mégaron ; elle ne comprend pas les raisons qui remettent en cause l’identification traditionnelle de l’usage du mégaron. Elle ajoute que les gradins, non enclos, ne sont pas adaptés au caractère secret des rites d’initiation2. Quelques remarques s’imposent : d’abord, l’espace entre la fin des gradins et le bord du temple est très étroit – un mètre environ3 – et ne semble pas laisser assez de place pour une quelconque représentation (fig. 55) ; ensuite, le bois sacré semble faire une avancée depuis la colline (si le terrain est demeuré à l’identique depuis l’Antiquité) et ferme considérablement la vue (fig. 56) ; enfin, on peut se demander, si l’on suit la reconstitution de Kourouniotes, quel rôle tenait cet espace par rapport à l’autel entouré de murs devant la stoa (cf. fig. 28)4 ? Toutes ces remarques soulèvent un certain nombre de problèmes que l’on ne peut résoudre. M. Jost suggère plutôt que ces gradins correspondaient plutôt à un lieu de rassemblement des fidèles pour que le prêtre pût leur parler depuis la porte située sur le côté du temple5. Ils semblent toutefois être destinés à montrer quelque chose, vraisemblablement en groupe, mais la manière et le but nous échappent.

Les mystères d’Andania formeraient une exception dans le développement architectural des sanctuaires à mystères. En effet, aucun bâtiment particulier destiné à l’initiation n’a été identifié. Le règlement de réorganisation (IG V, 1, 1390) ne mentionne aucun édifice spécifique pour les mystères, mis à part un théâtre (l. 68), le naos des Grands dieux (l. 91), la source Hagna (l. 92), οἷκον τὸν ἐν τῶι ἱερῶι, « un édifice qui se situe dans le sanctuaire » (l. 113)6. Les mystères se déroulaient peut-être au théâtre selon N. Deshours7 : elle s’appuie sur le fait de montrer quelque chose comme à Thèbes. Or, le texte correspondant à une réorganisation de la fête, il ne mentionne que ce qui change : l’aspect administratif, l’organisation de la fête8 dans un but d’εὐκοσμία. Tout ce qui concerne l’initiation n’est pas le but du règlement et n’a sans doute pas connu de bouleversements. Par conséquent, la question de l’absence de bâtiment d’initiation spécifique reste ouverte, même si les fouilles de Valmin

1

ΚΑΒΒΑΔΙΑ 1890, p. 100 ; LEONARDOS 1896, p. 115 ; ΟΡΛΑΝΔΟΥ 1967-1968 p. 44, n. 1 ; DICKINS 1905-6, p. 109-136, fig. 3 ; ORLANDINI 1969-1970, p. 343-357, en particulier 354 ; LOUCAS-DURIE 1992, p. 87-88. Voir la position récente de MYLONOPOULOS 2006b, p. 95-96, selon laquelle le temple serait postérieur aux gradins ; à cet endroit se déroulait un drame sacré. Avis critique de JOST 2008, p. 104-105.

2

JOST 1985, p. 177. Le même argument serait valable à Pergame, où le sanctuaire de Déméter, qui remonte au

IVe siècle, a révélé des gradins sur un côté de la cour à péristyle du sanctuaire, sans qu’il y est pour autant de culte à mystères. Voir RADT 1999,p. 180-181, fig. 126-127 ; BOHTZ 1981, p. 57-58.

3 ORLANDINI 1969-1970, p. 353. 4 Kourouniotis 1912. 5 JOST 1985, p. 176 ; 2008, p. 104. 6 DESHOURS 2006, p. 88-89. 7 Ibid., p. 89. 8 LUPU 2005, p. 105-106.

135 ont trouvé près de l’église de Polichni – où a été découverte l’inscription – un grand bâtiment rectangulaire se terminant en demi-cercle1. Pouvait-il servir à l’initiation ?

L’importance des gradins dans certains édifices indique le fait qu’il y avait quelque chose à voir, que l’espace était organisé dans ce but : la présence de ces gradins démontre le caractère collectif de la vision du rituel, et que cette expérience était conditionnée par la lumière. Néanmoins, cette vue pouvait être facilitée ou rendue plus difficile par d’autres aménagements.

II. Cloisons, rideaux : des instruments permettant de voir ou de cacher

Si l’archéologie repère facilement les structures des bâtiments, dont il ne reste bien souvent que les fondations, elle ne permet pas toujours de comprendre l’agencement interne des bâtiments qui serait en matériaux plus légers, en particulier lors des fouilles les plus anciennes, moins attentives à certaines problématiques que les chantiers plus récents. Néanmoins, ces dispositifs se révèlent importants dans la compréhension de la perception visuelle des bâtiments consacrés aux dieux. Pour comprendre la manière dont ils modifiaient la vision des visiteurs, nous analyserons deux cas de séparation : les cloisons et les rideaux.