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L’étude du vocabulaire grec et des conceptions de la vision a mis en évidence l’importance du visible et de l’invisible dans la structure de pensée grecque. C’est dans cette

1

Hippocrate, Prorrhétique, I, 113 ; Prénotions Coaques, 221, 222, 252.

2P. Berol

. Inv. 5025 ; PGM I, 222-231.Voir PHILIPPS 2009, p. 84-87.

3

COULOUBARITSIS 1987, p. 53 ; MERKER 2003, p. 32.

4

Aristote, De l’âme, 418b-419a. MERKER 2003, p. 139.

5

Aristote, De l’âme, 418a.

6 MERKER 2003, p. 139-143. 7Ibid ., p. 216. 8 Ibid., p. 32. 9 FRONTISI DUCROUX 1995, p. 20, 25-26 ; 2008, p. 60. 10

36 structure de pensée que les Grecs vivaient et que nous chercherons à analyser ce qui était visible et ce qui était invisible dans les pratiques religieuses des Grecs.

1. Historiographie

Ce problème du visible et de l’invisible, de la perception visuelle dans les pratiques religieuses a été peu abordé jusque-là dans sa globalité. Toutefois, certains aspects ont été abordés, notamment le problème de l’épiphanie et celui des représentations du divin.

L’épiphanie est un des modes de perception des dieux, au cours duquel les dieux se manifestaient directement aux hommes, notamment par le sens de la vue. Dans l’épiphanie, « le dieu se dévêt de son invisibilité naturelle, et se laisse voir »1. Deux études importantes ont abordé le sujet. H. Versnel s’est intéressé à toutes les formes par lesquelles les dieux pouvaient se manifester, pas seulement par la vue2. De même, en analysant le corps des dieux dans les apparitions d’Homère à Épicure en s’appuyant sur le vocabulaire et sur la façon de percevoir les dieux dans les sources littéraires3, R. Koch Piettre a montré qu’une épiphanie était l’instant au cours duquel la présence du dieu se donnait à saisir, par quelque sens que ce soit, car la perception visuelle est frustrante. En effet, il n’y avait rien à voir ou si peu d’après le lexique, sauf des traces en creux, avec effet retard4. Les dieux livraient peu d’eux-mêmes, mais ce peu suffisait à les saisir, à montrer l’invisible5, pas seulement par la vue.

La représentation du divin est un sujet très courant depuis une vingtaine d’années, à la suite des travaux de J.-P. Vernant, qui a montré comment les images mettaient l’homme en relation avec l’invisible par la notion de présentification. Ses travaux sur le colossos lui ont permis d’interroger la notion d’invisible et sa figuration6 : un objet rend perceptible l’absence du mort7. Ses réflexions sur la figuration ont démontré que les images étaient des moyens de mise en relation avec l’invisible, la puissance sacrée, même si toutes les images n’étaient pas faites pour être montrées : certaines étaient prises dans un jeu de cacher-montrer, toutes étaient inséparables des opérations rituelles exercées sur elles8. Il s’est également interrogé sur les modes de figuration des puissances invisibles9.

1 PUCCI 1986, p. 7. 2 VERSNEL 1987. 3 PIETTRE 1996. 4 PIETTRE 2001. 5 LUBTCHANSKY et POUZADOUX 2008, p. 15-16. 6 VERNANT [1965] 1985a. 7

Le colossos est un double : voir BETTINI 2004.

8

VERNANT [1965], 1985b. Voir FRONTISI DUCROUX et LISSARRAGUE 2009, p. 171-172.

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37 Les travaux suivants ont souligné différents moyens de présentifier l’invisible tout en établissant l’incommensurabilité entre le sacré et la figuration1. F. Frontisi développe le cas de Gorgô, qui ne peut pas être regardée directement2, mais aussi celui des statues sans visages de Cyrène3. F. Lissarrague poursuit la réflexion de J.-P. Vernant en montrant que les images donnent à voir le divin, elles servent de médiation à la relation hommes-dieux par diverses stratégies iconographiques4. Récemment, N. Lubtchansky et Cl. Pouzadoux ont présenté leurs réflexions sur les possibilités de perception sensible du sacré, domaine qui échappe au champ visuel selon les philosophes présocratiques5. Ainsi, dans le droit fil de ce que R. Piettre avait montré sur les épiphanies, l’ouvrage cherche à savoir si, et comment l’image peut faire voir sans montrer le divin6. Dans la même optique, J. Mylonopoulos s’est intéressé à la statue de culte pour comprendre les différentes façons dont les images des dieux construisent visuellement la divinité dans l’Antiquité. Cette statue de culte est issue de l’imagination humaine désirant visualiser l’invisible en mots et en images7.

