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Des structures emboîtées

CONSACREES AUX DIEU

C. Des structures emboîtées

Certaines structures étaient assez proches de structures dédoublées : elles comportaient deux espaces dans le même édifice, l’un étant emboîté dans l’autre. Un exemple de ce type d’architecture proviendrait d’une consultation directe d’un dieu dans le cadre du culte des morts de l’Achéron en Épire. Ce sanctuaire fournit une structure architecturale complexe. Les fouilles de S. Dakaris ont révélé une enceinte de 62,4 m sur 46,3 m, aux murs très épais, de près de 3,30 m de large. Le centre de l’édifice est une salle de 15 sur 4,25 m, qui est entourée de travées latérales, et sous laquelle se trouve une salle souterraine creusée dans le rocher. On y accédait par une série de corridors et de pièces, datant de la fin du IVe et du début du IIIe

siècle : utilisés pour la préparation des consultants, ils créaient un isolement des consultants. À la fin du IIIe siècle, une cour, des chambres et des dépôts furent ajoutés à l’ouest (fig. 47).

Les nouvelles constructions rendirent la salle oraculaire invisible puisqu’elle se situait désormais au cœur du bâtiment.

Une trouvaille intéressante dans la pièce centrale a donné lieu à des débats : on y a trouvé plusieurs roues en fer, un chaudron, des roues de treuil et de cabestan, éléments d’une machinerie servant à lever ou faire descendre des poids. S. Dakaris, le fouilleur, interprète ces objets comme une machinerie servant à faire descendre des apparitions du plafond de la salle. Les murs de 3,30 m de large devaient, selon lui, comporter des corridors secrets où circulaient

1

ARMPIS 1998, p. 169-170 ; SINEUX 2007, p. 164. Epidaure : plutôt nom d’abaton, mais mention également

d’enkometerion : IG, IV², 1, 127, l. 7-8 (IIe siècle p. C.) ; CAVVADIAS 1891, p. 17-18 ; MARTIN et METZGER, 1942-1943, p. 327-334 ; BURFORD 1969, p. 62-63, fig. 3-5 ; COULTON 1976, p. 237-239 ; GIRONE 1998, II.5, p. 71-74, n° II.5, l. 8 (224 p. C.). Athènes : ALLEN et CASKEY 1911, p. 32-43 ; MARTIN et METZGER 1949, p. 348 ; ALESHIRE 1989b, p. 13-32. Cos : SHERWIN-WHITE 1978, p. 342. Voir également Pergame : édifice actuel du IIe siècle, qui a dû avoir un antécédent du IVe siècle lors de l’introduction du culte d’Asclépios à Pergame : HANSEN 1947, p. 259-260 ; ZIEGENHAUS et DE LUCA 1968, p. 17-19, 29, 32-33, 46.

111 les prêtres1. Cette architecture jouerait alors sur le dévoilement : le plan de l’oracle met la salle de consultation au cœur de l’édifice tout en la cachant de l’extérieur par ses murs épais : elle se révélait au terme d’un parcours des consultants.

L’hypothèse de S. Dakaris de l’installation d’une machinerie de la pièce centrale est séduisante, et renforcerait l’analyse en terme de jeu sur l’apparition, le caché. Cette hypothèse a cependant été remise en cause par une nouvelle identification du bâtiment par D. Baatz. Celui-ci voit dans la machinerie des mécanismes de catapultes datant du IIe siècle2, laissés après les combats avec les Romains, qui ont mis fin à l’activité de la ferme-tour en 167. À l’évidence, cette supercherie n’aurait été possible qu’à la suite d’une lourde préparation physique des consultants qui les aurait placés dans un état second lors de leur arrivée finale, tant attendue dans ce « saint des saints ». Dakaris précise que le silence absolu était exigé au risque d’être accusé d’impiété et de risquer la peine de mort3. On peut se demander si cela était nécessaire : le silence imposé était plus un trait des cultes à mystères que des consultations de type oraculaire. De plus, cela supposerait qu’il y ait réellement un subterfuge à ne pas divulguer. Or, une préparation physique très poussée, comprenant des épreuves d’isolement, de prières, des errements dans des couloirs sombres, ainsi qu’un régime alimentaire à base de féveroles et de gesses aux propriétés toxiques et hallucinogène4 conduiraient à un état second au moment de la rencontre avec le monde divin. Dans cet état, les consultants pouvaient être prêts à voir n’importe quoi dans ce lieu clos et isolé. Néanmoins, Baatz ajoute qu’aucune statue de culte, aucun autel, aucune offrande votive n’ont été découverts au cours des fouilles, ce qui remet en cause l’identification du sanctuaire5.

