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L'analyse syntaxique des coordinations simples

3. L'analyse de la structure coordonnée dans son ensemble

3.4 Une analyse lexicaliste alternative des coordinations simples

Nous prendrons pour illustration l'analyse proposée par Paritong (1992) en HPSG23.

Rien n'interdit a priori d'envisager une analyse similaire dans une grammaire catégo- rielle qui décompose ses catégories en traits (cf. Uszkoreit 1986) ou encore dans une grammaire de dépendance. Simplement, de telles analyses n'ont pas à notre connais- sance été développées de façon détaillée pour rendre compte des problèmes qui nous intéressent ici. Nous nous bornerons donc à discuter l'existant en laissant de côté le pos- sible. On présupposera une certaine familiarité avec l'architecture formelle et théorique du cadre HPSG ainsi que ses conventions notationnelles en renvoyant le lecteur au cha- pitre 6, section §1 pour une présentation du modèle. L'objectif n'étant pas ici de cons- truire un fragment de grammaire formalisé mais d'illustrer une analyse possible, nous utilisons des représentations simplifiées par rapport aux propositions originales des au- teurs cités.

Paritong (1992) reprend l'hypothèse qu'une structure coordonnée comporte deux ni- veaux de constituance et propose que la conjonction constitue la tête de la coordination dans son ensemble. L'idée directrice est qu'il est possible de déduire les propriétés parti- culières des coordinations simples des propriétés lexicales des conjonctions dès lors que l'on se dote d'une théorie formalisée de la notion de tête fonctionnelle.

La théorie à laquelle se réfère Paritong est celle de K. Netter (cf. Netter 1994). L'idée de Netter est la suivante : alors que les catégories majeures déterminent uniformément la syntaxe externe du syntagme projeté, les catégories mineures fonctionnent de façon

23 Pour une adaptation de l'analyse aux données du français et un certain nombre d'extensions, voir Mela

parasite en ce qu'elles héritent du complément qu'elles sous-catégorisent la plupart des propriétés syntaxiques qu'elles transmettent au syntagme. On rend ainsi compte du fait qu'un syntagme construit sur une catégorie mineure présente généralement un mixte des propriétés de ses constituants immédiats tout en préservant une définition homogène de la notion de tête comme gouverneur d'une part et comme constituant distingué pour la propagation d'informations grammaticales d'autre part (voir section §2.3).

L'analyse est modélisée en HPSG en distinguant pour toutes les catégories deux ensem- bles de spécifications syntaxiques sous l'attribut HEAD. Cet attribut rassemble, on le rappelle, les propriétés syntaxiques obligatoirement partagées entre un syntagme endo- centrique et son constituant tête, conformément au Principe des traits de tête de Pollard & Sag (1994 : 34). Toutes les catégories lexicales et syntagmatiques de la grammaire sont ainsi simultanément définies pour des traits de tête "majeurs" (attribut MAJOR) tels que la partie du discours, le mode verbal, les traits d'accord, etc, et des traits de tête "mineurs" (attribut MINOR), tels que la forme lexicale du complémenteur ou de la pré- position, qui peuvent, comme tous les traits de tête, faire l'objet d'une sélection par un prédicat (cf. en français les contrastes Paul refuse de / *à lire ce livre; Paul commence à

/ *de lire ce livre). Cette contrainte générale sur les traits de tête est représentée par la

description partielle en (80), que doivent satisfaire toutes les instances de signes linguistiques, c'est-à-dire toutes les unités de type sign.

(80)

Le caractère parasite des catégories mineures est capté par la contrainte schématisée en (81). Cette contrainte dit que pour toute instance de signe fonctionnel (c'est-à-dire de valeur funct-cat pour le trait CATEGORY), les traits de tête majeur de ce signe doivent être identiques au traits de tête majeurs du complément que ce signe sélectionne (SUBCAT), comme l'indique le partage de la valeur 224.

(81)

Si l'on prend l'exemple d'un complémenteur comme de en français, on aura donc une entrée lexicale simplifiée de la forme (82). Le complémenteur hérite ses propriétés ma-

24 On rappelle que les valeurs numériques ou les lettres encadrées (tags en anglais) constituent des varia-

bles sur des structures de traits. La coindexation singifie l'identité quelle que soit la valeur qui instancie la variable.

jeures du complément verbal qu'il sélectionne et introduit ses propres spécifications sous l'attribut MINOR. Suivant les principes régissant la combinatoire syntaxique en HPSG (voir chapitre 6), on peut combiner ce complémenteur et une infinitive dans une structure tête-compléments. On autorisera ainsi des structures simplifiées telles que celle illustrée en (83), qui donne accès simultanément au niveau du syntagme aux pro- priétés du complémenteur et à celles du complément avec lequel ce complémenteur se combine.

(82)

(83)

de

Paritong propose d'étendre l'analyse de Netter aux conjonctions en leur associant une entrée lexicale schématique de la forme (84).

Les propriétés de cette entrée sont les suivantes :

(i) la conjonction sélectionne deux arguments syntaxiques (trait SUBCAT). On admet donc, à l'image des analyses X-barre, un schéma de coordination binaire quel que soit le nombre de termes conjoints25. On notera en outre que la catégorie des arguments sélec-

tionnés n'est pas précisée. On autorise donc des coordinations de catégories variées. (ii) les arguments de la conjonction doivent être de même valence, comme l'indique le partage de la variable 4 en valeur du trait SUBCAT des termes conjoints. Cette valeur constitue une variable de liste : elle peut correspondre à une liste vide, auquel cas les termes conjoints constituent des syntagmes saturés, ou à une liste non vide, auquel cas les termes conjoints correspondent à des prédicats non saturés. Crucialement, cette va- leur est héritée par la conjonction, comme l'indique la concaténation de la variable 4 à la liste SUBCAT de la conjonction. On autorise ainsi la coordination de syntagmes aussi bien que la coordination de mots tout en s'assurant que dans ce deuxième cas, les termes conjoints imposent des restrictions compatibles sur leurs arguments, conformément à la généralisation de Wasow26.