Si l’aspect de la manifestation du divin par l’épiphanie ou par des représentations a été bien traité, une approche complète de la perception visuelle des pratiques religieuses n’a pas encore été proposée pour l’antiquité grecque. Quelques réflexions ont été faites pour l’islam ou le christianisme avec les travaux de B.-N. Aboudrar, qui vient de publier Comment le voile est devenu musulman8. Dans ce livre, il interroge le système de visibilité de la culture et de la religion musulmane, qu’il compare aux pratiques religieuses chrétiennes. La notion de système ou régime de visibilité a été créée par le géographe M. Lussault pour désigner la capacité des acteurs sociaux à traduire spatialement leur présence dans la société9. Elle est appliquée par B.-N. Aboudrar, qui montre comment le monde musulman est un monde fermé, orienté vers l’intérieur, dans lequel les pratiquants ne peuvent pas tout voir ; ce qui se traduit dans l’architecture des édifices. Au contraire, les pratiques chrétiennes sont fondées sur le fait de voir : la lumière permettant de s’élever vers l’invisible qu’est Dieu ; ce qui se traduit dans l’architecture des églises, en particulier par l’art gothique. Ces recherches cherchent à comprendre ensemble les pratiques, les images, l’architecture. C’est dans cette perspective que nous voudrions interroger les pratiques religieuses grecques antiques.

1 LUBTCHANSKY et POUZADOUX 2008, p. 16. 2 FRONTISI DUCROUX 1988. 3 FRONTISI DUCROUX 2004 ; 2008. 4

Voir LISSARRAGUE 2008 ; CHAZALON 2008, p. 25-39.

5 LUBTCHANSKY et POUZADOUX 2008, p. 15. 6Ibid ., p. 16. 7 MYLONOPOULOS 2010. 8 ABOUDRAR 2014. 9 LUSSAULT 2003, p. 997.

38 2. Délimitation et problématique

Notre champ d’étude se limite aux pratiques religieuses des Grecs, qui étaient innombrables. Ce sont τὰ νομιζόμενα, les rites qui se caractérisaient par des comportements définis par des règles traditionnelles. Ils regroupaient les sacrifices, les prières, les chants, les danses, les purifications…, tout ce qui était dû aux dieux1. Il ne s’agira pas de faire une encyclopédie des rituels, mais d’analyser certaines pratiques selon ce qui était vu ou non par des pratiquants grecs : que voyaient-ils des rites auxquels ils participaient ? que ne pouvaient- ils pas voir ? comment se donnaient-ils à voir aux autres membres des cités et aux dieux au cours de ces rituels ? Il s’agit de partir du regard que portait l’homme grec sur ses pratiques religieuses pour mieux appréhender la religiosité des Grecs, leur mentalité religieuse.En effet, il s’agit de déplacer le curseur en partant des acteurs et de ce qu’ils voyaient pour apporter des éléments un peu différents sur les rituels grecs. Néanmoins, partir du spectateur supposerait de partir de la façon dont les Grecs voyaient, mais, en dehors de quelques penseurs évoqués plus haut, les Grecs se posaient-ils la question de savoir de quelle manière la vue était possible ? C’est peu probable. Par contre, les obstacles empêchant de voir, les dispositifs qui pouvaient cacher ou dévoiler étaient bien perçus. Comme F. Hartog explique que l’histoire est affaire de vision, et que cette vision change d’une époque à une autre2, nous chercherons à comprendre les spécificités de ce que les Grecs de l’Antiquité pouvaient voir dans leurs pratiques religieuses.

Celles-ci se sont mises en place et ont pour cadre de déroulement un système politique particulier, celui de la cité, qui s’est installé à l’époque archaïque, époque à laquelle de grands sanctuaires furent érigés. Ce système politique était assez divers entre des petites cités et des grandes cités de premier plan. Cependant, les pratiques religieuses étaient similaires dans l’ensemble du monde grec, comme le montrent les succès des concours panhelléniques ou des sanctuaires à mystères ouverts à tous les Grecs. D’où la difficulté de délimiter spatialement le sujet afin de donner une image qui ne soit pas trop tronquée de la réalité des pratiques religieuses grecques. On se concentrera toutefois sur les régions de Grèce propre et d’Asie mineure. Et ce, jusqu’à l’époque hellénistique : il est en effet difficile dans une histoire culturelle des cités grecques d’adopter une date précise de fin ; il n’y a pas de rupture particulière qui permettrait de délimiter la période étudiée.