L’oracle de Zeus Ammon dans le Fayoum semble également relever d’un type de structure emboîtée. Des sources relatent la consultation exceptionnelle d’Alexandre, reconnu comme fils de Zeus, mais l’architecture du sanctuaire est difficile à comprendre. Diodore de Sicile mentionne deux temples : l’un dans la ville, l’autre en dehors6 ; son témoignage transmet quelques éléments de l’organisation architecturale du sanctuaire oraculaire : quand Alexandre fut introduit εἰς τὸν νεὼν, « à l’intérieur du temple » et posa une question au vieil homme prophète, qui προσελθόντος τῷ σηκῷ καὶ τῶν ἀνδρῶν τῶν αἰρόντων τὸν θεὸν

1

DAUX 1959, p. 665-669 ; 1961, p. 729-733 ; VANDERPOOL 1961, p. 302 ; DAKARIS 1962, p. 85-93 ; s. d., p. 11- 16 ; 1963, p. 47-55 ; [1970] 1973, p. 145-147 ; OGDEN 2001, dans son étude des oracles des morts ne mentionne pas les trouvailles archéologiques pour ce sanctuaire.

2

BAATZ 1979, p. 68-75 ; 1982, p. 211-233 ; 1999, p. 151-155 ; OGDEN, 2001, p. 20-21.

3

DAKARIS, s. d., p. 16.

4Ibid

., p. 14. Voir ce que dit BONNECHÈRE 2003, p. 147-157 à propos de la préparation à la descente dans l’antre de Trophonios.

5

BAATZ 1999, p. 153.

6

112 κινηθέντων, « s’avança alors vers l’enceinte sacrée et les porteurs du dieu s’ébranlèrent »1. Alexandre détenait en tant que successeur des pharaons un privilège royal : pénétrer dans la cella. Les autres consultants devaient rester dans la cour, d’où il ne leur était pas permis de voir l’ensemble du rituel.

L’architecture de ce sanctuaire se révèle très complexe, car il faut distinguer le naos où se tenaient Alexandre et le prophète, et le sekos où se trouvaient les porteurs de la barque du dieu dans une barque. Situé sur une acropole, le temple où eut lieu la consultation d’Alexandre était construit sur le modèle des temples de la vallée du Nil, avec une avant-cour de 8,4 sur 12,50 m, un pseudo-pronaos, deux petites cours de 7,8 sur environ 4,70 m chacune et la cella (fig. 48). La portion couverte par un toit des bâtiments se composait d’une grande chambre (4,50 sur 6,2 m), d’une cella (6,05 sur 3,40 m) et d’une petite pièce avec un corridor menant à l’arrière. Au-dessus de la cella, se trouvait une chambre secrète qui était accessible depuis le corridor caché seulement par une échelle. Cet agencement semble correspondre aux exigences des oracles procédant derrières des portes closes. Ce plan qui ne semble pas grec, n’est pas non plus en pur style égyptien, il est peut-être égyptianisé et approprié au carrefour d’influences qu’était l’est de la Libye2. Le fonctionnement du temple est difficile à comprendre. En fait, la procession de la barque du dieu qui rendait les réponses aux questions posées à l’oracle était impossible à l’intérieur des petites cours du sanctuaire d’Aghourmi. Clitarque, un Grec d’Égypte contemporain de Manéthon, sur lequel se fonde Callisthène, ne connaissait sans doute pas les lieux et a probablement transposé à l’intérieur de l’enceinte sacrée la procession qui se déroulait à l’extérieur : il a donc mélangé deux rituels, le rituel de consultation publique avec la procession auquel ont pris part les amis d’Alexandre et le rituel secret dans le naos au cours duquel le prophète répondait par signes de tête ou par écrit aux questions posées ; chaque rite avait son propre niveau de visibilité : la procession était tout à fait visible et utilisait sans doute vraisemblablement un dromos axial du sanctuaire 3.