(iii) Les informations véhiculées par la conjonction dans l'attribut HEAD s'organisent en deux ensembles. La conjonction introduit ses propres traits de tête mineurs tandis que ses traits de tête majeurs constituent le résultat d'une fonction f prenant en compte les traits de tête majeurs des termes conjoints. On représente ainsi le fait que la distribution d'une coordination dépend de la distribution de ses termes en laissant en suspens la dé- finition précise de l'opération formelle sur les traits requise lorsque les traits de tête ma- jeurs des conjoints diffèrent27 (sur ce point, voir chapitre 6).

Paritong pose deux règles additionnelles de précédence linéaire qui permettent d'assurer que la conjonction se combine d'abord au terme à sa droite avant de se combiner au terme à sa gauche. La règle (85a) impose qu'un mot de type conj précède toutes les au- tres catégories de même niveau syntagmatique. On exclut ainsi une structure plate pour la coordination avec les termes conjoints de part et d'autre de la conjonction. La règle (85b) impose qu'un syntagme dont les traits mineures sont de type conj suit au contraire

25 Paritong associe dans cette optique une structure récursive aux coordinations monosyndétiques de la

forme [X, Y conj Z] avec les deux premiers conjoints regroupés dans une coordination enchâssée projetée par une conjonction vide. Nous laissons ici ces tours de côté.

26 Une contrainte devrait être ajoutée afin de garantir que la conjonction se combine d'abord avec ses

propres arguments avant de se combiner avec les arguments qu'elle hérite de ceux-ci. Sur ce point, voir Abeillé (2006a) et ici même, chapitre 6, section §2.

27 Il est bien évident que lorsque les traits de tête majeurs des termes conjoints sont identiques, les traits

toutes les autres catégories de même niveau syntagmatique. On garantit ainsi que dans des langues comme l'anglais ou le français, le syntagme conjoint apparaît toujours à droite du terme auquel il se combine28.

(85) règles de précédence linéaire a

!

HEAD | MINOR conj LEX + " # $ % & ' < X b X < !

HEAD | MINOR conj LEX - " # $ % & '

L'analyse générale d'une phrase comportant une coordination de mots non saturés est illustrée par l'arbre en (86).

(86) Exemple d'analyse d'une phrase

En définissant la conjonction comme une tête déficiente, l'analyse proposée par Paritong permet, comme on le voit, d'éviter les principaux défauts des analyses lexicalistes X- barre tout en en préservant les avantages : les principes généraux de la théorie gramma- ticale s'appliquent aux constructions coordonnées et une coïncidence maximale entre la notion de tête syntaxique et celle d'opérateur sémantique est préservée.

28 La contrainte (85b) est trop générale en l'état. Elle garantit, comme on le souhaite, que le syntagme

conjoint suit tous les autres constituants de même niveau mais aussi, contrairement aux faits, que la coor- dination dans son ensemble suit tous les autres constituants de même niveau. Il serait aisé de remédier à ce problème en précisant davantage la description en (85b). Nous laissons ce point de détail de côté.

4. Conclusion

Il semble assez clair qu'une coordination comporte deux niveaux de structure syntaxi- que. Nous avons montré dans ce chapitre qu'une analyse endocentrique des syntagmes de la forme [conj X], ou syntagmes conjoints, qui fait de la conjonction la tête et du terme subséquent un complément est empiriquement justifiée. Bon nombre de linguistes en concluent sans plus d'arguments empiriques que la coordination dans son ensemble constitue également une structure endocentrique, établissant en cela une rupture avec les analyses traditionnelles qui voient dans la coordination un mode d'organisation syntaxi- que spécifique. Nous avons essayé de montrer dans ce chapitre que la question du statut syntaxique spécifique ou non de la structure coordonnée dans son ensemble dans la grammaire est plus délicate que ne le laissent paraître les débats récents. Il est vrai, comme l'a bien montré Borsley (1994, 2005a, 2005b), que les propriétés des coordina- tions simples sont difficiles à concilier avec les hypothèses qui sous-tendent le schéma- tisme X-barre standard. On peut douter cependant que ce schématisme constitue, du moins tel qu'il est conçu actuellement, une représentation empiriquement adéquate des structures endocentriques. De fait, la plupart des révisions du modèle X-barre requises pour représenter adéquatement les coordinations simples semblent pouvoir être justi- fiées de manière indépendante. Suivant les propositions de Paritong (1992), nous avons montré qu'il est possible de formuler une analyse lexicaliste alternative de ces coordina- tions qui échappent aux critiques avancées à l'encontre des analyses X-barre. Il faut dès lors conclure que les propriétés des coordinations simples ne permettent pas de trancher en faveur d'une approche constructionnelle ou d'une approche lexicaliste de la coordina- tion en général. Comme nous allons le voir dans le chapitre à venir, la prise en compte des coordinations à redoublement permet de résoudre la question : seule une approche constructionnelle permet de décrire adéquatement les propriétés de ces dernières. Étant admis par ailleurs que les coordinations simples et les coordinations à redoublement forment une classe naturelle en syntaxe, une approche lexicaliste de la coordination en général doit, de fait, être abandonnée.

Chapitre 3

L'analyse syntaxique