1

RUDHARDT 1992, p. 141-142.

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39 Les sources sont par ailleurs assez éparses dans le temps, ce qui justifie alors une chronologie large de l’époque archaïque à l’époque hellénistique. En effet, si l’on veut pouvoir comparer les sanctuaires oraculaires, il faut descendre jusqu’à l’époque hellénistique. De même, les sources sur les cultes à mystères sont souvent assez tardives.

Nous croiserons plusieurs types de sources afin d’essayer de dresser un tableau le plus juste possible de la religiosité des Grecs. Une partie de notre corpus se compose des sources littéraires, avec les récits historiques d’Hérodote et de Thucydide qui évoquent des pratiques religieuses des VI-Ve siècles. Les descriptions de Strabon, de Pausanias, de Plutarque, fourmillent d’allusions aux rites et à leur aspect visuel, même s’ils sont tardifs et souvent empreints d’une certaine nostalgie de la grandeur de la Grèce libre, ils sont attachés aux traditions. Nous utiliserons également le théâtre de l’époque classique qui utilise des pratiques religieuses contemporaines dans son intrigue. Il s’agira à chaque fois de replacer le type de sources dans son contexte d’énonciation afin de comprendre les spécificités des sources et des informations évoquées.

Une des difficultés réside souvent dans les allusions, les évocations des rites, sans toujours pouvoir comprendre les spécificités visuelles. Ainsi, Pausanias est souvent peu sensible aux aspects visuels, il met l’accent sur le rite1, même si la primauté de la vue était centrale dans la construction du sacré, ce qui est souvent souligné par les sources2.

Des sources épigraphiques qui émanent pour l’essentiel des cités ou des sanctuaires rendent comptent de décisions prises officiellement ; elles se développent à partir du Ve siècle et deviennent très nombreuses à partir du IVe siècle. Elles contiennent des informations officielles qui ont parfois un aspect visuel. C’est à cette époque que se développe une codification plus précise des fêtes religieuses, de leurs participants qui sont nommés dans des inscriptions.

Nous avons également utilisé des sources iconographiques, en particulier trois corpus : celui de la céramique des VI-IVe siècles, celui des reliefs votifs et celui des stèles funéraires.

La céramique révèle des choix iconographiques dans ce qui est figuré et permet ainsi d’accéder à ce qui paraît important pour les artisans et/ou les commanditaires. Nous avons essentiellement étudié la céramique attique, la plus nombreuse ; le corpus de Grande Grèce qui se développe à partir du IVe siècle a été écarté, car son choix iconographique est très orienté par des préoccupations funéraires, ce qui le rend assez différent des autres images. Trois dossiers ont particulièrement été abordés : le sacrifice, le mariage et les rituels

1

ELSNER 2007, p. 36.

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40 funéraires. Pour le corpus des reliefs votifs, n’ont été retenues que les scènes de sacrifice, mais dans toutes les régions de Grèce et d’Asie mineure : le corpus s’étend donc du Ve au Ier

siècles. Le corpus des stèles funéraires étant extrêmement développé, nous n’avons pris en considération que les stèles attiques, dans la mesure où les contextes archéologiques sont un peu mieux connus que dans les autres régions du monde grec. Ce corpus attique est bien délimité chronologiquement entre le VIe siècle et le début du IIIe siècle, ce qui permettait une

cohérence d’analyse.

Enfin, l’archéologie est d’un apport important, mais très épars pour tous les contextes de découvertes des objets, mais aussi pour comprendre l’organisation des sanctuaires. Il n’a pas été possible de prendre en compte tous les sites. Nous nous sommes concentrée sur les grands sanctuaires les mieux documentés, afin de pouvoir comparer des organisations de l’espace, pour observer des évolutions.

C’est en croisant ces sources de nature différente que nous pourrons donner une image du visible et de l’invisible dans les pratiques religieuses grecques en commençant par appréhender l’espace consacré aux dieux par son aspect visuel. Il s’agira de comprendre la façon dont étaient délimités visuellement les espaces sacrés et la façon dont les pèlerins les appréhendaient, ce qui leur était possible de voir, ce qui au contraire était invisible parce que fermé, parce que caché… Ensuite, nous montrerons comment les pratiques religieuses avaient un côté ostentatoire, au sens premier du terme, c’est-à-dire comment elles rendaient visible une piété envers les dieux à travers les rituels familiaux, les processions et les concours. Enfin, nous analyserons l’aspect visuel de la communication des Grecs avec leurs dieux à travers divers rites quotidiens ou plus exceptionnels qu’ils adressaient à ces entités invisibles, rendus visibles pour les besoin du culte.