1Ibid

., XVII, 51, 2. Le signe de consultation est original : il s’agit des mouvements de la barque d’or portant une image du dieu. Cette barque était portée par 80 prêtres dans la cour de l’enceinte sacrée qui avançait au gré de la volonté du dieu ; cf. Diodore de Sicile, XVII, 50-51 ; Callisthène apud Strabon, XVII, 1, 43 ; Quinte Curce, IV, 7 ; Plutarque, Alexandre, 27, 3-7 ; Maxime de Tyr, Dissertationes, VIII, 1. CERNY 1962, p. 35-48 explique comment l’Ammon thébain répondait aux questions posées selon le Papyrus de 651. Le dieu se contentait d’approuver ou se désapprouver des requêtes faites par écrit sur des ostraka posés au sol : si la barque avançait, le dieu approuvait ; si elle reculait, le dieu désapprouvait. P. GOUKOWSKY (Strabon, XVII, 1, 4. Ed. CUF au passage, n. 3) suggère que les réponses ont lieu de la même façon dans l’oasis de Siwa en s’appuyant sur une remarque de Callisthène cité par Strabon, selon laquelle l’oracle d’Ammon s’exprime par νεύμασι καὶ συμβόλοις, « par gestes et par signes ».

2

STEINDORFF, RICKE et AUBIN 1933 ; JOUGUET 1934, en particulier p. 183 ; 1943-1944, p. 101 ; KUHLMANN

1988, p. 13-37 ; 2007, p. 83 ; FAKHRY[1973], 1990, p. 147-161 ; 1971 ; PARKE 1967, p. 196-198 ; COLIN 1998 ; « The Ammoneion Project at Siwah oasis », DAI, http://www.dainst.org/en/project/ammoneion%20?ft=all

consulté le 26 juin 2014 ; « Siwa », DAI, http://www.dainst.org/en/project/siwa?ft=all consulté le 26 juin 2014.

3

Ed. CUF, p. 206. JOUGHET 1943-1944, p. 98-100 ; KUHLMANN 2007, p. 82-83. Au contraire, WILCKEN pensait que la barque se trouvait dans la cour du temple : 1933, p. 131-132et les critiques de KUHLMANN 1988, p. 141- 143.

113 Le sanctuaire a une structure linéaire emboîtée, avec un temple au fond, précédé par plusieurs cours closes. On ne sait pas où était placée l’image du dieu qui rendait les oracles, ce qui rend le déroulement de la consultation difficile à comprendre : où se tenaient les consultants, le prophète ? Diodore ne nous apporte pas d’éléments, et la consultation exceptionnelle d’Alexandre, qui consultait à la manière privilégiée d’un pharaon ne rend pas compte du déroulement habituel pour les consultants ordinaires. La succession d’éléments clos exprime une accessibilité fortement conditionnelle et une procédure oraculaire probablement non visible pour les consultants, hormis pour quelques personnages exceptionnels.

Le cas le plus intéressant de structures semi-ouvertes est le sanctuaire d’Apollon à Delphes, qu’aucune source ne décrit précisément. Il est seulement dit que la Pythie descendait (verbe καταβαίνω)1 dans l’antre prophétique2, τοῦ ναοῦ τὸ ἐσωτάτω, « au plus profond du temple »3, où elle était assise sur un trépied4. La Pythie des Euménides voit Oreste réfugié près de l’omphalos et les Érinyes endormies sur les sièges des consultants5. L’adyton ne semble pas être un local clos que l’on ne pouvait voir6.

Pourtant, l’épisode de la mort d’une Pythie rapporté par Plutarque montre qu’elle n’était pas visible. En effet, seule sa voix permit de comprendre son malaise d’avoir été forcée à descendre dans l’adyton7. Nous ne savons pas lorsqu’elle s’élança vers la sortie en criant, en se jetant par terre, si ce fut le cri qui mit en fuite les consultants et le personnel oraculaire ou bien le fait de la voir. Même si l’accent est mis sur la voix, cela ne signifie pas, selon Fontenrose, qu’elle n’était pas vue. La frayeur des consultants, du prophète et des hosioi ne s’explique, selon lui, que par l’ouïe et par la vue8.

L’archéologie est difficile à utiliser, en raison des multiples destructions subies par le site. Nous nous appuierons dans ce qui suit sur le bilan récent qu’a dressé G. Rougemont9. Il

1

Hérodote, V, 192 ; Pindare, IVe Pythiques, 55 ; Lucain, Pharsale, V, 158-161 ; Plutarque, Timoléon, 8, 2 ; Plutarque, Surles oracles de la Pythie, 22, 405C ; Plutarque, Sur la disparition des oracles, 51, 438B. Voir la discussion de FONTENROSE 1978, p. 227 ; ROUX 1976, p. 92, 105-110. Le verbe καταβαίνω a généralement le sens de descendre, voir Bailly, s.v. ; Liddell-Scott, s.v. Néanmoins, la configuration des lieux qui sera présentée ensuite ne montre pas de forte dénivellation, le verbe devrait peut-être se traduite alors par « se rendre ».

2

Strabon, IX, 3, 4-6. Voir la présentation de la question par USTINOVA 2009, p. 123-150.