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PARTIE 1 : FREQUENTER LES ESPACES CONSACRES AUX DIEUX

L’intérêt de l’étude de l’espace approprié par l’homme n’est plus à justifier aujourd’hui, comme le montrent les nombreuses études en sciences humaines et sociales depuis les années 1970 : elles considèrent l’espace comme un produit complexe de la société en même temps qu’un outil de la reproduction de l’ordre social, façonné par l’homme1. Cet espace est une portion de l’étendue terrestre, qui certes à l’origine se caractérisait par des éléments naturels, mais qui est vu aujourd’hui comme une construction des sociétés2 : en s’appropriant l’espace, les hommes en ont fait leur territoire3. Les études géographiques ont montré que l’espace pouvait être lu de plusieurs manières : A. Frémont a proposé la catégorie d’analyse de l’espace de vie qui résulte d’une expérience concrète et matérielle des lieux4 ; Lefebvre analyse l’espace comme un produit social, à la fois instrument servant à la pensée et à l’action, il est un moyen de contrôle et de domination. Il distingue l’espace perçu, l’espace conçu et l’espace vécu : la société organise à ses fins l’espace5.

Les études sur l’Antiquité n’ont pas été en reste dans ce domaine. P. Vidal-Naquet s’est ainsi intéressé aux marges qui délimitent les espaces civiques, pendant que J.-P. Vernant a analysé leur centre, le meson ; P. Vidal-Naquet, avec P. Lévêque ont étudié les conséquences spatiales des réformes de Clisthène l’Athénien, l’aménagement de l’espace civique pour comprendre les conceptions de pensée grecque liées à la spatialité6. Aujourd’hui, c’est le paysage religieux qui est analysé par F. de Polignac, J. Scheid, P. Brulé7. Elles ont abouti à un éclatement de l’espace en sous-espaces selon diverses analyses symbolique, pratique, politique ou géométrique 8. L’espace est une notion déterminée culturellement qu’il faut redéfinir dans le cadre de la culture étudiée, en prenant en compte son vocabulaire.

Dans l’Antiquité grecque, l’espace se décompose en deux catégories : les espaces sacrés qui appartiennent aux dieux et les espaces profanes, même si la délimitation entre les deux n’est pas toujours nette ni fixe. Si nous prenons l’exemple du Bouleuterion, la difficile

1

Voir par exemple LUSSAULT 1996.

2

BRUNET, FERRAS et THÉRY 1992, s. v.

3 MOINE 2006. 4 FRÉMONT 1974. 5 LEFEBVRE 1974. 6

VIDAL-NAQUET [1981] 1991 ; VERNANT [1965] 1985e ; LEVEQUE et VIDAL-NAQUET 1964.

7

POLIGNAC et SCHEID 2010 ; BRULÉ 2012.

8

42 distinction apparaît : c’est un espace politique dans lequel les Bouleutes se réunissaient et débattaient des affaires de la cité, mais la présence d’un autel sur lequel les Grecs faisaient des libations en début de séance lui donne une connotation sacrée. Sans que cet espace soit considéré comme un espace sacré à proprement parler, il est néanmoins marqué par une certaine sacralité ; nous nous intéresserons spécifiquement aux espaces consacrés aux dieux : ce sont des portions de terres dédiées aux dieux et clairement différenciés des lieux environnants1, ce que les Grecs appellent un τέμενος, « un domaine séparé, le domaine d’un dieu ». L’étymologie du mot repose sur le verbe τέμνειν qui signifie « couper, trancher », marquant bien la séparation entre l’espace des hommes et l’espace des dieux2. Ils se distinguent du reste du territoire par des délimitations, tels des murs (péribole), des objets (bornes), par la présence de structures spécifiques : temple, autel, statue.

Les Grecs fréquentaient ces espaces consacrés aux dieux, ils y allaient régulièrement pour accomplir des actes rituels en l’honneur des dieux. En suivant ces hommes et ces femmes grecques ordinaires, qui se déplaçaient vers les sanctuaires consacrés aux dieux, nous nous interrogerons sur la façon dont l’homme grec pouvait appréhender l’espace par le regard. Nous essaierons de donner une lecture globale de l’espace des sanctuaires à partir de la notion de système ou de régime de visibilité, définie par le géographe M. Lussault comme la capacité des acteurs sociaux à traduire spatialement leur présence dans la société3.

Notre parcours progressera de l’extérieur des espaces consacrés vers l’intérieur des constructions qui se dressaient dans les sanctuaires pour comprendre comment les Grecs entraient dans ces espaces ; comment ils accédaient aux édifices consacrés aux dieux ; comment ils pouvaient circuler et voir dans ces bâtiments et dans quelle mesure ils approchaient la statue des dieux.

1

RUDHARDT 1992, p. 224-230.

2

BERGQUIST 1967 ; 1992 ; DELG, s. v. τέμνω ; BRUIT ZAIDMANN et SCHMITT PANTEL [1991] 1999, p. 41, 184 ; JOST 1992b, p. 112 ; SINN 2005, p. 1-4.

3

43

CHAPITRE 1 : PENETRER DANS LES ESPACES CONSACRES AUX

DIEUX

Introduction

Les espaces consacrés aux dieux étaient clairement différenciés des lieux environnants : ce sont les sanctuaires qui se définissent comme des portions de terre retranchées de l’espace des hommes et dédiés à des divinités1 ; c’est là que prenaient place divers rituels qui établissaient les liens nécessaires entre les hommes et les dieux. Les termes techniques désignant les lieux de culte sont nombreux, Pollux, un lexicographe du IIe siècle de

notre ère, en donne une liste dans son Onomasticon :

καὶ τὸ μὲν χωρίον ἐν ᾧ θεραπεύομεν· τοὺς θεοὺς, ἱερὸν καὶ νεώς, ἔνθα δὲ καθιδρὺομεν, σηκὸς καὶ τέμενος […]οἱ δ’ ἀνειμένοι θεοῖς τόποι ἄλση τε καὶ τεμένη καὶ ἕρκη, καὶ ὁ περὶ αὐτὰ κύκλος περίβολος.

« L’emplacement où se pratique le culte des dieux, c’est un hiéron (sanctuaire) ou un neôs (temple), et là où nous procédons à une fondation, c’est un sêkos et un téménos. Les lieux consacrés aux dieux sont les alsê (bois sacrés), les téménê (enceintes) et les herkê (enclos), le cercle qui les entoure le péribolos »2.

Les termes nombreux renvoient tous à une étendue concrète et matérielle3 , c’est une dimension importante des espaces sacrés.

Les sanctuaires étaient innombrables et de taille diverse : au début de l’époque archaïque, beaucoup étaient de taille modeste, avec peu d’aménagement ; nombre d’entre eux le resteront, mais certains ont connu une monumentalisation progressive, dès l’époque archaïque pour quelques grands sanctuaires comme l’Héraion de Samos ou d’Argos, avec une spécialisation fonctionnelle des édifices. Ce phénomène se développa à l’époque classique, mais surtout à l’époque hellénistique avec l’édification de portiques, d’infrastructures d’accueil dans les sanctuaires guérisseurs par exemple, de terrasses, traces d’une conception urbanistique d’embellissement et de régularisation des espaces4. Ils se caractérisaient tous par une inscription spatiale et par une délimitation au moyen d’artefacts plus ou moins élaborés (haies, bornes, panneau, mur) qu’il fallait franchir afin d’y entrer. Ils sont implantés dans des

1

BERGQUIST 1967, p. 5 ; JOST 1992b, p. 112-115 ; GINOUVÈS et al. 1998, p. 37, 185-186 ; BRUIT ZAIDMAN et SCHMITT PANTEL 1999, p. 41.

2

Pollux, I, 6 et 11 [trad. RUDHARDT 2001, p. 176].

3

RUDHARDT 2001, p. 176.

4

POLIGNAC 1995a, p. 27-37 ; ETIENNE, MÜLLER et PROST 2006, p. 126-127 ; HELLMANN 2007, p. 170-179 ; 2006, p. 100-101, 212-218 ; 2010b; p. 267-272.

44 régions aux caractéristiques diverses. La Grèce est, en effet, une péninsule montagneuse, vallonnée, c’est une montagne qui tombe dans la mer comme de nombreuses régions méditerranéennes1 : les plaines y sont peu importantes. Les cités et les sanctuaires ont alors des caractéristiques diverses selon l’altitude, le dénivelé, la proximité maritime et les espaces de communications. Tout ceci forme le cadre géographique dans lequel étaient installés les sanctuaires. Ils étaient par ailleurs localisés dans des endroits divers des cités comme l’a montré F. de Polignac : les sanctuaires présents dans les centres urbains sont désignés par l’expression de sanctuaires urbains, ceux en marge de l’habitat sont des sanctuaires péri- urbains, et ceux installés sur le territoire de la cité, dans la campagne sont des sanctuaires extra-urbains ou ruraux2. Les sanctuaires qui n’étaient pas gérés par une cité, mais par un