3

Pausanias, X, 24, 5. Cette expression sert à DAUX et BOUSQUET 1942-1943, no 2, p. 36 pour traduire μυχάτοιο δόμου dans deux inscriptions, trouvées de la région du nord-est des Thermes de l’est à Delphes, près du mur de soutènement. Ces termes se rencontrent chez Euripide également (Ion, 228).

4

Diodore de Sicile, XVI, 26.

5

Eschyle, Euménides, 40-48. Voir ROUX 1976, p. 92.

6

Sur le sens d’adyton, voir HELLMANN 1992, p. 24.

7

Plutarque, Sur la disparition des oracles, 51. Il faut noter le jeu de mot de Plutarque : ἦν καταφανὴς τῇ τραχύτητι τῆς φωνῆς, « il était visible à la dureté de sa voix » [trad. GD]. Voir FLACELIÈRE 1938, p. 98 ; SISSA

1987, p. 49-50.

8

FONTENROSE 1978, p. 226.

9

114 faut rappeler qu’il y eut trois temples successifs : le premier temple de pierre, celui des Alcméonides et celui du IVe siècle, qui perdure jusqu’à la fin de l’Antiquité. Pour les deux

premiers temples, nous n’avons pas d’information certaine1. Seuls quelques fragments de quatre colonnettes en marbre coiffées de chapiteaux doriques archaïques et entaillées de rainures verticales pour l’insertion d’une mince cloison qui les reliaient entre elles, pourraient provenir de l’oikos des consultants reconstruit par les Alcméonides à la fin du VIe siècle2. On

ne sait toutefois pas ni comment ni où ces fragments prenaient place dans le temple. Les sources littéraires du Ve siècle suggèrent une large ouverture de cet espace dans lequel se tenaient les consultants comme l’indique la Pythie des Euménides d’Eschyle apercevant les Érinyes3. Même dans le temple actuel du IVe siècle4, restauré par la suite5, il ne reste aucun vestige matériel de l’adyton, du moins tels que se l’étaient imaginés les premiers fouilleurs avec leur Plutarque ou leur Pausanias à la main6. Ce n’était pas un souterrain comme à Claros ou un espace séparé construit en dur car les substructions n’en gardent aucune trace visible7. L’oikos pouvait être séparé par une cloison légère en matériel léger ne laissant pas de trace. Les restes sont presque totalement ravagés, mais indiquent une interruption du dallage à l’emplacement supposé de l’adyton, délimitant une fosse oraculaire un peu plus basse8.

Il semble exister une séparation dans cet espace, car Plutarque mentionne ὁ γὰρ οἶκος, ἐν ᾦ τοὺς χρωμένους τῷ θεῷ καθίζουσιν, « un local dans lequel ceux qui consultent le dieu sont assis »9. H. Parke suggère une solution simple, que ne confirme aucune source littéraire : un voile ou un rideau10. G. Roux propose comme hypothèse l’existence d’un isoloir (fig. 49)11. Ce pourrait être une structure légère, en bois qui servaient à délimiter un espace restreint. Les consultants n’étaient, en effet, pas nombreux dans le temple, et attendaient à l’extérieur, sous le péristyle ou, pendant les travaux, sous une toiture provisoire (στέγα) au

1

Voir SUÁREZDELA TORRE 2005, p. 21-22 ; ROUGEMONT 2013, p. 46-49.

2

LA COSTE-MESSELIÈRE 1942-43, p. 49-52.

3

Eschyle, Euménides, 34-37. Voir Hérodote, I, 90 : les envoyés de Crésus, vaincu par les Perses, déposent sur le seuil du temple les chaînes de leur roi et de demander en désignant les chaînes (δεικνύντας τάς πέδας) de demander s’il ne rougissait pas d’avoir mis fin au royaume de Crésus par son oracle précédent.

4

Pour un bilan, voir AMANDRY et HANSEN 2010.

5

Sur les versions antérieures du temple, voir Guide de Delphes, p. 95-99, 176-184.

6

Voir Lucain, Pharsale, V, 111-230 ; Diodore de Sicile, XVI, 26 ; Ps-Longin, Du Sublime, XIII, 2. Nous n’abordons pas les débats infinis sur le χάσμα γῆς, voir COURBY 1902, p. 65-66 ; OPPÉ 1904, p. 214-232, 237- 238 ; HOLLAND 1933, p. 202 ; FLACELIÈRE 1938, p. 104-105 ; 1943, p. 72-111 ; 1950a, p. 306-324 ; BOUSQUET

1940, p. 226-229 ; AMANDRY 1950, p. 219-220 ; BIROT 1959, p. 258-274 ; PARKE et WORMELL 1956, vol. 1, p. 22 ; WHITTAKER 1965, p. 23 ; ROUX 1976, p. 92-95, 111-112 ; FONTENROSE 1978, p. 203 ; USTINOVA 2009, p. 146-147 présente le débat ; AMANDRY 1997, p. 271 = AMANDRY et HANSEN 2010, p. 73.

7

ROUX 1976, p. 101.

8

FLACELIÈRE 1938, p. 85-105 ; PARKE et WORMELL 1956, t. 1, p. 28-29 ; ROUX 1976, p. 101-110 ; AMANDRY

1997, p. 281 ; HANSEN 2010, p. 454 ; ROUGEMONT 2013, p. 53-54.

9

Plutarque, Sur la disparition des oracles, 50, 437C [trad. GD].

10

PARKE 1985, p. 29.

11

115 nord du temple, contre le mur de soutènement dit Ischégaon comme le montre un compte1. Une petite structure serait suffisante, qui se placerait contre la colonnade intérieure nord au fond de la cella. L’oikos semble largement ouvert sur le mégaron ou le naos vers la porte. Mais du côté de l’adyton, une paroi pleine, percée d’une porte fermée par un rideau, cachait la prophétesse au regard des consultants (fig. 50)2. Il semble donc que l’adyton, lieu de consultation où se trouvait la Pythie, ne fût pas visible des consultants et du personnel oraculaire sans toutefois être réellement caché, car il était simplement un peu plus bas que le sol du temple. Cette hypothèse est séduisante par son jeu possible sur des éléments visibles et d’autres qui ne l’étaient pas selon les différents moments.

Pendant les travaux de construction, les consultations continuaient ; des structures temporaires permettaient d’isoler le lieu de consultation. Ainsi, lors des travaux après la catastrophe de 373, le mégaron a été provisoirement fermé par un mur de briques crues percé d’une petite porte en bois. Ainsi était-il possible d’isoler le mégaron durant les consultations3. Cette structure était-elle seulement liée à la conscience d’une gêne occasionnée par les travaux ou à la nécessité de créer des conditions permettant une atmosphère d’invisibilité autour de la pratique divinatoire ? peut-être les deux.

Les derniers résultats de fouilles présentés par E. Hansen attirent l’attention sur deux éléments. Le premier est l’interruption de la colonnade intérieure sud. Dans cet intervalle ont été trouvées des fondations d’une niche ou d’un édicule d’environ 4,5 m de long sur 3,2 m de large (fig. 51). Peut-être s’agit-il de l’emplacement de l’oikos4. Il faut toutefois noter la différence majeure par rapport à la restitution de G. Roux qui voyait plutôt l’oikos du côté nord. E. Hansen a, de plus, montré l’existence d’un mur en travers de la cella d’environ 60 cm de large, coupé par une large ouverture en son centre, cette ouverture étant occupée par un objet, au niveau du deuxième entrecolonnement. L’organisation précise de ce mur avec la colonnade reste complexe. On ignore tout de sa hauteur, la seule certitude étant qu’il ne s’agit pas d’une modification du plan, mais d’un élément prévu dès l’origine. Ce mur serait une sorte de barrière ou de mur de séparation5 entre une première partie de la cella du temple et le reste du naos (fig. 52). Ce mur, quelle que soit sa hauteur, correspondait à une fermeture de l’espace, qui était ainsi différencié de ce qui se trouvait en deçà. Si sa hauteur était importante, il s’agissait de cacher à la vue le fond du temple, même si l’ouverture du mur indiquait qu’il

1

BOURGUET 1902, p. 60-66, interprétation p. 67-68 ; FD III-5, n° 25, I A, l. 12-15, et p. 124.

2

ROUX 1976, p. 132-136. Au contraire, pour FONTENROSE 1978, p. 227-228, la Pythie pouvait être vue des consultants. 3 Cf. ROUX 1966a, p. 265-6, 274 ; 1976, p. 134. 4 HANSEN 2010, p. 309-316, 435-440. 5Ibid ., p. 379-385, 454 ; ROUGEMONT 2013, p. 58.

116 était possible d’y accéder. Néanmoins, cet accès était limité par la présence d’un objet qui se trouvait au centre de ce passage.

Les structures emboîtées du temple de Delphes sont particulièrement intéressantes dans la façon dont elles se complexifient grâce à des infrastructures exprimant une fermeture, complétées par des éléments d’ouverture, permettant de voir certains moments du rituels et d’en dérober à la vue d’autres.